La commission des finances de l'Assemblée nationale (présidée par Pierre Méhaignerie) vient d'émettre douze recommandations pour relancer la formation continue dans les universités.
Pour comprendre le peu d'investissement des universités françaises en matière de formation continue, voire de "formation tout au long de la vie", la commission des Finances avait demandé à la Cour des comptes d'examiner les actions de formation continue menées par les universités. C'était le 15 novembre 2005 ; un an après, le 24 novembre 2006, la Cour a rendu sa copie.
La Cour des comptes a travaillé :
sur l'étude d'un échantillon de quatorze universités (dont aucune université lilloise), représentant le quart des recettes annuelles de la formation continue dispensée dans l'ensemble des universités,
sur plusieurs contributions fournies par les chambres régionales des comptes,
sur les auditions des responsables du ministère chargé de l'enseignement supérieur, de la conférence des présidents d'université et de la conférence des directeurs de service universitaire de formation continue
sur le bilan, établi par le ministère chargé de l'enseignement supérieur, des actions de formation continue conduites par les établissements publics d'enseignement supérieur.
Le 20 décembre dernier, le "rapporteur spécial", le député UMP de Savoie Michel Bouvard, dépose un rapport d'information sur le bureau de l'Assemblée Nationale, au nom de la commission des finances. Ce rapport de 112 pages comprend :
le document de la Cour des comptes (p.27 sqq.) simplement intitulé La formation continue dans les universités,
la communication du "rapporteur spécial" (pp.5-14),
le compte rendu de la discussion qui a eu lieu au sein de la commission des finances, dont l'audition du directeur général de l'Enseignement supérieur, Jean-Marc Monteil (pp.15-25).
Pour le rapporteur spécial, l'affaire est entendue et les conclusions qu'il tire de la lecture de l'étude de la Cour des comptes s'énoncent sans ambiguïté :
"les activités de formation continue ne constituent toujours pas, à de rares exceptions près, un axe majeur de développement pour les universités, dont la politique en la matière est souvent peu lisible"... Ainsi la Cour des comptes souligne-t-elle "la méconnaissance de l'activité de formation continue, de ses publics, de son coût, de son financement et de ses résultats, tant dans les universités elles-mêmes qu'au niveau ministériel" - rien que ça ! Il apparait que les universités elles-mêmes trouvent grand intérêt à ce grand flou qui permet notamment une sous-estimation des dépenses réellement liées à la formation continue, avec report de ces dépenses sur le budget d'État (par exemple, les adultes en reprise d'étude ne sont pas caractérisés en tant que tels et sont comptabilisés pour calculer la dotation globale, normalement plutôt destinée à donner des moyens pour la FI). Il apparait également, et c'est forcément lié (surement cause et conséquence à la fois), que le ministère (qui reconnait par ailleurs, lors de la discussion, la piètre qualité de ses informations, "non par volonté d’opacité délibérée, mais du fait de graves lacunes dans les systèmes d’information" - p.18) pêche par carence : il n'a tout simplement pas de stratégie - du moins énoncée - en matière de FC universitaire...
"l'activité de formation continue et son financement se caractérisent par une grande opacité"... Alors que, depuis 1984 puis de façon récurrente depuis, la FC a été affirmée comme une "mission de service public" constitutive de l'identité politique des universités françaises, l'observateur peut toujours chercher l'explicitation de cette politique et ses déclinaisons territoriales, il en sera pour ses frais! Les députés avaient déjà soulevé la question (cf. le rapport d’information n°3160 de juin 2006 autour de la Mission d'Évaluation et de Contrôle sur la gouvernance des universités dans le cadre de la LOLF) : on parle ici de la gouvernance même des universités. Par exemple, l’article 8 du décret du 18 octobre 1985, qui confie au président de l’établissement une responsabilité essentielle ("sur [sa] proposition, le conseil d’administration définit la politique générale de tarification des actions de formation continue compte tenu du coût global de la formation continue évalué chaque année", sachant que les "composantes [participent] à ces missions, dans le cadre des orientations arrêtées par le conseil d’administration"), cet article n'est, en règle générale si je puis dire, pas respecté. Ne serait-ce parce que l'engagement des présidents d'université, nécessaire à la mobilisation coordonnée des composantes, est "très insuffisant, voire parfois inexistant" - constatait la Cour des comptes.
