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BRICH59
29 septembre 2015

Des bibliothèques populaires à la lecture publique / sous la dir. d’Agnès Sandras

 

Des bib

L'histoire des bibliothèques populaires n'est pas un long fleuve tranquille, loin s'en faut, et notamment quand elles doivent amener à la lecture publique - ce qui est sûrement leur objectif le plus précieux.

Plus de trente-cinq ans après Les bibliothèques populaires[1] de Noë Richter, un colloque « Les bibliothèques populaires d'hier à aujourd'hui » s'est tenu début juin 2014 à l'Arsenal (BnF), à l'initiative de la Bibliothèque des amis de l'instruction du IIIe arrondissement de Paris[2], afin d'exposer le renouveau des recherches sur les bibliothèques populaires. Un curieux paradoxe justifiait l'entreprise de Noë Richter : écloses aux XVIII-XIXes siècles, les bibliothèques populaires vont favoriser l'émergence de la lecture publique dans la première moitié du XXe siècle, alors même qu'elles s'éteignent progressivement mais, surtout, que les historiens les boudent, voire oublient leur existence. Dans le direct prolongement de l'entreprise de Noë Richter (et de celle, contemporaine, de Jean Hassenforder qu'on oublie trop rapidement), un travail historien minutieux s'est engagé au plus près des archives locales, aujourd'hui de plus en plus accessibles en ligne. Ce travail permet de restituer les contextes, conflictuels ou apaisés, où les bibliothèques populaires ont pris leurs marques socioculturelles et sociopolitiques.

L'ouvrage dirigé par Agnès Sandras accompagnait le déroulement du colloque de 2014. Il en constitue les actes, enrichi de quelques articles. Rassemblant vingt-cinq contributions pour une vingtaine de contributeurs (historiens, sociologues, bibliothécaires et conservateurs des bibliothèques mais aussi jeunes doctorants et chercheurs confirmés), il comprend cinq parties. La première situe les enjeux et les difficultés de l'accès au livre au XIXe. La deuxième propose quelques études autour des Bibliothèques des amis de l'instruction. La troisième met en lumière les avancées culturelles et éducatives des bibliothèques populaires, toujours au XIXe siècle. La quatrième partie nous emmène à l'étranger visiter l'histoire des bibliothèques populaires anglaises, belges et argentines. La dernière partie négocie le passage du XIXe au XXe siècle - ce que quelques contributions des parties précédentes proposaient quelquefois. Une bibliographie indicative (plus de 80 références) invite à la lecture historienne. Enfin, un index des noms de personnes, lieux et institutions suit la liste des auteurs et celle des illustrations.

Si l'histoire de la bibliothèque populaire n'est pas un long fleuve tranquille, force est de constater avec joie que la lecture de l'ouvrage se pratique telle la descente d'un fleuve. On se laisser porter par les textes introductifs d'Agnès Sandras (une introduction générale puis une introduction à chaque partie), textes résultant d'une remarquable problématisation et d'une densité réflexive nourrissante. Descendant le fleuve, libre au lecteur de décider ou non une escale, de s'arrêter dans un de ces nombreux espace/temps qui habitent l'une et l'autre rives. De telles escales l'entraîneront en des contrées trop méconnues de la lecture publique et pourtant si riches de problématiques fondamentales.

En ces temps où la technologie et la matérialité en général encombrent notre capacité de réflexion, l'ouvrage (comme le colloque qui le justifie) est salutaire. Sa lecture ne peut qu'ouvrir notre regard, au-delà de l'horizon imposé de la technique et hors du tempo de sa course effrénée à l'innovation à tout prix, sur des interrogations où l'humain se dessine et où la société se pense en humanité. Peut-être la question fondamentale de l'ouvrage est-elle celle-ci : que reste-t-il de « populaire » dans ce qu'on appelle aujourd'hui la lecture publique ? Sortons de cette « connotation univoque et péjorative » de l'étiquette « populaire » dont parle Agnès Sandras ! Osons placer la bibliothèque dans la stricte perspective éducative et culturelle ! Relisons, une fois encore, Noë Richter quand, installant la bibliothèque dans l'orbite de l'éducation permanente, il voulait comprendre l'enchaînement qui conduit de la lecture populaire à la lecture publique[3]. Relisons Richter et inversons l'enchaînement : comment la bibliothèque favorise-t-elle le passage de la (simple) lecture publique à la lecture populaire ? Personne ne niera la perspective éducative de la bibliothèque. Elle est comme ancrée dans notre culture. Mais qui va jusqu'au bout du traitement de cette question ? Qui va poser la distinction, fondamentale, entre public et non public, et proposer une stratégie sociale pour faire venir à la lecture celles et ceux qui n'y ont pas objectivement accès, celles et ceux qui n'ont pas même idée de ce « plaisir incommensurable de la lecture » vanté par Agnès Sandras ?

Relisons, par exemple, ces Regards neufs sur la lecture que posaient dès 1949 Geneviève Cacérès[4] et avec elle tout Peuple et Culture ! Ces regards brillent encore !

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[1] Noë Richter, Les bibliothèques populaires, Paris, Cercle de la librairie, 1978
[2] Cette bibliothèque serait la dernière « bibliothèque populaire » encore existante (cf. http://bai.hypotheses.org)
[3] Noë Richter, Bibliothèques et éducation permanente. De la lecture populaire à la lecture publique, Bibliothèque de l'Université du Maine, 1981
[4] Geneviève Cacérès, Regards neufs sur la lecture, Éditions du Seuil, 1949. Une édition augmentée est parue en 1961, avec la collab. de Joffre Dumazedier, Georges Jean et Jean Hassenforder. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb318961203/PUBLIC

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Note publiée initialement sur le site de l'ADBS - qui en propose une version pdf.
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