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BRICH59
23 avril 2017

Les cinq lieux de l'ADBS

"Que représente l’ADBS pour vous ?". J'ai dû répondre à cette large question dans le cadre de l'incitation à candidatures pour le Conseil d'Administration de l'ADBS. Extraits (remaniés).

L’ADBS, lieu de professionnalisation
Lorsque je me suis engagé dans le métier de documentaliste - c'était il y a plus de trente ans -, l'adhésion à l’ADBS a été très concrètement pour moi la possibilité d'intégrer une communauté professionnelle dont la fréquentation m'a appris le métier. Parmi ces professionnel(le)s de l'information, il y avait des personnes qui portaient haut les couleurs de l'association - au rayonnement de laquelle elles avaient largement contribué, en région Nord[*] et sur le plan national. Leur enthousiasme pour l’action associative, pour l'action collective m'a positivement contaminé et je suis convaincu qu'aucune formation ne m'aurait autant apporté en matière de professionnalisme et d'ouverture quant à l'impact de nos compétences sur les organisations pour lesquelles nous travaillons.


L’ADBS, lieu de réseautage
L’autre geste fondateur pour moi a été de me rapprocher des documentalistes travaillant sur les mêmes thématiques que moi (formation, emploi, sciences de l’éducation, etc.). C’est ainsi qu’est né le Collectif Documentaire Emploi-Formation régional, qui fut l’occasion d’une véritable optimisation de la ressource documentaire sur le bassin lillois, en même temps qu’un échange de compétences entre les membres du collectif (AFPA, Université, Rectorat, CRDP, CARIF, ANPE, DRTE, etc.), d’autant plus riche que chaque membre du réseau faisait lui-même partie d’un réseau institutionnel. On appellerait ça un réseau aujourd’hui, un réseau de réseaux, un réseau humain à haute densité professionnelle. Il a fonctionné plus d’une décennie, produisant par ailleurs quelques bibliographies et autres travaux documentaires à l’adresse des acteurs des services publics de l’emploi, de l’éducation et de la recherche. Comme ce travail collectif sur l'Évolution des métiers de la formation des années 70 à l’an 2000...


L’ADBS, lieu de formation
C’est dans ce cadre riche que j’ai fourbi mes premières armes pédagogiques au sein de l’association, organisant notamment avec d’autres membres du collectif régional, une formation ADBS sur la veille appliquée au secteur éducation. Lieu éminent de professionnalisation, l’ADBS devenait pour moi, un authentique lieu de formation continue de ses membres et plus globalement des professionnels de l’information et de la documentation – en toute complémentarité avec les formations initiales dispensées par l’Université, qui me sollicita rapidement pour témoigner de la technicité de nos activités professionnelles en même temps que de la capacité d’une association professionnelle à porter un discours pédagogique construit et surtout « authentique » en quelque sorte.


L’ADBS, lieu d’écriture praticienne
Après quelques années de métier et de confection de bibliographies et autres travaux documentaires utiles aux professionnels du secteur où se situait mon rôle de professionnel de l’information (sciences de l’éducation & formation continue), je ressentis le besoin d’expliquer aux autres comment j’envisageais l’un des avenirs possibles de la bibliographie. C’est l’ADBS qui accueillit un article sur ce que j’appelai alors l'herméneutique documentaire, en fait sur la question du sens et des références en documentation (DocSI, vol.33, n°1, 1996). Mon association était clairement un authentique et chaleureux lieu d’expression où les adhérents pouvaient soumettre l’état de leur réflexion professionnelle, hors des cadres sacro-saints de la publication universitaire, trop souvent interdite aux « praticiens ».


