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BRICH59
23 septembre 2005

Recherche-action de type stratégique

RECHERCHE-ACTION DE TYPE STRATÉGIQUE
PROBLEMES TAXINOMIQUES, ÉPISTÉMOLOGIQUES ET POLITIQUES DE L'ÉVALUATION

ou

De l'évaluation des politiques et des actions publiques à la recherche-action de type stratégique et retour

__ambroise_monod__1992__a_

Comme dit René Duringer, dans la Revue française de comptabilité (n°227, octobre 1991, p.14), « l'évaluation est partout. L'évaluation est à la mode. C'est même l'un des grands axes de la rénovation du secteur public engagée depuis quelques années. Ce besoin de nouveaux instruments de mesure s'explique par :

  •  les mutations économiques,
  • la décentralisation qui s'est traduite par de nouveaux pouvoirs et de nouvelles responsabilités des élus locaux notamment dans le domaine social,

  • la nouvelle définition des rôles de l'État, des collectivités et des institutions. »

__ambroise_monod__1992__b_Prenant une posture délibérément moins techniciste que René Duringer, Patrick Viveret, dans son rapport de 1989, commence par montrer comment l'évaluation est une fonction et un enjeu de la démocratie, ne serait-ce qu'en permettant l'application de l'un des principes fondamentaux de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789 (formulé dans son article 14) :

« Tous les citoyens ont le droit de constater,
par eux-mêmes ou par leurs représentants,
la nécessité de la contribution publique
».

__ambroise_monod__1992__c_Ceci dit, l'évaluation d'une politique publique, c'est concrètement l'émission d'un jugement sur la valeur de l'action engagée au titre de cette politique. Or « ce jugement peut être prospectif et anticiper l'action (évaluation ex ante), ac- compagner l'action (évaluation concomitante), ou la suivre (évaluation a posteriori). Il peut être aussi celui des acteurs eux-mêmes (auto-évaluation) ou d'acteurs extérieurs à la mise en oeuvre de l'action évaluée. Il peut avoir des objet différents : préparer une prise de décision, l'améliorer, l'apprécier après coup. »

Le groupe nominal 'recherche-action' est particulièrement absent du rapport de Patrick VIVERET et l'on pourra légitimement me demander pourquoi je le sollicite au sujet de la recherche-action. Ma réponse tient en deux raisons, d'inégal statut :

  1. la recherche-action étant un axe méthodologique important du Laboratoire Trigone (et, partant, du CUEEP), il se trouve que plusieurs recherches-actions menées par Trigone évaluent des actions publiques ;

  2. de fait, évaluation et recherche-action ont de nombreux points communs, ne serait-ce qu'au plan méthodologique.

Aussi, soucieux d'apporter ma pierre à la constitution de la recherche-action de type stratégique comme méthode de recherche appropriée à l'objet « éducation »[*], je me propose, dans un premier temps, de situer la recherche-action comme méthode d'évaluation, avec les critères proposés par Patrick Viveret. Puis, les chercheurs qui pratiquent la recherche-action de type stratégique fondant l'un des aspects essentiels de leur démarche sur une théorie de la connaissance, nous irons, dans un deuxième temps, du côté de l'épistémologie sartrienne, puis ferons un détour par l'histoire. Enfin (troisième temps), revenant au travail de Patrick Viveret, je vous propose de soumettre la recherche-action de type stratégique au crible de la philosophie politique, afin de répondre à la question : la recherche-action de type stratégique, comme action, respecte-t-elle les termes de cette idée à usage régulateur qu'est la démocratie ?

__ambroise_monod__1992__d_
Typologie de l'évaluation, théorie de la connaissance et pratique de la démocratie, tel est le triptyque des problématiques où s'in
 terroge la recherche-action de type stratégique. Ma contribution se déroulera donc en trois temps :

 

1. Recherche-action et typologie de l'évaluation

1.1. le critère "temps" : une évaluation "concomitante" ; la conco- mitance présente un grand intérêt

1.2. le critère "fonctions" : l'évaluation est dite "dynamique", dans la mesure où elle devient "un instrument de pilotage de l'action"

1.3. le critère "destinataires" : une évaluation "endoformative"

1.4. quelques remarques pour nuancer

1.4.1. recours à la méthode historique

1.4.2. dans le même temps "récapitulative"

1.4.3. l'évaluateur occupe une position médiane

1.5. le plus de la recherche-action de type stratégique : l'implication du chercheur, à tel point que le chercheur est en même temps acteur

2. Recherche-action et théorie de la connaissance

2.1. la citation et son commentaire

2.2. la citation et son contexte

2.2.1. cet ouvrage est en fait...

2.2.2. dans la note d'où provient le texte cité, ...

2.3. prière de situer

2.3.1. situer les expériences

2.3.2. permettre une mesure aussi précise que possible de l'impli- cation du chercheur dans l'action

2.3.3. des expressions contemporaines de la praxis marxiste/ post- marxiste ; le dilemme du savant et du politique de Max Weber

2.4. faisons un détour par l'histoire

2.4.1. la méthode historique : la question de l'objectivité, la ques- tion de la vérité

2.4.2. typologie des situations du chercheur-acteur

1) l'espace idéologique

2) l'espace de pouvoir

3) l'espace d'action

4) le temps de l'action

2.5. praxis et utopie pédagogique

3. Recherche-action et pratique de la démocratie

3.1. la garantie d'indépendance

3.1.1. comprendre l'indépendance dans la relation entre évaluateur et acteur

3.1.2. comprendre l'indépendance dans la relation entre évaluateur et prescripteur

3.2. la garantie de compétence et de rigueur

3.3. la garantie de transparence

3.4. la garantie de pluralisme

3.4.1. l'"acteur collectif" est-il garantie de pluralisme ?

3.4.2. comment l'espace critique fonctionne-t-il ?

3.4.3. l'espace critique est-il hors de l'acteur collectif ?

__ambroise_monod__1992__e_____________________________________

[*] Cette constitution est le projet de la thèse de Marie-Renée Verspieren, Recherche-action de type stratégique et science(s) de l'éducation, Bruxelles/Paris, Coédition Contradictions/L'harmattan, 1990 (396 p.). Sans cet ouvrage, les réflexions dont je vous fais part ici n'auraient pu s'approfondir. C'est à lui et aux différents Cahiers d'Études du CUEEP (les numéros 1, 3, 9, 11, et 15, notamment) que je dois l'essentiel de ma connaissance de la recherche-action, et de la recherche-action de type stratégique en particulier. L'ensemble de ces ouvrages constitue le corpus sur lequel s'appuie mon analyse.

____________________________________

afp120Ce texte a été publié sous une forme légèrement différente et sous un titre non moins légèrement différent (« Recherche-action de type stratégique : typologie de l'évaluation et implication du chercheur ») dans Actualité de la Formation Permanente, n°120, Septembre-Octobre 1992, p. 103-119. Les dessins sont d'Ambroise Monod, rédacteur en chef de la revue. La notice du service documentation du Centre Inffo propose le résumé suivant : L'article situe dans un premier temps, la recherche-action comme méthode d'évaluation et propose une typologie de l'évaluation. Puis rappelle les fondements théoriques de la connaissance sur lesquels s'appuient les chercheurs qui pratiquent la recherche-action de type stratégique. Enfin, la question de la relation d'un tel type de recherche avec la démocratie est posée. L'auteur fait référence tout au long de son article aux travaux de Patrick Viveret.


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20 septembre 2005

Validation des Acquis de l'Expérience & Illettrisme

inffoflashAu tout début de l'année dernière, Inffo Flash (629, 15-30 janvier 2004) publiait un entretien avec Hugues Lenoir, maître de conférence à Paris X et intéressé par deux binomes thématiques : Illettrisme & Validation des Acquis de l'Expérience et Éthique & Formation. Hugues Lenoir venait d'achever une recherche exploratoire auprès d'acteurs de la VAE engagés dans des expérimentations en entreprise pour des travailleurs en situation d'illettrisme. Elle l'avait conduit à inviter les formateurs à chercher « les moyens de travailler avec l'oral de manière à ce que celui-ci fasse preuve, au même titre que l'écrit », pour reconnaître les savoir-faire de ces personnes et assurer ainsi davantage d'équité...

c2rpCe matin, le C2RP a invité Hugues Lenoir pour animer l'un de ses petits déjeuners autour de la thématique VAE et Illettrisme. Pas étonnant que l'un des organismes phares de la formation continue du Nord-Pas de Calais propose un tel menu matutinal : la VAE et la lutte contre l'illettrisme sont deux thèmes majeurs de la politique régionale.
Je figurais parmi les convives. Voici mes bribes de notes et mes impressions fugaces et fondamentales en même temps. Je vous les livre pour ce qu'elles sont : partielles, personnelles et forcément engagées. Hugues Lenoir m'a permis de les publier ici, mais ne les a pas relues. Elles n'engagent donc que moi, qui

  1. pour avoir participer en tant que professionnel de l'information et de la documentation à des jurys VAE (pour un diplôme de niveau III délivré par l'Université de Lille III), ai été "chamboulé" par la charge existentielle qui pèse sur l'impétrant qui faisait face au jury autant que par la charge éthique qui pèse sur le co-évaluateur que j'étais ;

  2. pour avoir autour de moi des personnes faisant projet de sou- mettre un dossier VAE, suis témoin du décalage communicationnel entre elles et les "valideurs" ;

  3. pour travailler depuis plus de vingt-cinq ans dans un organisme viscéralement attaché à la promotion des personnes de faible niveau de qualification, rêve d'un système social où l'on aiderait avec respect ces personnes à prouver leurs compétences et à enclencher les processus de formation au bout desquels s'éclair- cirait l'horizon du développement personnel et de la reconnais- sance intellectuelle.

____________________

Tout d'abord une mise en garde :
le fonctionnement du binome "VAE & personnes en situations d'illettrisme" n'implique aucune dégradation des diplômes ou des certifications, prévient Hugues Lenoir. D'ailleurs, la validation des acquis n'est pas née de la dernière pluie : elle fonctionne depuis avant le Front Populaire pour le diplôme d'ingénieur - diplôme qui se porte toujours très bien...

Ensuite un paradoxe :
Hugues Lenoir soutient dans le même temps que :

  • il n'est pas utile de recourir à l'écrit pour les personnes en situations d'illettrisme ;

  • il est nécessaire de mobiliser l'écrit dans la procédure VAE.

