L’accès à l’information des personnes exilées à Paris
Le rapport intitulé L’accès à l’information des personnes exilées à Paris (publié le 15 décembre) rend compte d'une enquête menée du 31 janvier au 10 mai 2022 par les équipes d’Action contre la Faim (ACF), Watizat et France terre d’asile (FTDA). ACF et Watizat avaient déjà collaboré avec de nombreux autres acteurs de la solidarité lors de l'enquête qui donna lieu au rapport Les oubliés du droit d'asile l'an dernier. Cette fois-ci, l'enquête a mobilisé une bonne cinquantaine d'enquêteurs et enquêteurs-interprètes rompus à ce genre d'exercice.
Après le court résumé (p.4sq.), l'introduction (p.7-17) balise les questions d'ordre méthodologique propres à cette enquête, d'où il "ressort que l’accès à l’information est essentiel pour pouvoir accéder à la procédure d’asile et répondre à des besoins vitaux, tels que l’alimentation et la santé." Trois sources principales d'information sont utilisées par les primo-arrivants" : leur communauté est la première source d'information (mais aussi lieu de forte solidarité), source naturelle si l'on peut dire ; le 115 est très souvent cité par les personnes et les familles ; enfin, les "dispositifs d’aller-vers" et les accueils de jour jouent un rôle important. Un focus sur les gares parisiennes est proposé p.24. C'est que "les gares sont un lieu important du parcours des primo-arrivant·e·s en Île-de-France : lieu de première arrivée, lieu de repos ou pour passer la nuit en l’absence d’hébergement, lieu de rencontre ou pour trouver une connexion Internet, lieu de passage où il leur est plus facile de se rendre invisible – notamment pour les femmes". Les principaux objets d'information sont au nombre de quatre. Tout d'abord, et parce qu'il y a urgence, c'est l'hébergement. Trois primo-arrivants sur quatre sont sans abris pendant le premier mois. Après trois mois, ils sont encore la moitié ! Or l'hébergement favorise grandement l'accès à l'information, notamment sur les besoins vitaux que sont l'alimentation et les soins de santé physique et mentale. Ici, il faut noter le double rôle fondamental des accueils de jour, à côté des services très concrets ("douches, repas, permanence sociale, WI-FI, téléphones, ordinateurs, permanence juridique, médecins, psychologues, activités culturelles, cours de français, etc.). Tout d'abord, rôle d'orientation (orientation "à 360°") vers les structures qui pourront apporter une aide efficace, mais aussi rôle de socialisation : "ces espaces sont des lieux de sociabilisation où les personnes accueillies tissent des liens et s’informent auprès de leurs pairs".
La procédure de demande d’asile est chose complexe, surtout pour les primo-arrivants, voire pour celles et ceux "qui les accompagnent dans leurs démarches". "Entreprendre la démarche d’une demande d’asile demande à la fois une compréhension de la procédure globale, mais aussi une visibilité suffisante des [différents acteurs] et instances de l’asile." Les pages 35 à 38 sont consacrées au vécu de cette complexité - qui existe non seulement en amont de la procédure, mais aussi tout au long de cette procédure.
Reste la question cruciale des canaux de communication et de la compétence des uns et des autres à s'y engager. La moitié des primo-arrivants est non francophone, près du tiers relève de l'illettrisme voire de l'analphabétisme. Du coup, "l'interprétariat est une demande spécifique de la part des personnes exilées dans le cheminement de la demande d’asile". Si "près de 55% des personnes interrogées ont besoin de l’accompagnement d’un·e interprète dans leurs rendez-vous administratifs", "43% des enquêté·e·s indiquent ne pas avoir eu accès à un·e interprète à chaque rendez-vous." À ce stade et vu la dématérialisation forcenée des démarches administratives (qui exacerbe la "barrière de la langue"), les intervenants sociaux et autres bénévoles ont un rôle majeur dans la compréhension par les primo-arrivants de leur propre situation et de leur propre démarche. Par ailleurs, éditer des guides pour les demandeurs d'asile n'est pas, en soi, suffisant, quand bien même ils existent en plusieurs versions linguistiques différentes comme le Guide du demandeur d'asile en France publié par le ministère. D'autre part, la diffusion de tels guides est loin d'être systématique. Ainsi seul un primo-arrivant sur cinq connaît le guide Watizat (papier et numérique, multilingue, actualisé mensuellement), qui finit par trouver son efficacité maximale dans les mains des accompagnants...
Fort de tous ces constats, dûment documentés, le rapport propose une série de recommandations sur trois axes :
- assurer une information claire, complète et adaptée aux primo-arrivant·es sur leurs droits et sur la procédure de demande d’asile dès leur arrivée ;
- renforcer l’accompagnement des demandeur·ses d’asile tout au long de la procédure ;
- adapter les supports d’information aux besoins et conditions de vie des personnes exilées.
Un rapport bien ... informé, non seulement grâce à l'enquête elle-même, mais aussi par le jeu de références bibliographiques au fil du texte et par la bibliographie de la p.61 !
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Le 20 décembre, InfoMigrants fait le point avec Léa Richardot, chargée de projet à la mission France d'Action contre la Faim. C'est ici.