L’ADBS, lieu de « germination associative »
Enfin, dès le début de mon engagement dans le métier de documentaliste, je ne pus résister à l’envie, au besoin de mettre la main à la pâte : je devais participer à l’animation associative en région. J’intégrais donc immédiatement le bureau de la délégation régionale Nord-Picardie, d’abord et longtemps en tant que coordinateur formation, puis plus tard en tant que délégué régional – ce que je suis toujours. En effet, s’il doit y avoir activité associative, c’est là où se trouvent les professionnels de l’information et de la documentation, où se trouvent les adhérents, c’est-à-dire, de ma lorgnette, en région Nord-Picardie, puisque je travaillais sur la métropole lilloise. Il n’était pas question pour moi de cantonner l’ADBS dans un rôle de superstructure jacobine qui distribue savoir-faire et savoir-être sur le territoire. Au contraire, les professionnels des territoires ont du savoir-faire et du savoir-être à apporter à la collectivité, tout autour d’eux mais aussi en rayonnement national. C’est ainsi que je devins membre du Conseil des régions de l’ADBS, pour finir par en devenir le Président. Ce rôle me propulsa dans les sphères décisionnelles de l’association : le Président du Conseil des régions est membre de droit du Conseil d’Administration et du Bureau. Voilà quelques mois, dans la perspective de la cessation de mes activités professionnelles, je me suis dessaisi de ce rôle, pour recentrer mon énergie sur ma délégation régionale qui sommeillait quelque peu, afin qu’elle participe à l’alimentation territoriale de l’association.

[...]

"Quelle satisfaction tirez-vous du fait d’être administrateur de l’ADBS ?" était une autre question.

Réponse : "Juste la satisfaction d’œuvrer au bien commun, accompagnée du plaisir de restituer autant qu’on a reçu."


 [*] Voir ces "pionniers du Nord" dont parlait DSI en 2003 (vol. 40, n° 2).

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20 avril 2017

Questions autour de la participation citoyenne en bibliothèque

couvVoilà des décennies que la politique de la ville vibre au diapason de la démocratie participative. Il y a exactement cinquante ans, expérience fondatrice, les habitants d'un quartier de Roubaix, l'Alma-Gare, se mobilisaient contre un projet de « rénovation urbaine » par lequel les « autorités » entendaient démolir l'habitat et déporter la population, par souci d'hygiénisme et de recomposition sociologique. Un « atelier populaire d'urbanisme », association de quartier, voyait le jour quelques années plus tard. L'expertise changeait de camp, les habitants proposaient leur propre projet - que l'autorité municipale dut accepter dans ses grandes lignes (1978). Expérience fondatrice mais rare. Voilà des décennies que l'usager-acteur est exhibé par les serviteurs de l'État et des collectivités locales, comme une vieille rengaine qui chante l'invivable frustration sur l'air d'un désir qui ne veut pas mourir.

À voir le nombre de manifestations organisées autour de la parution de l'ouvrage coordonné par Raphaëlle Bats, Construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, les bibliothèques publiques se sont saisies de la problématique de la participation citoyenne. L'introduction de l'ouvrage se donne comme « mode d'emploi », et sa conclusion comme « memento ». « Mode d'emploi » parce que, par souci de cohérence entre le sujet traité et l'organisation de l'ouvrage, la lecture de ce dernier se doit d'être participative, au risque de s'y perdre - d'où la nécessité de proposer une carte de lecture qui dégage quatre itinéraires possibles et complémentaires. « Mémento »parce que, s'« il n'existe pas une seule bonne façon de mener un projet participatif », un « plan méthodologique » semble malgré tout nécessaire pour conduire des actions participatives capables de « réellement repenser la bibliothèque : ses services, ses pratiques, son rôle institutionnel ». Entre le mode d'emploiet le mémento se glissent de très intéressantes contributions, constructions théoriques ou relations d'expériences, signées de seize auteurs. L'ensemble est organisé en trois parties : « Repenser la bibliothèque ensemble », « Partager les savoirs », « Décider ensemble ».

Deux réflexions peuvent naître à la lecture. L'une concerne les publics et parle de dynamique territoriale. L'autre concerne les bibliothèques et évoque les conditions de possibilités d'une intelligence collective.

Tout d'abord, force est de constater que, comme la plupart du temps, l'innovation vient des marges, mais qu'ici il s'agit de marges si je puis dire internes à l'écosystème bibliothèque. De fait, si l'on veut construire ou co-construire des pratiques participatives dans les bibliothèques, le travail ne doit-il pas commencer en amont, sous peine de n'être que du marketing de surface ? Ainsi, mieux faire participer les publics déjà présents, voire potentiels (presque là), au fonctionnement de la bibliothèque, pour louable qu'en soit l'intention (l'usager au centre, etc.), est une chose. Inciter les non publics de la bibliothèque à participer à l'organisation de cette dernière en est une autre. L'innovation viendra à coup sûr avec la prise en compte de nouveaux publics, et de façon socialement plus marquée quand il s'agit de non publics, de publics a priori éloignés de la bibliothèque. Des expériences ont bien été menées. Je me souviens d'une collaboration entre la Bibliothèque départementale de prêt du Pas-de-Calais (à l'époque on disait Bibliothèque centrale de prêt), l'Université de Lille1 et une organisation d'éducation populaire. C'était dans les années soixante-dix/quatre-vingt : chaque partenaire avait outrepassé le cadre strict de son fonctionnement statutaire pour installer la lecture publique au cœur et à la main de la population du territoire. Le dépassement des limites institutionnelles comme facilitateur de participation des publics. Vaste sujet !