En effet, il n'est pas utile de recourir à l'écrit pour les personnes en situations d'illettrisme, mais il est nécessaire de mobiliser l'écrit dans la procédure VAE ne serait-ce que pour relancer la dynamique d'apprentis- sage des savoirs de base, savoirs socialement indispensables quoi qu'il arrive.

Enfin, une distinction entre deux logiques de validation :

  1. la validation sur reconstitution écrite (secteur Éducation nationale, secteur Santé Social, ...), comme si on savait toujours et fatalement ce que l'on fait ;

  2. la validation sur mise en situation d'expérience (Ministère du travail), comme si on savait parce qu'on fait.

____________________

Commençant le compte-rendu rapide de son étude VAE et situations d'illettrisme (2004), Hugues Lenoir évoque la figure tutélaire de ce bon vieux Socrate dont on ne connaît aucun écrit, à se demander s'il a même su écrire, et qui, pourtant, a produit bien du savoir...
Et de proposer un syllogisme sur le mode du célèbre

Tout homme est mortel.
Or
Socrate est un homme.
Donc Socrate est mortel.

L'expérience produit de la compétence et du savoir.
Or les personnes en situations d'illettrisme sont riches d'expériences.
Donc les  personnes en situations d'illettrisme ont de la compétence et du savoir.

La question n'est donc pas tant d'avoir la certitude que les personnes en situations d'illettrisme ont du savoir et de la compétence. On a cette certitude, et depuis belle lurette ! La question, cruciale, est de savoir comment permettre la reconnaissance de ces savoirs et compétences. Rôle important, primordial de l'ACCOMPAGNEMENT.
Une distinction entre deux types de reconnaissance :

  1. la reconnaissance pour soi (renforcement narcissique) où l'accompagnement pointe diplômes et certifications ;

  2. la reconnaissance pour le travail, où l'accompagnement prend en compte le marché local de l'emploi, etc.

Puis vient un paradoxe, encore, mais sous forme de question : si on maintient le recours à l'écrit, quid des personnes en situations d'illettrisme, sachant que la loi de 2002 a été pensée pour les bas niveaux de qualification ?

____________________

Qulques questions à la volée concernant l'écrit

Que mesure-t-on dans la procédure VAE : de la connaissance ou de la compétence ? Dans le second cas, c'est l'action qui donnera le contexte de la mesure. Dans le premier cas, l'écrit tient une place importante, mais adossé à l'oral comme moyen de montrer (Cf. Françoise Waquet, Parler comme un livre).

D'autre part, quid de la nature et du niveau de l'écrit ? Hugues Lenoir attire notre attention ici sur la dérive type "promotion sociale", que j'ai pu connaître dans le fonctionnement des jurys CAPUC dans les années quatre-vingt. Cette dérive consiste à être bien plus exigeant qu'il ne le faudrait : là où un candidat au CAP en formation initiale obtienait son diplôme avec une note de 10/20 et en ayant éventuellement fait quelques impasses dans le "programme", un candidat en formation continue devait justifier d'une note satisfaisante dans chaque partie du programme sans exception aucune. Et au final, certains employeurs, je m'en souviens très bien, avaient conscience de cte différence et disaient préférer une personne avec un CAPUC obtenu en formation continue à un diplômé de la formation initiale...

Encore une question importante : quel est l'étalon pour construire et évaluer l'écrit en question, l'étalon académique (écrit théorique) ou l'étalon professionnel (écrit d'usage) ?

Enfin, question du niveau de formalisation, à l'écrit comme à l'oral - question qui s'appuie qur la problématique de la preuve.

____________________

Des pistes ...

Pêle-mêle, Hugues Lenoir lance des idées, comme autant de pistes pour réfléchir et pour agir autrement.

  • Les « chefs-d'œuvres » des compagnons du Tour de France considérés comme preuves matérielles, mais aussi comme indice de la place sociale, dans le travail...
  • Production d'audio-visuel sur son activité, avec oralisation...
  • Schématisation de processus complexes, avec oralisation...
  • Appel à un tiers scripteur qui se tiendrait dans une position de "neutralité" à définir...

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Conclusion ?

La VAE, comme ruse pédagogique (au sens de Jean-Jacques Rousseau), avec support écrit pourrait permettre de passer de l'écriture domestique à une écriture socialement validée, tout en restant une écriture pour soi.

Car enfin, même si on milite pour la possibilité d'une VAE sans écrit, il faut bien admettre que l'écriture/lecture est partout, dans tous les emplois...

Ceci dit, il y aurait un effet pervers collatéral de la VAE : mettre au chômage ceux qui, bien que compétents, ne sauraient prouver leurs compétences...

De là à penser qu'il faut maintenir des emplois non qualifiés...

Ce qui irait à l'encontre de la logique de la certification qui tend - hélas! - à s'imposer.


12 septembre 2005

à mon collègue enseignant-chercheur : URGENT

MESSAGE URGENT A MES COLLEGUES ET/OU AMIS ENSEIGNANTS-CHERCHEURS


Un blog a ceci de convenable qu'il permet la réactivité - ce que ne rend pas forcément possible une étude publiée papier et sans appel. Chaque message peut ainsi faire l'objet d'un commentaire immédiat et qui lui colle aux basques...

Si donc, cher collègue enseignant-chercheur, tu t'es senti blessé par mes propos récents (série intitulée "Le sous-texte" en huit épisodes), ou si tout simplement tu n'es pas d'accord, daigne avoir la condescendance de réagir sur ce blog.

Bien à toi


9 septembre 2005

L’écriture praticienne

Ceci est la retranscription d'une intervention faite à Lille
en novembre 1995 où l'on fêtait les Cahiers d'études du CUEEP
dans la foulée du second colloque européen sur l'autoformation...



[...] 

Véronique Leclercq vous a présenté la littérature des Cahiers d’études. Je me propose de vous faire partager, à mon tour, quelques réflexions sur ce qu’on appelle l’« écriture praticienne ».
Je vais tout d’abord vous soumettre un rapide tableau de présentation du couple action/écriture dans le secteur de l’éducation permanente. J’essayerai de ne pas prendre trop de temps, au risque d’être schématique. Mais le débat qui, je l’espère, suivra mon intervention permettra de nuancer l’analyse.
Dans un second temps, je poserai, à la cantonade, trois questions au sujet de l’écriture praticienne.
Mais les présentations d’abord.

1. LES RÈGLES DE TROIS DE L’ÉCRITURE EN ÉDUCATION PERMANENTE

Depuis douze ans, le CUEEP publie, avec une périodicité irrégulière, ses Cahiers d'études : 32 livraisons auront paru de début 1984 à fin 1995, 151 « écrivants » auront été mobilisés.

1.1. Trois types d'écrits

Ces 32 livraisons ne sont pas homogènes quant au statut des écrits qui y sont publiés. De ce point de vue, on pourra distinguer entre trois types de cahiers : cahiers repreneurs, cahiers originaux et cahiers d'actes.

  1. Cahiers d'études, ils seraient sans doute restés confinés dans la confidentialité de l’université ou des instances commanditaires. Parmi les 19 Cahiers repreneurs, écrits par vingt-neuf personnes, 11 publient des travaux commandités par des instances administratives et politiques, et 8 des mémoires universitaires.

  2. Les cahiers originaux, ensuite, publient des textes rédigés pour l’occasion de leur publication dans les Cahiers d'études. Les originaux semblent être, comme par définition, des œuvres collectives. Signés par 68 auteurs, ces 10 numéros sont bien plus collectifs que les repreneurs, souvent rédigés par un seul auteur.

  3. Les cahiers d'actes, enfin, soit 3 numéros, ont mobilisé 79 contributeurs ou auteurs, qu’on ne retrouve que rarement dans les autres types de Cahiers.

1.2. Trois types d'écrivants

Tout à l’heure, j’annonçais le chiffre de 151 écrivants. Mais qui sont-ils donc ? On en distinguera trois types : enseignants-chercheurs, étudiants et « praticiens ».

  1. Les enseignants-chercheurs sont des "gens, dit Guy Jobert, qui ont été sélectionnés sur leur capacité à formaliser leur pensée par écrit, à fabriquer de la réflexion et parfois de la connaissance. Ils ont le savoir-faire et aussi le temps d'écrire. Pour être tout à fait exact, il faut dire qu'ils sont payés pour cela". Fermez les guillemets. Je laisse à Guy Jobert la responsabilité de ce que mes amis enseignants-chercheurs jugeront comme d’un ton assez dur...

  2. Les étudiants produisent des mémoires en cours ou en fin de cycle universitaire.

  3. Les praticiens, acteurs « ordinaires » de l'éducation permanente, producteurs de l'action de formation, enfin, qu'ils soient formateurs, ingénieurs, techniciens, sont massivement représentés dans les Cahiers originaux (près de 80% de leurs auteurs).

Le comportement de chaque type d'écrivant par rapport à l'écriture est bien sûr différent. Question d'enjeux, question de référentiel.   

Entre le collectif de praticiens qui vit l'écriture collective ou plurielle comme un prolongement de l'action et l'universitaire solitaire qui évalue une action perpétrée par d'autres, il y a un sacré distinguo ! Ici, le lecteur peut admirer le jeu de la rhétorique académique ; là il peut repérer les liens fragiles mais profonds entre l'action et l'écriture.

Mais, attention, cette opposition entre les praticiens, les étudiants et les « universitaires » frôle la caricature. Sur-tout dans le milieu des sciences de l'éducation, où nombre d'enseignants-chercheurs ont d'abord été (voire sont toujours) des praticiens ; d'autre part, les praticiens se forment quelques fois, et peuvent être appelés à produire un mé-moire universitaire. C’est le cas dans tous les mémoires repris en Cahier. Je distingue donc ici entre des postures mouvantes, plus qu’entre des identités monolithiques, ou entre des statuts.


1.3. Trois types de référentialités

Mais l'intérêt de cette ébauche de typologie des écrivants réside peut-être dans son prolongement en termes de référentiel. À quelle sorte de référentiel obéit l'écriture ? Ici encore on peut distinguer trois types de référentialités : référentialité « close et intégrante », référentialité « close et intégrée » et référentialité « ouverte ».

  1. Quand un étudiant écrit un mémoire universitaire, il produit un texte dont l'évaluation (normative) sera suivie de validation par un groupe professionnel dont il ne fait pas (encore) partie. On pourra parler de référentialité close et intégrante.