Bref, "aujourd'hui, nous sommes dans une logique de formation tout au long de la vie et il n'y a aucune raison que l'université n'y prenne pas sa pleine part", aurait insisté le député Michel Bouvard. D'où la nécessité de "relancer" la formation continue dans les universités françaises - ce à quoi veulent aider douze recommandations des députés, rangées sous quatre axes. Je vous les donne telles quelles, dépouillées de leurs attendus et justifications, mais souvent flanquées d'un Nota Bene qui n'engage que moi.
1. Améliorer la connaissance de la population des stagiaires en formation continue
Recommandation n°1
Évaluer de manière plus fine l'effectif des bénéficiaires de formation continue dans les universités, en intégrant les adultes en reprise d'études et en excluant les personnes suivant des formations d'éducation populaire.
N.B. "L'éducation populaire est nécessaire et doit être encouragée, mais ses bénéficiaires n'ont pas vocation à être recensés au titre de la formation continue", dit le rapporteur spécial, sans pour autant définir ce qu'est l'éducation populaire, qui se voit par ailleurs attribués les "auditeurs en formation culturelle" (?). Peut-être sommes-nous ici en présence de l'ambiguïté qui a présidé à l'élaboration du droit de la formation (cf. loi de 1971, et le début du livre IX du Code du travail notamment) et qui faisait de la FPC un hyponyme de l'éducation permanente, alors même que l'explicitation des objectifs ce qui a été institué en 1970/1971 et après n'a été opérée que pour ce qui concerne la justification "politique emploi" de la formation - sachant par ailleurs que la relation emploi-formation est toujours introuvable... Bref, on est ici devant un vide conceptuel béant et durable de la définition de l'éducation permanente, on bute ici contre le non-traitement juridique du réseau conceptuel de l'éducation permanente.
Reste que, très formellement (c'est-à-dire en faisant l'impasse sur la question de la signification des expressions qu'on utilise là), il est clair que l'éducation dite populaire ne saurait, selon nos députés (le texte de la Cour des comptes ne parle pas, quant à lui, d'"éducation populaire"), être comptabilisée dans le cadre des universités en tant que formation tout au long de la vie [concernant cette dernière expression, il est clair que la justification de son emploi par les autorités ministérielles est la même que pour la mise en place du LMD : question de visibilité à l'échelle européenne - cf. p.18].
Ceci dit, il y a une piste d'explication : le rapporteur spécial nommerait "éducation populaire" ce qui en fait relève de structures style "université du troisième âge", "université du temps libre", "université pour tous", voire université ... "populaire" (la Cour des comptes parle de "formations non diplômantes "à caractère culturel", notamment dans le cadre de l’université inter âges", p.47). Comme si l'adjectif 'culturel' ne faisait que caractériser, en creux, ce qui ne saurait être finalisé par l'emploi ou le diplôme. Alors là, je crois que les autorités se mettent le doigt dans l'œil au sujet du 'culturel' et de son statut dans la cité et dans la vie ! Mais ceci est un autre débat...
Recommandation n°2
Confier au bureau chargé de la formation continue au sein de la direction générale de l'enseignement supérieur une mission d'analyse de la formation continue délivrée par les universités, qui devra faire l'objet d'une communication annuelle devant la Conférence des présidents d'université.
Recommandation n°3
Compléter les effectifs mobilisés au sein de la direction générale de l'enseignement supérieur au titre de la formation continue et créer un bureau chargé uniquement de la formation continue.
N.B. Ces deux recommandations ne concernent directement que l'administration centrale.
2. Doter les universités d'outils de gestion performants et harmonisés
Recommandation n°4
Mettre en place des systèmes d'information et de gestion de la formation continue dotés d'interfaces avec les autres systèmes d'information en usage dans les universités, compatibles entre les universités et avec ceux du ministère chargé de l'enseignement supérieur.
N.B. Ici, le rapporteur spécial précise que ces systèmes d'information doivent permettre, LOLF oblige et LOLF aidant, de "définir les orientations stratégiques"... comme si une stratégie ne devait être construite que d'éléments financiers.
Recommandation n°5
Encourager les universités à constituer des équipes administratives chargées spécifiquement du pilotage de la formation continue.
N.B. Idée que l'organisation de la FC exige des compétences spécifiques. Ce n'est pas le cueepien que je suis qui dira le contraire ! Le CUEEP n'a-t-il pas largement contribué à la modélisation des fonctions de la FC ? N'est-ce pas le CUEEP qui, en région Nord-Pas de Calais, forme, depuis fort longtemps déjà, aux métiers de la formation continue ?