La seconde réflexion qu'inspire la lecture des contributions de notre ouvrage se formulera sous forme interrogative : les velléités de mise en place de pratiques participatives dans les bibliothèques sont-elles réellement possibles dans des institutions socio-professionnellement figées dans leurs stratifications ? En d'autres termes, cette mise en place ne suppose-t-elle pas un fonctionnement décloisonné, voire démocratique, au sein même des bibliothèques ? Aussi bien réglées que soient méthodologie et procédures, l'intelligence collective nécessaire à l'innovation peut-elle se déployer dans un milieu cloisonné, sur un terrain plein d'antagonismes sclérosant, hypothéquant tout accord préalable sur les pratiques, interdisant du coup que la bibliothèque se fasse communauté de pratiques ? Il est loin d'être sûr qu'un conservateur et un magasinier ou un adjoint du patrimoine, par exemple, vivent (dans) la même bibliothèque. Sur une telle différence conflictuelle, peut-on construire une intelligence collective, condition sine qua non de toute avancée organisationnelle significative et durable ?

Bref, le légitime désir de démocratie participative au sein des bibliothèques publiques peut-il, d'une part, s'interdire de bouger les lignes institutionnelles afin de privilégier une authentique prise en compte du territoire et, d'autre part, s'interdire de renégocier l'organisation interne de la bibliothèque afin de libérer le potentiel d'innovation que ne manquera pas de créer l'intelligence collective ?


 Note rédigée pour l'ADBS [pdf]

20 avril 2017

Les 500 mots métiers. Bibliothèques, archives, documentation, musées

Une porte d'entrée lexicale dont les professionnels tireront grand profit

couvLe premier mérite de ce lexique est de couvrir les quatre écosystèmes du document, ceux que Suzanne Briet, par exemple, avait déjà regroupés en marquant la convergence du trio « A, B, M : Archives, Bibliothèques, Musées » vers la documentation. Quant au Palais mondial de Paul Otlet, ce « fondateur » qui pointa si finement les ambitions des métiers de la documentation (qui sont toujours aujourd'hui les nôtres), n'était-il pas tout à la fois centre d'archives, bibliothèque et musée ?

Aux temps d'Otlet et de Briet, la question se posait en termes dynamiques (convergence chez Briet, évolution en synthèse chez Otlet). Aujourd'hui, on peut légitimement faire l'hypothèse que les quatre métiers forment bel et bien un vaste chantier cohérent - quand bien même une telle cohérence se dissimule sous un plus ou moins joyeux fatras d'innovations métiers, de secousses technologiques et de révolutions managériales. Nos professions ne se retrouvent-elles pas régulièrement depuis des décennies pour se questionner mutuellement sur ce qui les distingue et/ou les réunit, employant pour ce faire un langage commun ? Bref, mêler, comme font Jean-Philippe Accart et Clotilde Vaissaire-Agard, les quatre métiers pour en dresser l'inventaire lexical est du meilleur aloi, dans la mesure précisément où il permettra au professionnel de l'archive de se familiariser avec le langage du professionnel de la bibliothèque, par exemple, participant ainsi concrètement au tissage de la cohérence dont nous parlions.

Le second mérite de l'ouvrage est précisément d'être un lexique, c'est-à-dire un recueil de termes mais un lexique à jour, proposant pour les termes utiles à nos métiers des définitions précises et contextualisées. La sociologie des professions a toujours mis en avant, à juste titre, le rôle structurant de la terminologie professionnelle. Cet ouvrage constitue ainsi une porte d'entrée lexicale dont les futurs professionnels tireront grand profit, leur permettant de se familiariser avec la terminologie de la profession où ils entrent. C'est seulement ensuite que, spécialisant et affûtant leurs pratiques, ils iront chercher les lexiques plus pointus. De tels outils existent. Ce qui manquait, c'est ce socle lexical que constitue Les 500 mots métiers.