  2. Quand un enseignant-chercheur écrit, il conduit une stratégie de reconnaissance sur le marché académique, reconnaissance par un groupe professionnel dont il fait partie. On parlera alors de référentialité close et intégrée.

  3. Mais quand un praticien écrit sur les actions qu'il mène, à quel référentiel obéit-il ? Le seul ancrage évident, c'est le praticien lui-même, c'est-à-dire l'acteur et son action. C'est de ce côté qu'il faut chercher, en se demandant d'abord quelle est la stratégie de l'acteur quand il agit et écrit sur son action, puis quels sens il donne à l'écriture, notamment dans son articulation avec l'action. Du simple désir de recon-naissance professionnelle (valorisation de l'action) à la production de connaissance (analyse de la pratique), les sens possibles sont multiples ! Bref, on parlera ici de référentialité ouverte, voire d'auto-référentialité, comme si l'écriture était autonome, sans cadre obligé ; comme si n'était donné a priori qu'un point de départ (l'ancrage de tout à l'heure).

1.4. Trois possibilités pour articuler l'agir et l'écrire

Pour tenter de donner un cadre à cette ouverture de la référentialité, peut-être faut-il comprendre comment s'articulent l'action et l'écriture praticienne au sens large. Très rapidement, il semble que celle-ci, que l'écriture praticienne s'articule de trois façons différentes avec l'action : écriture « dans » l'action, écriture « sur » l'action et écriture « pour » l'action.

  1. Il y a tout d'abord l'écriture professionnelle, celle qui, intégrée à l'action, produit ce qu'on appelle des écrits fonctionnels, éléments ou instruments de l'action - écriture concomitante. C'est l'écriture dans l'action.

  2. Puis il y a l'écriture praticienne au sens strict, celle qui intègre l'action dans un projet d'octroi de sens à la pratique. C'est l'écriture sur l'action. À la différence des précédents écrits qui se perdent dans l'action, ce que produit cette écriture survit à l'action - écriture a posteriori.

  3. Enfin il y a ce qu’on pourrait appeler, faute de mieux, l'écriture prosélytique, celle qui veut convaincre la communauté praticienne et la communauté politique de l'efficacité de tel ou tel type de pratique (pédagogique, institutionnelle, politique, etc.). C'est l'écriture pour l'action. Les écrits produits dans ce cadre précèdent l'action - écriture a priori.

Système ternaire donc, mais non cloisonné. Car ça com-munique entre les trois types d'écriture. On peut, par exemple, les chaîner entre elles : l'écriture dans l'action produit des textes que l'écriture sur l'action utilise comme matériau ; puis celle-ci produit des textes que l'écriture pour l'action à son tour utilise comme matériau ; et, pour peu que les textes produits par cette dernière incitent à la mise en place concrète d'actions, la boucle sera bouclée.

Système mouvant aussi : l’écriture sur une action A produira des textes qui, par rapport à une action B, pourront être lus comme de l’écriture pour l’action.

1.5. Le pari de l'écriture praticienne

Les écrits professionnels font légion : toute action de formation requiert de l'écriture, qu'on se place dans le do-maine pédagogique ou dans le domaine de l'ingénierie de la formation. Les écrits praticiens sur l'action sont par contre plus rares et leur publication davantage encore. C'est que le passage de l'écriture dans l'action à l'écriture proprement praticienne est semé d'obstacles : l'écrit y change de nature, de statut et de destination.

L'intérêt de l'écriture sur l'action en termes d'autoformation continue des acteurs ne saurait plus faire de doute. Les discussions d’avant-hier après-midi, lors du colloque sur l’autoformation organisé ici même par le GRAF et TRIGONE, l’ont largement manifesté. Reste à en faire le pari, qui implique un important co-investissement des acteurs concernés et de leurs institutions pour être tenu.

2. TROIS QUESTIONS POUR L’ÉCRITURE PRATICIENNE

Voilà pour la présentation du couple action / écriture. Vous aurez remarqué que ce tableau se termine sur une ouverture, l’ouverture d’un pari, l’ouverture d’un possible à multi-ples aboutissants.

Pour commencer de baliser le champ de ce possible, je vous propose trois questions. Trois questions situées à trois différents niveaux d’enjeux pour l’écriture praticienne :

  1. l’écriture praticienne n’est-elle possible que dans le temps volé ?

  2. comment l’écriture praticienne est-elle institutionnellement reconnue / non reconnue ?

  3. l’écriture praticienne, au bout du compte, c’est quoi ? une méthode d’autoformation des praticiens ou un chemin vers la démocratie participative ? ou les deux ?

2.1. Question 1 : l’écriture praticienne n’est-elle possible que dans le temps volé ?

L’écriture praticienne n’est-elle possible que dans le « temps volé » ? L’expression « temps volé », pour caractériser ce que serait l’une des conditions de possibilités de l’écriture praticienne, cette expression n’est pas de moi. Je la tiens d’un de mes collègues, un praticien qui veut, qui voudrait écrire en tant que praticien - et qui écrit :

2.1.1. Écrire, ça prend du temps

Mais je la reprends volontiers à mon compte. Car écrire, ça prend effectivement du temps ! Le temps d’écrire, bien sûr, mais aussi,

  • en amont de l’écriture, le temps où il faut bien suspendre l’« ac- tivité » pour « penser », temps de réflexion solitaire ou collective, et temps de lecture de l’écriture des autres,

  • le temps de l’écriture, c’est encore, en cours et en aval de l’écriture, le temps de se lire et de se relire...

2.1.2. Du temps de contrebande

« Temps volé », volé à l’institution, volé à soi :

  • temps volé à l’institution, parce que, quand le praticien suspend son activité pour s’asseoir, réfléchir, lire, écrire et relire, il fraude; le contrat de travail d’un acteur qui n’est pas enseignant- chercheur ne stipule jamais aucune charge d’écriture sur l’action ; éventuellement de l’écriture dans l’action (écriture profession- nelle, fonctionnelle), mais jamais de l’écriture praticienne au sens strict ;

  • temps volé à soi, à son temps familial, à son temps intime, parce que, de fait, c’est dans ce temps-là que le praticien écrivant ponctionne, faute de pouvoir suffisamment suspendre fraudu- leusement le temps professionnel.

Je ne réponds pas à la question de savoir si l’écriture praticienne n’est possible que dans du temps volé. On pourrait en débattre ensemble dès que j’aurai fini de parler - ce que vous attendez sûrement tous avec impatience.

2.2. Question 2 : l’écriture praticienne est-elle institutionnellement reconnue ?

Deuxième question : l’écriture praticienne est-elle institutionnellement reconnue ? Le constat que je viens de dresser en parlant du temps volé répond à l’un des aspects de la question. Mais poussons un peu plus loin.

Les praticiens (c’est-à-dire les acteurs ordinaires, les personnels qui ne sont ni étudiants temporaires, ni enseignants-chercheurs) contribuent largement, nous l’avons vu, à l’écriture des Cahiers d’études, notamment celle des Cahiers « originaux ». À ce titre, l’écriture praticienne est finalisée dans la stratégie de l’institution CUEEP- TRIGONE, qui veut mettre à disposition de l’ensemble des acteurs de l’éducation permanente de France et de Navarre des résultats de recherche et des comptes rendus d’actions innovantes ou spécifiques.

L’écriture praticienne semble donc institutionnellement reconnue au sens où elle est intégrée par l’institution dans sa stratégie de diffusion.

Mais, quand on creuse un peu plus la question, on ne peut qu’être saisi par une contradiction majeure : il y a comme une disproportion entre la charge d’écriture qui, de fait, repose sur les praticiens, et l’absence de ces derniers dans l’instance où, de droit, fonctionne la responsabilité éditoriale.

Regardez la composition du « comité de lecture » des Cahiers d’études, et vous n’y verrez que des enseignants-chercheurs. Moi, j’y vois un problème, dans la mesure où les enseignants-chercheurs ne sont que pour moins d’un quart dans l’écriture des Cahiers « originaux ».

Cette fois encore, je laisse ouvert. Passons à la troisième question.

2.3. Question 3 : l’écriture praticienne, une méthode d’autoformation des praticiens ou un chemin vers la démocratie participative ?

Tout à l’heure, je vous ai dit que l'intérêt de l'écriture sur l'action en termes d'autoformation continue des acteurs ne saurait plus faire de doute. Mais est-ce là la seule qualité de l’écriture praticienne ? Et puis d’abord, c’est quoi l’autoformation ?

Je ne devrais pas poser cette question après les deux journées que plusieurs d’entre nous ont passées au colloque européen sur l’autoformation. Mais quand même ! D’autant plus que je voudrais me placer, pour finir, sur le terrain du socio-politique, comme dirait Philippe Carré dont vous aurez reconnu ce qu’il appelle le macro-niveau de l’autoformation, ou plutôt de l’apprentissage autodirigé.

2.3.1. Deux questions préalables

Nous sommes en fait ici, plus largement, dans la problématique de l’organisation autoformatrice, de l’organisation qualifiante. Pour nous, acteurs de l’éducation permanente, la question de fond est celle-ci : une organisation dont la raison d’être se décline en termes de formation (et d’autoformation) des publics demandeurs, une telle organisation est-elle, pour ses propres personnels, formatrice, voire autoformatrice ? La question est loin d’être anodine ou stupide. Il suffirait d’évoquer le complexe du cordonnier... Mais je n’ai plus le temps...

D’autre part, l’autoformation, en organisation, est-elle libératrice ? Le risque qu’elle n’y soit que le masque d’une toujours possible auto-aliénation doit rester présent à nos esprits et nous inviter à toutes les prudences...

2.3.2.    Une hypothèse, pour finir

Mais revenons, pour en finir avec cette « conférence » qui n’en finit pas, à l’écriture praticienne. Je conclurai en soumettant à votre discussion une hypothèse qui ouvre sur bien des questions. L’hypothèse est la suivante.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de cette compétence, mais à deux conditions :

  1. l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente) de se construire et de se développer ;

  2. l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne pointe des questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des individus à l’intérieur de l’institution, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en toujours possibles divergences.