3. Affermir la gouvernance des universités
Recommandation n° 6
Diffuser auprès des universités une brochure présentant les principes régissant la formation continue dans les universités, notamment le rôle respectif des acteurs - président d'université, conseil d'administration et conseils des composantes, ainsi que les avantages qui y sont attachés.
Recommandation n° 7
Insérer de manière systématique dans les contrats quadriennaux un volet relatif à la formation continue, qui présente la stratégie du ministère et celle de l'université, fixe des objectifs chiffrés, notamment en termes de parts de marché, et assortis d'indicateurs pertinents, et, enfin, évalue les moyens financiers mis en œuvre.
Recommandation n° 8
Moduler les dotations du ministère en fonction des efforts menés dans la définition d'une politique de formation continue et des résultats enregistrés. Sanctionner financièrement le défaut de respect des règles, notamment comptables, déterminées par les textes régissant la formation continue.
N.B. La lecture de ces trois recommandations laisse penser qu'on s'acheminerait vers un système renouvelé de contractualisation entre l'État et les universités en matière de politique de formation continue (déjà proposé par la Mission d'Évaluation et de Contrôle sur la gouvernance des universités dans le cadre de la LOLF, dont le député Bouvard est l'un des rapporteurs...) : par exemple, le Président d'université devrait s'assurer de la "définition d'une politique claire", avec "objectifs précis et chiffrés" et indicateurs de suivi "fiables", sous peine de réduction de la dotation globale de fonctionnement. Parmi les objectifs, à noter la mise en avant d'"objectifs en termes de parts de marché relatif à la formation continue". Pas question de publics de la formation, encore moins de non-publics ici : nous sommes maintenant très loin de la "mission de service public" pourtant mentionnée plus haut. Dans ses excès, le libéralisme se prend les pieds dans sa propre histoire - il paraît que c'est un phénomène tout à fait français.
Recommandation n° 9
Inscrire dans la charte d'objectifs de l'Agence de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur que sa mission d'évaluation des établissements d'enseignement supérieur doit obligatoirement comporter un volet consacré à leur politique de formation continue.
N.B. Le décret n°2006-1334 du 3 novembre 2006, qui organise l'AERES et statue sur son fonctionnement, n'évoquait pas explicitement la mission FC des universités...
Rapport Brunhes (1989?) toujours efficient : la capacité à s'auto-évaluer est l'un des principaux critères de la qualité. L'université devra donc être capable d'évaluer elle-même son activité FC. L'évaluation par les "stagiaires" devra elle aussi être mise en place et prise en compte (notre document n'en dit pas davantage là dessus... le Cour des comptes se contentant d'en constater la rareté). Puis donc le travail de l'AERES...
Recommandation n° 10
Enrichir les indicateurs présentés dans le projet annuel de performances, par exemple en précisant la part des recettes issues des activités de formation continue rapportée au montant total des ressources propres des universités.
N.B. Les indicateurs de résultats style part de la FC dans les diplômes obtenus ou nombre de VAE ne sauraient suffire à mesurer la "performance" de l'université en matière de FC. Il convient d'ajouter d'autres indicateurs de type financier qui, visiblement, permettront de mesurer la performance... C'est quoi la performance ?
4. Encourager les rapprochements entre les universités et les "prescripteurs" de formation continue
Recommandation n° 11
Encourager les partenariats entre les universités et les régions, notamment en confiant aux conseils académiques de l'éducation nationale une mission de concertation sur la formation continue délivrée dans les universités et en associant davantage les universités à l'élaboration des schémas régionaux de formation continue.
N.B. La compétence régionale, définie par les lois de décentralisation, étant ce qu'elle est, on voit mal comment la FC universitaire pourrait faire l'économie d'un tel "partenariat". Sauf que l'Académie de Lille ne s'est pas dotée de son conseil académique de l’éducation nationale (CAEN)...
Recommandation n° 12
Encourager les partenariats entre les universités et les financeurs privés.
N.B. Rien à dire ici, sauf que ça fait belle lurette que les organismes universitaires et associatifs de formation continue qui cherchent à développer un travail vers les "non-publics" de la formation se disent qu'ils doivent absolument équilibrer financements publics et financements privés... et pourtant n'y parviennent pas... Vaste problème.