Le troisième mérite de ce recueil de mots-métiers est son traitement du multilinguisme. Les auteurs ne sont pas tombés dans le piège grossier de l'anglicisation globalisante aussi stupide que violente que nous connaissons, hélas, depuis quelques années, voire quelques décennies dans nos métiers. Les lemmes sont français et les auteurs proposent systématiquement les équivalents extralinguistiques après le lemme (en l'occurrence anglais, allemand). Les entrées en langue étrangère sont par ailleurs regroupées par ordre alphabétique en annexes - ce qui permettra à nos cousins germanophones ou anglophones de se frayer un chemin dans ce dédale linguistique fort riche d'où émergera peut-être une certaine idée francophone de nos métiers mais où le respect linguistique laissera de toute façon le champ libre à la fructifiante activité qui consiste à « penser entre les langues ».


 Note rédigée pour l'ADBS [pdf]

20 avril 2017

Créer et gérer une photothèque : organiser son fonds d’images

Un ouvrage pédagogique et professionnel

couvQui souhaite connaître ce qu'est le métier d'iconographe grâce au site de l'ADBS [1] est invité à lire le témoignage d'une professionnelle [2]. Il s'agit de Caroline Lefranc, membre du secteur Audiovisuel de l'ADBS en région Aquitaine et auteure d'un ouvrage très éclairant sur le métier de photothécaire.

Depuis l'aube de la documentation, l'image et notamment la photographie ont une place importante dans les pratiques documentaires. Paul Otlet n'en faisait-il pas grand cas ? Reste que, malgré le déversement imagier sur le Web, de Facebook à l'AFP en passant par les galeries personnelles mises en ligne par les particuliers, les photothèques sont encore trop méconnues aujourd'hui, y compris par les professionnels de l'information, relativement peu d'ouvrages s'y étant consacrés depuis quelques décennies.

Celui que propose Caroline Lefranc vient à point nommé, près de quinze ans après celui que Cécile Kattnig avait réalisé pour la collection « 128 : Information et documentation » de l'ADBS chez Nathan et que Lisette Calderan avait présenté dans les colonnes de Documentaliste. Sciences de l'information (2003, vol.40, n°3). Depuis le début des années 2000, le paysage a bien changé, qu'il s'agisse de la manipulation de l'image, de son stockage, de son analyse et de sa diffusion.

Après une brève histoire de la photographie et quelques précisions fondamentales sur ce qu'est une photothèque, l'auteure nous entraîne dans l'organisation d'un fonds iconographique, de sa création jusqu'à sa valorisation. Nous découvrons ainsi les différentes phases de la création d'une photothèque et, partant, les missions que le photothécaire est amené à exercer. Nous retrouvons là notre chaîne documentaire, mais dédiée à la gestion des fonds d'images. Tout est minutieusement décrit et prescrit.

Pédagogiquement assuré, le ton est on ne peut plus professionnel, que l'on baigne dans la sphère technique de l'image, dans le monde changeant de l'information ou dans le milieu contraignant du droit. La lecture de l'ouvrage permettra à coup sûr à maints professionnels de l'information néophytes de créer et gérer une photothèque en même temps qu'il constituera un guide pratique structurant pour le professionnel déjà initié à la gestion des images. Les annexes, enfin, fournissent de précises et précieuses indications, du glossaire au modèle d'autorisation de diffusion d'image.

La table des matières et l'avant-propos sont consultables en ligne [3]. Une bibliographie, large dans son propos mais relativement ramassée (23 réf.) clôt l'ouvrage. Enfin, cerise sur le gâteau, les éditions Klog nous offrent de télécharger le tableau comparatif très renseigné des logiciels de gestion électronique de documents ou de gestion des actifs numériques, tous logiciels analysés pour la rédaction de l'ouvrage, à savoir Agelia, Alchemy, Algoba Systems, Armadillo, Bynder, Cadic Services, Einden, JLB Informatique, Keepeek, Mobydoc, Propixo et Wedia [4]. Parions que ce tableau sera mis à jour quand le besoin s'en fera sentir.