MERCI


Voilà ! C'était une petite intervention d'il y a une quinzaine d'années  (je propose celle-là parce qu'elle était restée inédite), en appui sur quelques productions écrites, notamment pour les Cahiers d'études du CUEEP, dont voici les principales, en téléchargement (pdf) :

Je ne sais si je suis le premier à avoir employé l'expression "écriture praticienne". Peu importe. En tous cas, elle est aujourd'hui, plus de quinze ans après la parution de ma Note, assez répandue dans le secteur de la formation permanente.
Dans mon esprit (à l'époque mais encore aujourd'hui), cette expression renvoyait à trois configurations différentes :

  • "écriture praticienne" versus "écriture patricienne", écriture de ceux qui, faisant partie de la noblesse universitaire, sont payés pour écrire, comme disait Guy Jobert ;

  • "écriture praticienne" versus "écriture universitaire", écriture de praticiens certes, mais soumise au crible de la norme universitaire (mémoire, thèses, etc.) ;

  • "écriture praticienne" versus "écriture institutionnelle", écriture qui, en règle générale, contraint les praticiens, leur assignant des tâches trop souvent incompatibles avec l'exercice du droit d'écrire sur sa propre pratique.

Il est clair qu'aujourd'hui, ces trois configurations fonctionnent à plein régime. Et que l'écriture praticienne, l'authentique, est plutôt au ralenti... Même dans les idées ! Le durcissement des relations de travail, dû essentiellement au vent néo-ultra-libéral qui souffle sur le secteur de la formation permanente (y compris dans l'enseignement public), assè- che remarquablement les marges où l'authentique écriture praticienne pourrait fonctionner et produire ce savoir non savant et peut-être dérangeant produit par les acteurs eux-mêmes.
L'espace de ces marges, a un nom : "liberté solidaire".
Mais peut-être sommes-nous déjà là dans le royaume de l'utopie ?


6 juillet 2005

Mathématiques et illettrisme

Mathématiques & illettrisme 
Une action de formation de formateurs sur la durée

t_typogenerator_1119590770Communication de Jean-Pierre Leclère lors de la Rencontre Internationale Francophone du 5 au 7 avril 2005 à Lyon, organisée par l'Agence Nationale de Lutte Contre l'Illettrisme, dans le cadre de la mise en place du Forum permanent des pratiques des intervenants de la lutte contre l’illettrisme. Rubrique : Démarches et outils d’apprentissage en formation de base : quels choix pour quels usages ? Cette communication a déjà fait l'objet d'une présentation dans ces colonnes.

Groupe régional Nord Pas de Calais

 

Résumé :

Le « chantier Maths & illettrisme » est né de l'inscription dans un projet EQUAL (Région mobilisée contre l'illettrisme, Nord-Pas-de-calais) de l'opérationnalisation possible de travaux de recherche universitaire qui tendaient à montrer qu'une formation en mathématiques dans le cadre des ateliers de lutte contre l'illettrisme permet de développer tous les modes de communication qu'ils soient oraux, écrits ou physiques... Des formateurs de formation de base de la région Nord-Pas-de-Calais et de Belgique francophone se sont réunis pour définir des progressions modularisées à partir d’une bonne connaissance de ce que sont les mathématiques et en redessinant la relation maths/illettrisme, puis élaborer des supports pédagogiques en respectant quelques principes d’écriture.

 Parmi ces derniers, on notera la détermination de la spécificité des outils pédagogiques par la nature des publics, l'appui sur la réalité épistémologique des mathématiques ainsi que sur la « théorie des registres », enfin la prise en compte ce que savent et comment savent les personnes en formation.

Au fil de l'expérimentation, il apparaît que la pratique développée a un réel impact sur le rapport à soi des apprenants (réassurance, avec effet biographique et effet psycho­sociologique), leur rapport à la communication écrite et orale et, bien sûr, leur rapport aux mathématiques. Les formateurs engagés sur ce chantier de trois années ont eux aussi bénéficiés des effets de leur propre travail collectif.

 

PLAN DU DOCUMENT

1 EQUAL et Sciences de l’éducation

2 Les parties en présence

3 Quiproquo et parti pris

4 Les grandes périodes de la vie du groupe

5 Des principes d'écriture pédagogique

6 Effets et impacts


EQUAL et Sciences de l’éducation

« La lutte contre l'illettrisme intègre souvent la capacité à savoir compter dans ses objectifs de formation. Mais, dans ce cadre, les mathématiques occupent une place assez ténue quand elle n'est pas absente, remplacées qu'elles sont par du numérique algorithmique. Le travail de recherche qu'a conduit Jean-Pierre Leclère[i] visait à montrer qu'une formation en mathématiques dans le cadre des ateliers de lutte contre l'illettrisme pouvait aider efficacement à sortir d'une telle situation. En particulier, les mathématiques (et non pas uniquement le "compter") permettent de développer tous les modes de communication qu'ils soient oraux, écrits ou physiques. 
« Une formation en action de formateurs intervenant dans le domaine des mathématiques, en région Nord-Pas-de-Calais et en Belgique, apparaissait, pour ces raisons, tout à fait justifiée dans le cadre d'une réflexion générale sur la lutte contre l'illettrisme... »

C’est en ces termes que le « chantier Maths & illettrisme » s’est ouvert. C’est ainsi du moins que le responsable du projet EQUAL Région mobilisée contre l’illettrisme – RÉMO[ii] en présente le volet qui nous concerne… Ce chantier devait permettre, à partir de l'important travail de Jean-Pierre Leclère, de définir des progressions modularisées et des supports de cours. Sa participation, par ailleurs, à l’élaboration d’un référentiel comparable au référentiel linguistique de base qui fait aujourd’hui cruellement défaut aux formateurs n’est pas étranger à notre chantier. L’innovation en vue est de portée nationale, voire internationale puisque certains de nos collègues belges francophones nous ont rejoints.

La recherche engagée par Jean-Pierre Leclère veut associer mathématiques et illettrisme : il semble clair que, lorsque l'on associe mathématiques et apprentissage de la lecture et de l'écriture dans un atelier de lutte contre l'illettrisme, les adultes en formation progressent plus rapidement. La recherche a voulu confirmer cette conviction générale, et celle, en particulier, qu'il est possible de faire faire des mathématiques à un public en difficulté de lecture et d'écriture, le tout en appui sur trois axes : l'enseignement et l'acquisition de savoirs, l'accueil, et la création d'outils pédagogiques.

L’action que nous présentons est ainsi directement dans la perspective de ce travail de recherche en Sciences de l’éducation, avec ses deux grands objectifs :

  • définir des progressions modularisées, mais à partir d’une bonne connaissance de ce que sont les mathématiques ;

  • élaborer des supports pédagogiques, mais en respectant quelques principes d’écriture.

Les parties en présence

Depuis 1996, afin de résoudre une série de difficultés anciennes (offre de formation ponctuelle, non articulée ; ciblage des publics incertains ; peu d'outils de repérage ; opacité des contenus de formation ; etc.), la région Nord-Pas-de-Calais, qui compte une importante population en situation d’illettrisme, s’est configurée en une quinzaine de « dispositifs permanents pour la maîtrise des savoirs de base » - DPMSB. C’est sur cette carte régionale que se repèrent les parties en présence dans notre action.

Les organismes de formation impliqués dans le chantier œuvrent dans divers lieux du Nord-Pas-de-Calais et de la Belgique francophone. Ils relèvent pour la plupart du secteur associatif.

Le groupe des participants est hétéroclite, du point de vue des fonctions : responsables de centres, coordinateurs, formateurs. À noter que certains n’ont jamais enseigné les mathématiques…

Les adultes en situation d'illettrisme en mathématiques sont des adultes qui éprouvent d’importantes difficultés à donner du sens à des nombres exprimant des quantités et des mesures, des évolutions et des durées, des identifications et des numéros. Ils ne parviennent pas non plus à réaliser des sériations et des classifications ; il leur est très difficile d'opérer des inclusions et des combinatoires. Pour ces raisons, il ne leur est pas aisé de distinguer entre un caractère continu et un caractère discret, et les difficultés à intégrer les concepts de longueur, de masse, d'aire et de volume en sont la conséquence. De même il leur a été très difficile, voire impossible d'acquérir la numération décimale… Au cours de sa recherche, Jean-Pierre Leclère a pu repérer certains indices spécifiques à l'illettrisme en mathématiques. Ce sont par exemple :

  •  l'incapacité de se repérer durablement dans le temps ou l'espace (les lectures de plan, de tableau, de représentations iconiques),
  •  une énorme difficulté à indiquer un effectif au-delà de 60 par comptage ou calcul,
  •  la non maîtrise des opérations soustraction et multiplication,
  •  la difficulté de situer deux nombres par rapport à un troisième,
  •  la confusion entre situation présente et situation passée ou à venir,
  • l'incapacité à traiter un problème à texte rédigé (caractéristique commune au repérage linguistique).

Ces indices apparaissent comme pertinents pour identifier un public en situation d’« illettrisme en mathématiques », mais il est prudent de ne pas en faire des critères de repérage inébranlables…[iii]

Quiproquo et parti pris

Le « chantier Maths & illettrisme » s’est ouvert sur un malentendu : les formateurs et leurs organismes pensaient qu'ils allaient avoir des outils et un référentiel...

Non seulement ils n'ont pas eu de référentiel, mais ils se sont rendus compte que les outils qu’ils utilisaient n'étaient pas vraiment des outils, pas des outils au "sens fort", du moins pas utilisés comme il convenait...

Le quiproquo a tourné à la désillusion et la désillusion à l’engagement sur un parti pris solide qui se décline en trois mouvements :

  •  une nouvelle conception des maths et de la relation maths/illet­trisme ;
  •  un esprit collaboratif fort, d’où primauté accordée à l’échange entre les participants, esprit collaboratif d’autant plus efficace et producteur de richesse que le groupe est hétérogène à de nombreux points de vue ;
  •  un objectif de production collective, où la production (écriture) d'outils pédagogiques est le « ciment » de la vie du groupe.

Les grandes périodes de la vie du groupe

Démarrée en 2002, l’action en est aujourd’hui à sa troisième année…

La première année fut une année de « formation de base Maths & illettrisme » : en appui sur des apports théoriques, les participants ont pu découvrir des activités susceptibles d’être mises en place avec un public adulte en situation d’illettrisme, utiliser différentes méthodes pour trouver un résultat, tester des supports existants et les améliorer si nécessaire, créer de nouveaux supports pédagogiques, confronter leurs outils de repérage et élaborer des tests de positionnement de niveau 1 et 2, échanger leurs pratiques et leurs expériences...

La plus grande partie des apports théoriques est issue du travail de recherche en Sciences de l’Éducation, mené par Jean-Pierre Leclère, et a tendu vers un travail définitionnel autour de la notion de savoirs de base en mathématiques.

La deuxième année vit le début de la production collaborative d’un outil pour adultes. On commença par déterminer collectivement les grands domaines mathématiques que doit couvrir l’outil nouveau : on en trouva six, à savoir numération, opérations, problèmes, géométrie, mesures et logique. Vu l’effectif du groupe de formateurs, on décida de constituer trois groupes de production qui traiteront de trois domaines. Chaque groupe commença alors par lister compétences clés, objectifs et niveaux de difficulté (linguistique notamment). Après quoi s’enclencha un travail en autonomie, sous le contrôle et avec les conseils de J.-P. Leclère… Il faut reconnaître un certain tâtonnement collectif, les groupes cherchaient leur méthode de production…

La troisième année, la production se poursuivit, d’un pas plus assuré. Le groupe de travail a opté pour l’appellation de l’outil : Mathématiques à la carte pour adultes, MACPAD. Chaque fiche est codée ainsi : compétence travaillée - niveau de lecture/écriture – n° de la fiche. Certaines fiches furent sélectionnées et utilisées en situation : toutes les difficultés rencontrées par les apprenants lors de l’expérimentation firent l’objet d’un retour auprès du groupe, pour analyse collective.

Des principes d'écriture pédagogique

Cinq grands principes d’écriture pédagogique furent adoptés par le groupe et leurs implications guidèrent le travail de création.

Détermination de la spécificité des outils pédagogiques par la nature des publics

Parce que les adultes ne sont pas des enfants, parce qu’ils sont au contraire très « marqués » par leur culture, et par leur expérience de vie, il n’est pas possible que des outils pédagogiques créés, pensés pour des enfants leur soient adaptés. Le principe 4 ira plus loin dans cette idée, la déclinant du strict point de vue des mathématiques…

Appui sur la réalité épistémologique des mathématiques

C’est la prise en compte de la réalité épistémologique des mathématiques qui a guidé l’identification des objectifs d’apprentissage : dénombrement des champs mathématiques dans les savoirs de base pour déclinaison en sous-champs puis en niveaux de compétence… (cf. deuxième année).

Appui sur la « théorie des registres » (Raymond Duval)

Raymond Duval s’intéresse au concept de registre de représentations sémiotiques en particulier dans le cadre des activités mathématiques : face à un énoncé de problème, par exemple, on peut opérer deux transformations, le traitement, transformation de la représentation dans le même registre - par exemple, la reformulation simple (même langage) de l’énoncé de problème -, et la conversion, transformation de la représentation dans un registre différent - par exemple, la traduction algébrique d'un énoncé. L'idée est que la compréhension n'émerge qu'avec la coordination d'au moins deux registres de représentation et que, par conséquent, l’apprentissage est directement facilité par la conversion, notamment quand il n’y pas congruence ...

Prise en compte ce que savent et comment savent les personnes en formation

Les personnes en situation d’illettrisme ne sont pas « mathématiquement vierges » quand elles arrivent en formation.

Par contre elles ont pu développer une vision réduite des mathématiques (du fait de leur expérience scolaire, par exemple). D’où la nécessité de désinhiber les apprenants (compter sur les doigts par exemple, c'est aussi faire des maths) ; d’où la nécessité de passer des maths formelles, scolaires à des maths à portée de mains[iv].

Plus positivement, il y a bien nécessité de prendre en compte leurs conditions de vie matérielle - jusque dans ses répercussions d’ordre symbolique -, de prendre en compte les dimensions sociales et culturelles de leur expérience de vie. Ce qui nous mène vers une « éthno-mathématique ».

Double validation

La validation s'est déroulée en deux temps : d'abord entre pairs dans le grand groupe, après le travail en groupe de production, puis dans le cadre de l'expérimentation par les formateurs du groupe et leurs collègues sur le terrain. Après cette double validation seulement, pourra s’effectuer le transfert à d'autres organismes.

Effets et impacts

Cette action et les pratiques qui s’y développent semblent avoir eu un impact fort sur les personnes en formation et les formateurs en formation et en expérimentation.

Les personnes en formation

Rapport à soi (réassurance), rapport à la communication écrite et orale et, bien sûr, rapport aux mathématiques : tels sont les trois registres sur lesquels la pratique développée semble avoir un impact réel.

Rapport à soi (réassurance)

Au cours d’une action de formation engageant une telle pratique, le rapport à soi des apprenants peut se trouver modifier de deux façons. Nous distinguerons un effet biographique et un effet psychosociologique (au sens de la psychosociologie de la formation).

Effet « biographique » : 
cette nouvelle façon d’appréhender les mathématiques va produire chez l’apprenant le désir de revisiter sa propre vie, notamment octroyer un nouveau sens à ce qui touche au rapport au savoir (école, travail…), revalorisant certains savoir-faire autrefois dénigrés, certaines compétences jusque là occultées.

Effet psychosociologique global (représentation de la formation) : 
du coup, c’est tout le rapport à la formation qui s’en trouve changé. La formation n’est plus perçue comme un inaccessible, comme un interdit, mais comme un possible, comme une réussite possible.

Rapport à la communication écrite et orale

En situation de formation, l’apprenant sera appeler à développer sa compétence communicationnelle de deux façons : dans le cadre de l’apprentissage lui-même (parler les mathématiques) et dans celui de la relation pédagogique (parler des mathématiques).

Parler les mathématiques, cela signifie convertir au sens de R.Duval (cf. les registres sémiotiques), par exemple lorsqu’un apprenant énonce une opération, il passe d’un langage formel au langage dit naturel…

Parler des mathématiques, cela signifie communiquer, par exemple dans le groupe d’apprenants ou tout simplement avec le formateur, au sujet du travail mathématique que l’on vient d’effectuer.

Rapport aux mathématiques

Cette capacité à parler des mathématiques associée à une réassurance en soi vont modifier significativement le rapport aux mathématiques. Un tel changement pourra s’extérioriser de deux façons : par la demande de formation et dans la relation pédagogique.

Demande de formation : 
cette capacité, nouvellement consolidée voire acquise, à parler des mathématiques va rendre possible l’expression d’une demande de formation relativement explicite et peut-être en termes de désir.

Conflit pédagogique : 
du coup, l’apprenant n’acceptera peut-être plus de travailler avec des outils pédagogiques de la formation initiale pour enfants, même « adaptés », ni de faire des mathématiques déconnectées de son propre horizon socioculturel, etc.

Les formateurs

Côté formateurs également, les effets et impacts sont importants. Nous en avons distingués cinq.

effet « humilité » du formateur

L’une des caractéristiques du « chantier Maths & illettrisme », c’est bien son double niveau : niveau formateur et niveau apprenant. Et les formateurs n’ont pas manqué de développer le parallèle jusque dans les confins de la psychologie personnelle : ils ont été avec leur formateur, Jean-Pierre Leclère, en situation de stagiaire. D’où la conscience d’une certaine « humilité ».

effet didactique

« moi, formateur, je maîtrise mieux la « matière » et, du coup, je suis plus à l'aise pour inventer des situations pédagogiques (jeux, etc.)… Maintenant je m'autorise à créer… »

effet méthodologie

Le travail accompli en pédagogie des mathématiques dans le cadre du chantier (cf. les principes énoncés plus haut) est, aux yeux des formateurs, transférable à d'autres disciplines, de toutes façons à la formation de base en général.

effet relation pédagogique

La pédagogie développée dans le chantier est très concrètement une pédagogie de la « réussite » - ce qui ne peut qu’avoir un impact fort sur la relation pédagogique elle-même.

effet prosélytisme

Après la « révélation » de la vraie place des maths dans la lutte contre l'illettrisme – du moins est-ce ainsi que parlent certains participants -, risque de contamination positive de l'entourage professionnel…


Ont participé à ce travail pour la région Nord Pas de Calais :

  • Michel BAIL, ID-Formation, Lille
  • Frédéric BARY, CZ AFP2I, Arras
  • Serge CAILLEUX, CREFO, Saint-Omer
  • Francine DECOBERT, NORD DEFIS, Dunkerque
  • Joëlle DEHAYNIN, CREAFI, Lille
  • Ahmed ERCHOUK, Culture & Liberté, Lewarde
  • Serge ÉVRARD, CUEEP, Lille
  • Jean-Pierre LECLERE, CUEEP, Lille
  • Chantal LEFEBVRE, ALEC, Cauroir
  • Simone MALVILLE, FORMINTER, Sin-le-Noble
  • Amar MOKHTARI, UFCV, Roubaix
  • Régine OLIVA, Lire & Écrire, Charleroi Belgique
  • Smaïne OULD BOUAMAMA, INSTEP, Lille

Expert : Bruno RICHARDOT, responsable ingénierie documentaire au CUEEP-Lille (rédacteur de ce texte final)
Référente : Latifa LABBAS, chargée de mission régionale illettrisme


 

[i] J.P.Leclère, professeur certifié à l'Université Lille1, est tout à la fois conseiller en formation au département Mathématiques du CUEEP et docteur en Sciences de l'Éducation (laboratoire Trigone). Formateur de formateurs dans le domaine « mathématiques et illettrisme » et concepteur de la filière modulaire mathématique de niveau VI du CUEEP, il est coauteur de Lettris. Sa thèse s’intitule : Faire faire des mathématiques à un public en situation d'illettrisme, le contraire d'une utopie.

[ii] Cf. https://equal.cec.eu.int/equal/jsp/dpComplete.jsp?cip=FR&national=NPC-2001-10159.

[iii] Ces notes concernant le public reprennent plus ou moins fidèlement un passage de la thèse de Jean-Pierre Leclère.

[iv] Importance de la manipulation : utiliser tout ce qui constitue le micro-espace de l’apprenant (ce qu'il a à portée de main), voire le méso-espace (ce qu'il a à portée de regard).