______________________

1 adbs.fr/iconographe-131401.htm
2 adbs.fr/caroline-lefranc-iconographe-independante-en-region-aquitaine-73089.htm
3 fr.calameo.com/read/000593651b819a701166d
4 editionsklog.com/pub/livres/Phototheque_Logiciels.pdf


Note rédigée pour l'ADBS [pdf]

20 avril 2017

Un éclairage sur les articulations dynamiques entre deux pans de la pensée de P.Otlet

« Novam evolvere humanitatem - Meliorem exaltare civilisationem - Altiores cum rebus jungere ideas - Opus maximum instruere mundaneum »[1]. C'est sur ces quatre impératifs que se referme le Traité de la documentation. Le livre sur le livre (1934).

couvMais le Traité n'est pas près de se refermer vraiment. Tout d'abord, énonçant méticuleusement les ambitions qui sont encore les nôtres aujourd'hui, son texte travaille encore, nous travaille, nous les professionnels de l'information et de la documentation. Il nous porte et nous interroge à la fois, plus de quatre-vingt ans après sa publication aux Éditions Mundaneum, sises au Palais Mondial, à Bruxelles. Ensuite, le Traité n'est que l'une des pièces du puzzle, une pièce importante certes, mais en laquelle on ne saurait résumer l'œuvre de Paul Otlet. Le « grand œuvre », ce n'est ni le Traité de la documentation ni l'Essai d'universalisme intitulé tout simplement Monde (1935). Ce sont les deux à la fois, et encore davantage. Ces deux grands traités et tous les « petits » écrits d'Otlet[2] pointent ensemble vers un espoir fou mais tenace, une sorte d'utopie régulatrice. L'utopie, écrit Paul Otlet, « est comme une hypothèse au sujet des rapports mutuels existant entre les choses, une hypothèse scientifique à vérifier expérimentalement et qui, vraie ou fausse, impose une direction et un programme aux recherches qui resteraient autrement fragmentaires [...]. Quand nous aurons des laboratoires consacrés à l'invention sociale, comme nous en avons pour l'invention technique, nous progresserons à pas de géants. »[3]

Pour schématiser, disons que l'utopie d'Otlet est comme fondée sur deux axiomes : 1.les hommes doivent pouvoir s'entendre entre eux et vivre en paix au-delà des nations ; 2.la connaissance totale est possible qui aidera les hommes à dépasser l'émiettement du savoir. De là à faire de Paul Otlet un platonisant prônant le rôle fondamental de la connaissance universelle partagée dans l'élaboration et le maintien de la paix entre les hommes, il n'y a qu'un pas - qu'on aurait tort de ne pas franchir. Reste qu'il n'est pas si aisé de repérer les sources où Otlet s'est abreuvé tout au long de sa vie. On saura gré à Paul Ghils de jeter quelques lueurs et de proposer quelques pistes dans sa propre contribution à l'ouvrage qu'il dirige[4].

Ceci dit, la force de Paul Otlet tient semble-t-il non seulement dans cette ténacité utopiste mais aussi dans un syncrétisme riche et puissant qui, précisément, rend difficile l'identification des sources philosophiques. Paul Otlet a su mettre au service de son utopie la somme de la réflexion humaine disponible au début du XXe siècle. Il porte en lui comme l'air du temps intellectuel et scientifique, de la plus Haute antiquité à ses contemporains immédiats.

Nul ne saurait, sans forfanterie, prétendre embrasser l'œuvre de Paul Otlet, tant le spectre de son activité fut large. La plus grande part de cette activité renvoie à des événements et à des situations de sa jeunesse. On peut en effet légitimement se demander si, par exemple, les propriétés familiales de l'île du Levant puis, surtout, de Westende n'ont pas déclenché le regard architectural et urbanistique de Paul Otlet. On pourrait évoquer aussi ses heures de bibliothèque en tant qu'élève, ou encore son appartenance à une famille industrielle d'une grande puissance coloniale. Plus globalement, Paul Otlet porte sur le monde un regard élargi : rien ne semble lui échapper, qu'il s'agisse de l'industrie, des bureaux, des associations, de la technologie, de l'éducation, des bibliothèques, de la presse, de la photographie et de l'image en général, de l'urbanisme, etc. Toute la littérature produite depuis quelques décennies invite à approcher quelques pans de l'activité de Paul Otlet. L'ouvrage dirigé par Paul Ghils présente le grand intérêt de laisser voir les articulations dynamiques entre deux de ces pans, constitutifs de cette « double utopie » qu'évoque le sous-titre : la « connaissance totale » et la « cité mondiale ».