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1 juillet 2005

Histoire de globe-formateur

sncf_tgv27 Juin.
Lille Europe 12h17 -> 15h05 Lyon-Part Dieu 15h27 -> 15h45 Vienne (en France !). Ce devait du moins être comme ça. Mon GO préféré m'avait proposé cet horaire, que j'avais accepté. Je pourrais ainsi flâner à Vienne, ville inconnue pour moi. À peine avais-je entendu parler de son festival de jazz, fin juin-début juillet, dont l'affiche 2003 avait fait scandale à l'évêché : le visuel parodiait en diablotin un enfant Jésus tétant la Vierge sa mère ("Vierge noire") ! Cette affaire avait fait provoqué des nauséabonds relents de censure inquisitoriale jusque dans les rangs des élus du Conseil régional, jusque dans les allées de l'exécutif de la Région... En fait le TGV est arrivé chez le Primat des Gaules avec une bonne demie heure de retard. Le TER qui devait me conduire jusqu'à Vienne a donc commencé son office avant que je ne puisse monter à son bord.


jazzaviennebArrivé en gare de Lyon-Part Dieu, je cherche l'horaire du prochain train pour Vienne. Il démarre à 15h47 mais de Lyon-Perrache. Il fait 36°. À peu près. Ma valise et mon sac sont lourds. Je ne suis qu'un quinqua peu clinquant. Je ne connais pas trop bien le trajet d'une gare à l'autre. Je décide d'attendre le prochain départ pour Vienne de Lyon-Part Dieu.

Sortant de la gare, je vois plusieurs terrasses couvertes, prêtes à m'accueillir. J'en choisis une, celle qui a l'air la plus fraîche (?). J'ai le temps. Le train démarre dans presque deux heures. Le temps de déguster goutte à goutte une bière bien fraîche, une Kro quasi glacée. D'ordinaire, j'ai horreur de la bibine glacée, mais là ! Mieux qu'un régal ! Une salubrité privée ! Lyon, capitale des Gaules vend Le Monde dès le début d'après-midi. J'ai ainsi plus d'une heure pour lire Le Monde, version papier journal. Voilà un siècle que ça ne m'est pas arrivé !

lemondefr_grdOn est lundi. Le quotidien que j'ai entre les mains est donc daté de mardi. Dans le supplément hebdomadaire économique, une page entière est consacrée au projet de loi transposant le droit communautaire à la fonction publique, projet de loi adopté en première lecture en mars-avril, et devant passer en seconde lecture au Sénat en juillet. Souviens-toi, camarade contractuel, de ce projet de loi excluant du bénéfice d'un CDI dans la fonction publique - finalement excluant tout court - des personnels aujourd'hui en CDD exerçant des missions d'insertion et de formation, alors même que leur activité permet de satisfaire un besoin pérenne, reconnu par la loi s'agissant de l'apprentissage et de la formation continue... Bref, je lis tranquillement cette page, dans l'espoir de trouver une information rassurante sur le sort que l'on te réserve en haut lieu. Rien. Je ne trouve rien pour étancher ma soif d'info ! Le débat est ailleurs, centré sur le statut de ceux qui ont déjà un statut - et qui font bien de se battre pour qu'il ne soit pas mis à mal !
...
train_compartement17h32. Le TER entre en gare. C'est un train avec des compartiments huit places. Comme quand j'étais petit et que je faisais Paris-Besançon pour les vacances. Il est à peine en retard. L'air est rare dans le compartiment. La clim' envoie une méchante odeur... Une demie heure et je suis à Vienne. Je tire ma lourde valise hors du train. Puis hors de la gare. Puis hors de Vienne. Je franchis le Rhône sur une passerelle réservée aux piétons à valises à roulettes, aux cyclistes et aux autres piétons. Un grand panneau indique "Rhône en fête". En fait, je ne vois rien qui ressemble à ce qu'indique le panneau, pourtant grand. Plus de trace visible du Rhône en fête. C'était il y a une dizaine de jours... De la passerelle, la vue est sympa : on est comme suspendu au dessus du creux central d'un pays aux bords relevés et parsemés de vestiges médiévaux et Renaissance. Romantique ! J'imagine Chateaubriand décrivant le tableau circulaire...


srgPassé la passerelle, je traverse Sainte Colombe puis arrive à Saint Romain en Gal, où se trouve l'hôtel que mon GO m'a choisi et le lieu de la formation que je dois animer du 28 au 30. L'hôtel s'appelle Le Terminus et habite avenue de la Gare. Celle-ci est une vieille bâtisse désaffectée aux pierres jaunies. Quand j'entre dans le bar-hôtel, une femme âgée m'accueille de derrière le comptoir. Je me présente, disant que je viens de Lille. Elle me répond, invoquant le nom de mon GO. Je dis que c'est ça, le nom de mon GO. Nous discutons un peu. Elle est la mère du patron. Elle retravaille depuis aujourd'hui seulement, après une période de maladie et de douleur. Je la questionne sur les conditions d'hébergement et de repas. Elle ne sait pas trop. Je verrai avec son fils. Elle me conduit à ma chambre, montant les escaliers avec peine et souffrance. Elle s'excuse de n'avoir pas allumer les ampoules du couloir. Je lui dis que ce n'est pas grave, qu'on y voit assez et que c'est plutôt agréable par contraste avec la lumière aveuglante du dehors. Elle ajoute, maugréant, que ça permet de ne pas voir la poussière. Elle ouvre la porte de ma chambre, et y jette un regard circulaire, feignant de ne pas voir l'étonnante oblique de la tringle à rideaux. La chambre est assez grande. Deux lits deux places pour moi tout seul ! Les plaques du faux plafond menacent. Quelques toiles d'araignée ont capturé des moutons de poussière, des petits moutons suspendus. Les toilettes sont sur le palier. Il n'y a que six chambres en tout. Posée à droite de la télévision, une bombe "Kapo insectes rampants + 25% gratuit". Je regarde dans les coins et au bas des murs. Beaucoup de poussière. Avant de m'attaquer, les cafards auront à faire le ménage ! Il n'y a pas de gel douche sur le lavabo. J'en parle à la dame qui semble étonnée que je fasse ce constat-là. Je lui dis que je vais aller en acheter. Elle me parle du Casino pas loin...
...
van_der_aa_1725_vienne_palace1Je sors me balader. Je descends vers le Rhône et prends la passerelle. J'erre au hasard des rues de Vienne. C'est tout petit Vienne. C'est tout joli. Tous les volets sont clos. Mais les fenêtres doivent être ouvertes derrière les volets de bois. On entend les bruits familiaux dans les petites rues.


20h. La dame m'avait dit que c'était l'heure du dîner. Je suis ponctuel. Dans la salle à manger, les plaques du faux plafond menacent aussi. Des affiches "Jazz à Vienne" s'étalent en collection sur les murs (série complète 1988-2004). Je revois, non sans un "malin" plaisir, celle de 2003. Le repas se laisse manger. C'est le fils de la dame qui cuisine. Il est sympa. On discute un peu. Il m'explique les conditions d'hébergement et de restauration. La demie pension, ça vaut le coup; ça vous met le repas du soir à cinq ou six euros ! Je vais enfin pouvoir participer au redressement financier de mon institution ! Un tout petit peu. Je veux dire qu'on discute un tout petit peu, le fils de la dame et moi. Car il a à faire : six personnes ! Tout l'hôtel est là, à table(s). Tous les convives, chacun à sa table, sont installés de façon à voir l'écran de télévision extra plat, seul objet de quelque nouveauté dans l'arrière-bar. Dans le poste Monsieur Sarkozy dit que "les faits parlent d'eux-mêmes ". Il n'a toujours pas compris, le pauvre, que les faits ne parlent pas ! Il les fait parler et il dit qu'ils parlent, les faits ! Il est fou ! Fou ? Il sait sûrement trop bien ce qu'il dit, hélas ! Ça manque d'air, tout ça ! Toutes les portes du resto-bar sont ouvertes en quête d'un improbable courant d'air.
...
boug1Il y a quinze jours, quand je suis allé à Beaune pour animer la même formation, mais pour des agents de missions locales de la région Bourgogne, je n'ai pas manqué d'air ! Je me suis laissé aller à dîner façon dégustation de ... Bourgogne. Comme à midi je mangeais pour cinq euros, ça faisait une moyenne honnête, eu égard au "forfait" remboursable... Mais on m'a fait remarquer que mes notes du soir dépassaient les 15,25 euros ! Alors à Saint Romain en Gal, près de Vienne, je fais au plus juste. Tout le monde sans exception aucune dans notre belle institution se serre la ceinture. Il n'y a pas de raison que je n'en fasse pas de même.

J'ai manqué d'air toute la nuit. Température excessive. De plus, il n'est pas question que je dorme fenêtre ouverte. Tout à coup s'incruste sur mon petit écran intérieur une image vue à plusieurs reprises dans les livres scolaires de ma jeunesse, celle où l'on peut voir tous les modes de transports : le long d'un fleuve, une route conduit vers un aéroport d'où décolle un avion, la route longeant un temps une voie ferrée sur laquelle glisse un train plein d'enfants partant en vacances... Je me sentais, quant à moi, cette nuit-là, au beau milieu d'un tel ensemble, parce que j'ai fini par ouvrir la fenêtre pour échapper à une mort lente par suffocation-transpiration : route juste en dessous de ma fenêtre avec voitures sonorisées et mobylettes pétaradantes dessus, autoroute tout en haut avec trafic intense, voies ferrées entre les deux avec trains dessus qui roulent lentement mais lourdement. Tout en bas du tableau coule le Rhône, sans un bruit, mais trop loin pour que je goûte le plaisir de son calme souverain et puissant...

lyceeLe lendemain matin, je rencontre mes stagiaires trihémérides. Enfin ! Je sais que ça ne va pas être de la tarte, ces trois jours d'initiation aux tech- niques documentaires... C'est encore une fois un groupe hétérogène sous plein d'aspects : compé- tence en techniques documentaires, pratiques de la fonction documentaire, ancienneté dans le réseau Missions Locales, rôle et fonction dans la Mission Locale, niveau de formation générale, motivation à suivre cette formation de trois jours, etc. Tout ceci devant être considéré comme un système de données préalablement connues (j'adresse systématiquement un questionnaire préalable aux stagiaires et obtient un taux de réponse important), j'ai le sentiment de détenir une bonne part des rennes de la situation, de pouvoir influer sur le cours et la nature des événements pédagogiques qui vont advenir, de disposer des moyens de, tout à la fois, répondre au besoin collectif de bases méthodologiques en techniques documentaires et prendre en compte l'individualité de leurs motivations et de leurs attentes. Ça me contraint parfois à un grand écart didactique, quelquefois très périlleux. Mais la fonction information-documentation n'est pas suffisamment bien placée dans le rang des priorités des Directeurs de Missions Locales (comme dans les organismes de formation, quoi !) pour que je fasse la fine bouche !