Les professionnels de l'information et de la documentation connaissent a priori la première, ou du moins les éléments qui devaient en constituer les conditions de possibilités : le RBU, répertoire bibliographique qu'un langage classificatoire (la CDU) et une série de normes pouvaient rendre universel. Les agents actifs pour concrétiser ce projet sont disséminés dans le monde, chaque nation contribuant à l'alimentation dudit répertoire... Otlet était un organisateur, un normalisateur, mais pour laisser le champ au déploiement de l'utopie internationaliste, c'est-à-dire pacifiste - à la différence de certaines institutions technico-politiques qui, aujourd'hui, imposent la normativité comme principe contraignant du politique.

Certes l'« utopie documentaire » d'Otlet court toujours le risque d'être considérée comme ce qui pourrait outiller voire générer, bien malgré elle, jusqu'à ces contre-utopies, ces « dystopies de l'indexation des personnes »[5]. Mais l'homme qui voulait tout classer[6] n'est-il pas avant tout cet « entrepreneur des outils de la connaissance au service de la paix » dont parlent Stéphanie Manfroid et Jacques Gillen[7] ? Il en va de la connaissance comme de la documentation, sa vertu est ancillaire. Elle est « au service de », en l'occurrence au service de la paix, de la paix entre les hommes, de la paix mondiale. Certes, il y eut d'autres voies pour œuvrer à cette paix. Très tôt, Paul Otlet a eu l'intuition pacifiste, dès L'Afrique aux noirs (1888)[8] et jusqu'au soir de sa vie, notamment aux côtés d'Henri La Fontaine, avec le projet de la Société des Nations.

L'autre branche de la « double utopie » vise le confort, ou plutôt l'épanouissement tout à la fois intellectuel, artistique et sportif des hommes pacifiés et propose d'organiser leur vie quotidienne. L'architecture et l'urbanisme ont de tout temps intéressé Paul Otlet qui y trouvait l'un des moyens de réaliser ses utopies, l'un des moyens de « concrétiser les idées les plus hautes ». Plusieurs des contributions de cet ouvrage exposent les conceptions architecturales et urbanistiques d'Otlet, leurs soubassements autant que leurs développements. Ce qu'on peut en retenir, c'est bien la place centrale de la communication scientifique. Et c'est peut-être ce qui unit les deux branches de l'utopie de Paul Otlet : l'encyclopédie, comme forme possible de l'achèvement jamais réalisé du travail intellectuel, où le savoir construit trouve, grâce aux techniques documentaires, à se réunifier, à se rassembler dans la cohérence totale[9].

L'utopie selon Otlet n'est-elle pas comme une finalisation du syncrétisme qui récapitule par le désir d'un autre monde que celui où nous vivons, d'un monde vraiment - c'est-à-dire humainement - mondial ? « La Cité mondiale que les nations ensemble se seront construite et où habitera en esprit l'Humanité : la Beata Pacis Civitas, la Bienheureuse Cité de la Paix »[10]. La fusion entre « paix » et « cité » est totale et absolue[11]. Elle est pensée mais réalisable[12]. C'est l'Humanité qui la justifie.

Mille fois hélas ! À ce jour, l'Humanité n'a pas dépassé « son stade actuel d'antinomie, d'antipathie et d'antagonisme »[13].

_________________________

1 « Faire éclore une humanité nouvelle - Améliorer la civilisation - Unir les idées les plus hautes et les choses [Concrétiser les idées les plus hautes (?)] - Outiller ce grand œuvre qu'est le Mundaneum ».

2 De l'âge de quatorze ans jusqu'à ses derniers jours, Paul Otlet ne cessa d'écrire et de dessiner. Cf. la bibliographie proposée par W. Boyd Rayward, http://people.ischool.illinois.edu/~wrayward/otlet/otbib.htm.

3 Monde. Essai d'universalisme, p. 202

4 Cet ouvrage, dont on lit ici une présentation critique, est une version élargie d'une livraison récente de Cosmopolis (2014/3-4) dont Paul Ghils est le rédacteur en chef, livraison qui, pour une part, reprenait, avec de légères adaptations, des articles parus dans Associations transnationales (2003/1-2). La contribution de Paul Ghils, « Fonder le monde, fonder le savoir du monde ou la double utopie de Paul Otlet » (p.197-225), fait partie de ces derniers.