Le premier contact est relativement agréable et la journée se déroule comme prévu, même si je sens que "l'hétérogénéité sous de multiples aspects" est bien au rendez-vous. Dès l'abord, transparaissent des désirs individuels de paroles, paroles de plaisir de sortir le nez de dedans le guidon, paroles de soif de contact hors le bureau du quotidien, paroles de besoin de reconnaissance dans ce qu'on fait, dans qui on est... Les trois journées de formation s'enchaînent tant bien que mal... Ici, comme à Beaune il y a trois semaines, la sagesse est venue parasiter la prestation. Je m'explique.

Les commanditaires - ici les animations régionales des missions locales - attendent de moi que j'établisse une relation privilégiée avec un groupe de personnes désignées, afin que je leur communique les rouages d'une technique déterminée qui se résumerait sous l'appellation "Documenter", et en trois jours s'il vous plaît. Sauf que, malgré tous les efforts didactiques ou pédagogiques qu'on voudra, la technique n'existe pas hors des conditions matérielles et intellectuelles de son déploiement. Quant à l'acte pédagogique en lui-même, il est purement impossible hors des conditions matérielles et intellectuelles de l'expression de sa nécessité. D'où, dans un premier temps, l'incontournable travail initial sur les attentes des stagiaires aux-mêmes, travail relativement approfondi qui permet au groupe stagiaires-formateur de prendre ses marques intérieures et provisoires. Mais, la porte ainsi ouverte à l'expression de soi pour les stagiaires ne se referme pas de sitôt ! On assiste notamment, au fil de la formation, à l'émergence automatique et systématique des questions concernant les conditions de possibilités de la fonction documentaire. Celles-ci ne relèvent pas du champ de la documentation, de la technique documentaire, mais du champ de l'organisation et de la stratégie des organisations, aux quatre niveaux : mission locale, antenne de mission locale, mais aussi animation régionale, voire niveau national. La formation apparaît alors comme triple travail de conscientisation :
  • des prérequis organisationnels et stratégiques,
  • de la professionnalité de la fonction documentaire,
  • des prérequis d'ordre technique et matériel.
Et quand je dis que la sagesse vient parasiter la prestation, je veux dire que, dans le temps même où il prend conscience que la fonction documentaire n'est pas fatalement occupée par des bricoleurs mis au placard, loin s'en faut, le groupe de stagiaires est amené, comme par la force des choses, à défaire ce qu'une décennie de technocrates aidés de leurs soldats universitaires a patiemment construit, je veux parler de l'industrialisation de la formation, de cette idée toute libérale, trop libérale, de la formation-marchandise qui veut que la formation (ne) soit (que) prestation déconnectée de ses conditions concrètes d'usages hormis ce qui peut se dire en termes de rentabilité immédiate, voire de profit mécanique. Et ce ne sont pas les récentes modifications du droit de la formation qui vont contrarier cette tendance lourde, que ces modifications s'appellent simplification ou autrement ! Voyez le tout récent Journal Officiel n°152 de ce 1er juillet 2005 p.10870 sqq., avec un rapport et une ordonnance : il suffit maintenant d'un ... bon de commande (ordonnance n°205-731 du 30 juin 2005) !
Avez-vous remarqué qu'ici le commanditaire et le bénéficiaire de la formation sont différents, que les attentes de l'un - qui est donneur d'ordre, qui prescrit une prestation - et de l'autre - qui "suit" la formation - sont fatalement différentes, voire contradictoires quelquefois. S'élabore ainsi un curieux ménage à trois - prescripteur, bénéficiaire et formateur. Le prescripteur aura beau, d'une part, avancer sans cesse sa qualité de passeur de commandes, et, d'autre part, entretenir du lien hiérarchique avec ceux et celles qui seront bénéficiaires de la formation commandée, il ne pourra empêcher les bénéficiaires réels et la personne du formateur d'établir entre eux une relation humaine, trop humaine. La politique technique gère des marchandises, la politique hiérarchique distribue des pouvoirs, quand la politique humaine cherche de la signification. Et cette quête de signification ne va pas sans la capacité à mettre en cause les certitudes de la technique et les certitudes de la hiérarchie...


affiche_2005Le 29 après la formation, je me hâte de traverser le Rhône, pour aller m'atta- bler sur la place de l'hôtel de ville, face à un podium installé pour le festival de jazz... Vienne est un vaste big-band. À tous les coins de rues ça chante et ça swingue... Ça fait rudement du bien : savourer de la musique en goûtant une bière à l'ombre d'un parasol... Laurence, de la Mission locale du Genevois, vient un temps s'asseoir à ma table. Nous parlons de choses et d'autres, un peu. Nous écoutons ensemble l'orchestre de jazz, un peu. Puis elle est partie retrouver quelques autres membres du groupe. Elles ont pris rendez-vous entre elles devant un hôtel pour vivre ensemble une soirée jazz. Quant à moi je reprends vers 19h45 la route de Saint Romain en Gal. Mon repas du soir m'y attend et je ne le manquerais pour rien au monde. Pas même une note de musique endiablée ! Et puis, il est tombé quelques gouttes aujourd'hui. Peut-être arriverai-je à vivre fenêtre fermée, et à dormir... J'ai hâte d'y être !

En discutant avec Nadine et Linda, deux autres stagiaires, je me rends compte qu'il y a, tout près de l'hôtel où je n'arrive pas à dormir, un hôtel normal, avec climatisation notamment... Il y a une dizaine d'euros à dire...

Ça vaut combien le temps de la reconstitution de la force de travail ?




24 juin 2005

Précisions ministérielles...

      

 

typogenerator_11195943231Ce matin, je me demandais s'il était utile de se poser la question de savoir si un ministre informé en vaut deux. Cet après-midi, je suis comblé : l'AEF publie le texte de la lettre-réponse du gouvernement - qui a l'air informé ! - aux légitimes interrogations de Jean-Raymond Lepinay. Voici le texte intégral de la missive que Gérard Larcher, ministre délégué à l'Emploi, au Travail et à l'Insertion professionnelle des jeunes, a adressée aux présidents des missions locales et PAIO la semaine dernière, le 17 juin très exactement :

"Moins d'une année après l'annonce, par le gouvernement, de l'objectif d'accompagner 800 000 jeunes en difficulté vers l'emploi durable, dans le cadre du plan de cohésion sociale, le dispositif général est en ordre de marche et permet d'enclencher, sur l'ensemble des bassins d'emploi, la dynamique en faveur des jeunes peu ou non qualifiés.

Les missions locales et les PAIO sont au coeur de ce dispositif, au plus près du public bénéficiaire et dans un partenariat étroit avec les collectivités territoriales.

Aussi, je veux en premier lieu vous remercier de votre engagement durant l'année écoulée, ainsi que vous témoigner, au moment où le président de la République vient de me confier la charge de l'insertion professionnelle des jeunes, de mon soutien sans relâche au service de cette cause.

Je souhaite que dès à présent vous mobilisiez l'ensemble des moyens nouveaux mis à votre disposition par l'État pour rendre immédiatement effectif le droit à l'accompagnement des jeunes vers l'emploi durable instauré par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier dernier, et matérialisé par le CIVIS (contrat d'insertion dans la vie sociale).

À cette fin, j'ai demandé aux services centraux et déconcentrés du ministère de faire en sorte que l'ensemble des moyens délégués soit effectivement disponible au profit des missions locales et des PAIO. Mon cabinet veillera à ce que les freins qui pourraient subsister localement au recrutement de l'équivalent de 2.000 postes de référents soient levés rapidement.

À présent j'attends des missions locales et des PAIO qu'elles procèdent, dès maintenant, à la signature de CIVIS au bénéfice d'un maximum de jeunes rencontrant des difficultés d'insertion professionnelle, afin d'atteindre à la fin de l'année l'objectif de 100.000 CIVIS. La souplesse d'utilisation d'un outil comme le FIPJ (Fonds pour l'insertion professionnelle des jeunes) est de nature à favoriser un accompagnement des jeunes personnalisé et adapté aux besoins spécifiques de chacun d'entre eux, en vue de leur accès à l'emploi.

Par votre mobilisation, les missions locales et les PAIO prennent leur part de l'action prioritaire sur l'emploi engagée par le Premier ministre. J'ai souhaité que dans la mise en œuvre de l'objectif d'accueil par l'Agence nationale pour l'emploi des 57.000 jeunes demandeurs d'emploi depuis plus d'un an, le CNML et cette agence établissent, dans le cadre du partenariat en cours et en liaison avec les services publics régionaux de l'emploi, un plan d'action concerté afin que les deux réseaux coordonnent au mieux leurs interventions vis-à-vis de ces jeunes.

En effet, seule la mise en synergie locale des potentiels d'action des acteurs de l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté, dont les missions locales et les PAIO constituent les chefs de file, permettra de ne laisser aucun d'entre eux en marge de l'emploi durable.
"

Bon ! On notera que le coup des « 57.000 jeunes » perd tout des vertus de l'effet de manche de la déclaration de politique générale. Et puis, elle est où la réponse à ma question à moi ?

24 juin 2005

Un premier ministre informé en vaut deux ?

         
typogenerator_1119594323Dès que JPR fut éjecté de son fauteuil, mais avant même sa grande déclaration de politique générale, Dominique de Villepin avait rappelé qu’il n’existait pas de "fatalité pour le chômage" et que "tout n’[avait] pas été tenté", la "bataille pour l’emploi" constituant la priorité du Gouvernement, en particulier pour les jeunes (entretien à TF1 juste après sa nomination, donc). Puis il y eut cette phrase prononcée lors de la déclaration de politique générale : "Je demande donc à l’ANPE de recevoir individuellement les 57.000 jeunes au chômage depuis plus d’un an avant la fin du mois de septembre pour leur proposer une solution adaptée."

Quelque deux semaines plus tard, il récidive devant les préfets : "Pour les contrats aidés dans le secteur non marchand, j’ai demandé à l’ANPE d’engager une opération « jeunes chômeurs ». A partir d’aujourd’hui, elle reçoit les 57.000 jeunes au chômage depuis plus d’un an, pour leur proposer une solution adaptée : un emploi dans une entreprise, un contrat d’apprentissage, ou encore un contrat non marchand. Pour tous ces jeunes qui vont être reçus, et d’une manière générale pour tous les jeunes en difficultés, l’Etat doit se mobiliser en priorité. J’ai donc décidé une mesure d’incitation : jusqu’au 31 décembre prochain, le taux de prise en charge par l’Etat des contrats d’accompagnement dans l’emploi sera de 90%. Cet effort nous permettra de développer rapidement les contrats d’accompagnement dans l’emploi pour les jeunes : 20.000 étaient prévus dans le plan de cohésion sociale ; j’ai décidé de porter leur nombre à 100.000. Je compte sur vous pour promouvoir cette mesure avec volontarisme et dans les délais les plus brefs."

C'est-à-dire que le service public de l'emploi est resté bras croisé depuis tant d'années que le chômage des jeunes pourrit notre monde - mais surtout le leur ? Que non ! Et le premier Ministre le sait bien qui a reçu entre sa déclaration de politique générale et son discours au corps préfectoral une lettre du Président de l'Union Nationale des Missions Locales. Dans ce courrier, Jean-Raymond Lepinay informe que "ces mêmes jeunes sont pour la plupart en cours de signature de CIVIS (contrats d'insertion dans la vie sociale) et accompagnés nouvellement ou antérieurement par des référents conseillers et missions locales". Il s'interroge au sujet des modalités d'accueil par l'ANPE de ces 57.000 jeunes demandeurs d'emploi de longue durée. Question bête :  "comment coordonner le CIVIS, dans lequel est ciblé justement un trajet d'accès à l'emploi, et les propositions d'emploi qui seront formulées par ailleurs par les agents de l'ANPE recevant les mêmes jeunes?". Et le président de l'UNML de poursuivre : "le réseau des 450 missions locales et PAIO a mis en place depuis de nombreuses années un partenariat efficace avec les services de l'ANPE pour mobiliser les jeunes sur les emplois existants. Il souhaite aujourd'hui que ce partenariat soit maintenu et même renforcé s'il en est besoin".

Ainsi les services de Matignon et leur patron ignorerait ce lent et patient travail du SERVICE PUBLIC DE L'EMPLOI en faveur de ces jeunes que le monde économique rechigne à regarder droit dans les yeux, à écouter dans un esprit de dialogue et à inviter à la table du travail ? La lettre du Protocole 2005 des Missions locales  est pourtant on ne peut plus explicite :

« Les missions locales et les PAIO remplissent une mission de service public pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, mission confiée par chaque niveau de collectivité dans son domaine de compétence. Elles ont une double fonction:
  • Aider les jeunes de 16 à 25 ans révolus à résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement.
  • Elles favorisent la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions qu’ils conduisent. Dans ce cadre, l’action des missions locales et PAIO s’inscrira dans les préconisations des schémas régionaux de développement économique (SRDE) et des plans régionaux de développement des formations (PRDF).»
Cette charte a été largement diffusée lors de la 8ème rencontre natioanle des Missions locales, les 9-10 mai 2005 à la Cité des Sciences et de l'Industrie à Paris. Elle est cosignée notamment par le gouvernement... Et l'UNML a raison de faire connaître l'effort déjà ancien de ce vaste réseau qui tente contre vents et marées de remédier au mieux aux malfaçons que le capitalisme dominateur instille depuis des décennies dans notre cohésion sociale. Son président a raison de clamer sa volonté de poursuivre et de demander au gouvernement de tenir ses engagements en la matière...

Allons ! Je suis pour ma part convaincu que Matignon n'ignore rien de tout cela. Il faudrait ne pas les prendre pour des imbéciles, même quand ils semblent le vouloir ! En matière de politique et de lutte de pouvoir, il convient de ne jamais sousestimer la capacité de ruse, l'intelligence (la fameuse métis) de l'autre ! Je suis convaincu qu'il y a derrière tout ça le stratagème de casser le service public de l'emploi. Tout simplement.

Cet épisode de soi-disant mauvaise information du permier Ministre, compris dans l'environnement d'autres faits récents (chômeur aux enchères sur le Net [cf. jobdumping.de], ouverture du « marché » de placement aux entreprises de travail temporaire et autres officines privées, etc.), devrait inciter les responsables du SERVICE PUBLIC DE L'EMPLOI à une prudence extrême, notamment en déposant sur la place publique tous les indices qui permettent de mesurer l'avancée de cette stratégie de l'État chiracosarkosien, stratégie qui ne date pas d'hier.



24 juin 2005

Mathématiques et illettrisme

                           

Maths & illettrisme.
Une action de formation de formateurs sur la durée

typogenerator_1119590770Le « chantier Maths & illettrisme » est né de l'inscription dans un projet EQUAL (Région mobilisée contre l'illettrisme, Nord- Pas-de-Calais) de l'opérationnalisation possible de travaux de recherche universitaire qui tendaient à montrer qu'une formation en mathématiques dans le cadre des ateliers de lutte contre l'illettrisme permet de développer tous les modes de communication qu'ils soient oraux, écrits ou physiques... Des formateurs de formation de base de la région Nord-Pas-de-Calais et de Belgique francophone se sont réunis pour définir des progressions modularisées à partir d’une bonne connaissance de ce que sont les mathématiques et en redessinant la relation maths/illettrisme, puis élaborer des supports pédagogiques en respectant quelques principes d’écriture.

Parmi ces derniers, on notera la détermination de la spécificité des outils pédagogiques par la nature des publics, l'appui sur la réalité épistémologique des mathématiques ainsi que sur la « théorie des registres », enfin la prise en compte ce que savent et comment savent les personnes en formation.

Au fil de l'expérimentation, il apparaît que la pratique développée a un réel impact sur le rapport à soi des apprenants (réassurance, avec effet biographique et effet psychosociologique), leur rapport à la communication écrite et orale et, bien sûr, leur rapport aux mathématiques. Les formateurs engagés sur ce chantier de trois années ont eux aussi bénéficiés des effets de leur propre travail collectif.

maths_illettrisme
C'est ainsi qu'on peut résumer l'intervention qu'a présentée Jean-Pierre Leclère au colloque de l'ANLCI, Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, le 6 avril dernier à Lyon... Bientôt le texte complet de l'intervention dans ces colonnes ainsi que sur le site de l'Agence. En attendant, voici le support d'intervention que j'avais concocté pour mon ami Jean-Pierre...


29 mars 2005

Situations du formateur : 1

                           

La question du rôle et de la compétence du formateur a été soulevée de façon récurrente, voire continue, dans les trois groupes thématiques[1], vous l'aurez compris.

Surtout dans le groupe qui a travaillé sur le lien dynamique entre Technologie de l'Information et de la Communication et Relations d'Apprentissage, le groupe TICRA. Normal, me direz-vous : d'emblée son objet a été défini en ces termes : Les relations formateur-apprenant, apprenant et TIC, formateur et TIC dans les projets qui mobilisent des médiations technique. L'un des objectifs assignés préalablement à ce groupe de réflexion était explicitement d'identifier les difficultés liées aux compétences des formateurs

On évoque en effet le manque de compétence et/ou de temps et/ou de moyens des formateurs pour intégrer les TIC dans leurs pratiques, pour opérationnaliser les bonnes idées d'intégration des TIC dans la pédagogie. Au fil de la discussion, il est même apparu que l'une des missions de ce groupe thématique-là pouvait être de convaincre les "formateurs-qui-ne-savent-pas-l'utilité-des-TIC" de l'intérêt qu'il y a à les intégrer dans leur pratique de formateur, de leur permettre de s'interroger sur ce que les TIC vont optimiser de leur pratique pédagogique actuelle et ce que les TIC vont apporter en supplément...

Ce qu'on peut dire, c'est qu'ici le formateur est immédiatement compris dans un jeu de relations. Et cette inclusion n'est pas le fait exclusif du groupe thématique TICRA. C'est une certitude qui a parcouru l'ensemble des vingt-et-une réunions thématiques : le formateur n'est jamais seul, il n'a de réalité qu'inséré dans un jeu de relations en plusieurs dimensions, à savoir

TICRA :

  • le formateur et l'apprenant,

  • le formateur et les TIC,

  • les formateurs entre eux [accessibilité des TIC aux formateurs pour une meilleure coordination pédagogique (entre formateurs)],

DEPP[2] :

  • le formateur et le projet de l'apprenant, les formateurs entre eux autour de ce projet,
  • les formateurs entre eux pour promouvoir ce qu'on a appelé le "croisement didactique",
  • le formateur et le fameux "tuteur-méthodologue",
  • "travail du formateur, travail social et travail du psychologue",

PEF[3] :

  • le formateur et les situations de travail des apprenants,
  • le formateur et le projet de l'apprenant (plus ou moins approprié d'ailleurs),
  • le formateur et les autres acteurs de la professionnalisation (tuteurs en entreprise, encadrement de proximité...) : le formateur comme metteur en scène... dans la production de compétences, dans la reconnaissance et la validation des compétences,
  • au sein de l'organisme de formation, l'articulation entre la fonction formateur et la fonction ingénieur de formation.

On est allé jusqu'à évoquer la nécessité d'une prise de conscience par les formateurs (l'équipe pédagogique au sens large) des multiples réseaux dont ils sont membres. Le formateur ne peut plus se cantonner dans sa didactique étroite ni se protéger dans une pratique étanche à tous les ruissellements de son environnement.


 

[1] Ce texte veut clore – de façon tout à fait provisoire et événementielle - un travail collectif mené par les permanents du CUEEP, réunis dans trois groupes thématiques de mai 2004 à février 2005…   
AJOUTS DU 30/03/05 :
cf. mon commentaire au petit mot d'Éric DELCROIX ; par ailleurs, je me dis après coup que la relative absence des enseignants-chercheurs tout au long de ce travail collectif qui aura mobilisé une cinquantaine d'heures - sans compter le temps que chacun a consacré à la préparation de ses interventions (grand merci aux deux ou trois qui ont participé !) - signifie que le collectif CUEEP n’est pas dans les priorités de ces "intouchables" universitaires, que l'idée même du CUEEP n'est pas dans l'horizon de leur préoccupation, voire simplement de leur pensée. Pour les anciens du collectif devenus enseignants-chercheurs, l’Institut n’aura donc été qu’un bien utile marchepied « repoussable » – voire devenu repoussant (ah, dialectique, quand tu nous tiens !) - une fois qu’on est parvenu à la hauteur ambitionnée...

[2] DEPP, second groupe thématique : Développement des expériences personnelles et professionnelles.

[3] PEF, troisième groupe thématique : Professionnalisation et Formation.

 

 

suite...


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