5 Olivier Le Deuff. « Utopies documentaires : de l'indexation des connaissances à l'indexation des existences ». Communication et organisation, 2015, n°48, p.93-106. Voir aussi, par exemple, « Le cauchemar de Paul Otlet » dont parle Isabelle Barbéris (Cités, 2009, n° 37, p. 9-11)

6 Cf. Françoise Levie. L'homme qui voulait classer le monde. Paul Otlet et le Mundaneum. Les Impressions nouvelles, 2006

7 « Les papiers personnels de Paul Otlet », p.175 sqq., in : Jacques Gillen (dir.). Paul Otlet, fondateur du Mundaneum (1868-1944). Architecte du savoir, artisan de paix. Les Impressions nouvelles, 2010

8 Le titre est très explicite, malgré quelques relents colonialistes mettant en avant une hiérarchie des civilisations. En effet, le jeune Otlet n'utilise le terme « civilisation » que pour ce que l'Europe peut apporter à l'Afrique et ce à quoi cette dernière peut aspirer, par opposition à ce qu'il appelle la « barbarie africaine » (p.14), les Noirs Américains apparaissant dans un entre-deux... Faut-il y voir juste l'air du temps ?

9De ce point de vue, l'entreprise de Wikipédia (à la différence de Google) apparaît éminemment conforme au projet d'Otlet, comme un lointain prolongement, une actualisation des travaux des sessions de l'Université internationale des années 20.

10 Monde. Essai d'universalisme, p. 455 sq.

11 Cette équation n'est pas sans rappeler ce terme russe mir qui signifie tout à la fois « monde »et « paix ».

12 Hendrik Andersen n'avait-il pas réalisé des plans présentant « magnifiquement la Cité en soi », alors que Charles-Édouard Jeanneret-Gris (Le Corbusier) et Pierre Jeanneret avaient réalisé des plans pour Genève et Anvers ? (op. cit note 10, p. 456, n.1).

13 Op. cit. note 10, p.457 sq.

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Note rédigée pour l'ADBS [pdf]

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16 avril 2017

Même pas en rêve !

L'autre jour, dans ma boîte aux lettres (sur laquelle est inscrite que je ne souhaite aucune publicité), ceci :

JWSi j'ai bien compris ceux qui se prétendent "témoins de Jéhovah" prônent une lecture approfondie de l'Écriture sainte, de la Bible. Au verso de cette image, deux citations, une de l'ancien testament (Isaïe) et une du nouveau testament (Luc). Le site de cette multinationale religieuse (Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania) ne se contente pas de planter ses vigiles aux coins des rues ("La tour prend garde", "Réveillez-vous", etc.) ni d'envoyer des frappeurs de portes importuner les citadins. Elle farcit aussi nos boîtes aux lettres... Vont-ils un jour nous laisser en paix ?! Ils veulent faire rêver de la paix, mais n'en sont pas capables...
Je trouve qu'une société multinationale américaine qui prône la lecture sacrée et qui fourre ses sales papiers dans des boîtes aux lettres qui écrivent vouloir rester indemne de saleté publicitaire, je trouve que ça pose un problème : en fait, ILS NE SAVENT PAS LIRE !

C'est la première fois que j'ai ça chez moi. D'habitude ce sont les agences immoblières qui n'arrêtent pas d'inonder les boîtes aux lettres de leurs saletés. J'ai fini par en prendre mon parti et jette sans lire leurs immondices.
Dernier en date : un certain Didier Roux, conseiller immobilier, a laissé sa carte de visite. Poubelle ! Reste qu'un agent immoblier qui ne sait pas lire, ça aussi ça pose un grave problème. Comment lui faire confiance quand on négocie avec lui ou par son intermédiaire ? Poubelle !


 

9 avril 2017

Tirer la chasse très régulièrement

Sujet : Refonder notre politique familiale
De : =?UTF-8?Q?Fran=C3=A7ois_Fillon?= <info@emv.information-consommateur.fr>
Date : 09/04/2017 04:02

Début de l'entête d'un message non demandé tombé ce matin dans ma boîte aux lettres électronique.

Message :

CaptureRenseignements pris, l'expéditeur envoie aussi des messages de publicité de pinards, etc. L'équipe Fillon ne recule devant aucune outrance ! À moins que ce ne soit un coup du cabinet noir... De toutes façons, ça finira immédiatement aux chiottes, avec tous ces spams qui y courent déjà automatiquement... Le porno, le Fillon, les outils de jardin... il faut savoir tirer la chasse très régulièrement !


 

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