À quoi ça sert, un blog ? À râler structuré !
Demain après-midi, je participe à la manifestation Blogs en Nord, qu'organise Éric Delcroix
avec Lille3... On risque de se demander à quoi ça sert un blog, dans le
secteur de la documentation, dans les entreprises. Ce soir, je sais à
quoi ça sert un blog : ça sert à râler, à râler en écriture, c'est-à-dire à râler structuré, si je peux me permettre cette drôle d'expression. Ce soir, malgré la fatigue, je râle !
INTOUCHABILITÉ
Vous
avez sûrement entendu ce ministre de la République, un "homme de loi",
comme on dit (pour ne pas dire autre chose), avant d'être le "gardien du sceau de l'État",
vous l'avez entendu dire qu'il fallait savoir prendre le "risque de
l'inconstitutionnalité", présentant cette prise de risque comme une
bravoure politique, une noblesse de caractère, etc. On croit rêver ! On
marche sur la tête ! J'espère que notre bon ministre va se faire
remonter les bretelles comme il convient, avant qu'il ne soit trop tard
!
Ça, c'est ce que j'appelle le syndrome de l'intouchable[*].
J'ai déjà rencontré des gens touchés par ce syndrome dans ma longue
vie. Ce sont en général des gens haut placés dans la hiérarchie
sociale, économique et/ou politique. La configuration est simple :
il y a un malaise dont personne ne veut porter la responsabilité ;
quelqu'un arrive pour dissiper ce malaise, se présentant comme un Zorro de circonstance (en fait, on est bien d'accord qu'il trouve un intérêt tout personnel à se donner ce travail-là) ;
il s'arroge tous les droits, y compris ceux que la morale la plus élémentaire réprouve, sous prétexte qu'il faut ça pour dissiper le malaise dont personne ne veut assumer la responsabilité ; d'ail- leurs faut pas trop en parler parce que ça raviverait le malaise ;
et comme personne ne veut assumer la responsabilité du malaise, personne ne dénonce l'immoralité du Zorro - qui devient donc proprement - si j'ose dire - INTOUCHABLE ;
et si Zorro fait des victimes, c'est tant pis pour eux ; ils n'avaient qu'à pas se trouver là !
Voilà,
c'est un schéma assez simple à comprendre. Je n'insiste pas, et la
gravité du malaise de départ ne changera rien à l'immoralité de
l'affaire.
Ce que je peux par contre mettre en regard du comportement
de ce ministre de la République, c'est qu'on va opposer très durement
des arguments de droit pur et dur aux salariés de la SNCM qui ont pris
possession de leur outil de travail... C'est comme pour les victimes
des Zorros : s'ils clament qu'ils sont victimes et que c'est injuste et
immoral, on les assome avec des arguties juridico-moralistes pour
qu'ils arrêtent de râler et soient heureux de n'être pas morts tout à
fait. En
fait, à un certain niveau, on peut voir la morale et le droit se
refiler la patate quand elle devient vraiment trop chaude. Encore ce système de "solidarité
des complexes" qu'a bien vu François Brune lorsqu'il analyse les mythes de
notre modernité...
En gros, ça donne ici le jeu suivant : tant que Zorro paraît légitime
et (c'est-à-dire, au choix, caresse dans le bon sens les poils de
l'opinion morale des gens ou va dans le sens des "affaires"), on n'est
pas trop regardant sur la légalité ; mais quand on met en cause la
moralité de Zorro, il vous ressort des principes du droit - ceux-là
mêmes qu'il a éventuellement bafoués juste avant.
Le
second point qu'on peut mettre en avant dans cette discussion sur le
syndrome de l'intouchable, c'est qu'il n'est généralement pas seul,
l'intouchable - ce qui lui vaudra quelquefois de faire le fusible. Il
n'est pas seul : il a une caste derrière lui, une caste dont les
membres sont prêts à avancer les arguties de droit ou de morale pour
défendre leur ami intouchable. La victime de l'intouchable, elle, est
vraiment seule. Seule contre une caste... Dans les petites affaires de
la vie professionnelle, on a tous vu ça fonctionner très bien - moi en
tous cas, j'ai vu ça de très près, de trop près et n'oublierai jamais,
je crois. Dans le cas de notre bon ministre prêt à "risquer
l'inconstitutionnalité" et invitant les représentants du peuple à la
courir avec lui, les choses risquent de se dérouler un peu plus
rudement : pour avoir une caste derrière lui, il risque surtout d'en
avoir une ou plusieurs en face de lui (opposition politique, syndicats
professionnels du droit, etc.). Et c'est tant mieux !
RÉPRESSION/COMMUNICATION
À propos du
même malaise que celui qu'utilise notre Garde des Sceaux pour jouer les
zorros intouchables, son collègue ministre mais patron de parti
politique en ajoute une dose mais sur un autre registre : il faut
attenter à l'intégrité physique des méchants (le fameux suivi
médicamenteux, que d'aucuns appellent improprement castration
chimique). M'insurgeant contre la seule idée qu'on puisse légalement -
au nom de la loi comme disait ce bon vieux Joss - toucher à l'intégrité
physique et/ou psychologique des personnes, je ne dis pas que le viol
ne doit pas être puni très sévèrement. Mais la gravité du crime ne peut
pas permettre qu'on aille jusque là. C'est ce dont Badinter et
Mitterand nous ont convaincu. On ne peut pas revenir en arrière. Même
par petites touches insensibles... Soyons donc vigilant.
Vous
me direz que nos ministres sont en mal de communication et qu'ils sont
prêts à tous les excès pour être sur la scène, sur le pont comme on dit
à la SNCM ? Vous vous trompez ! Ils communiquent très bien. À preuve,
ce qui suit.
Il
y a une heure un mèl est tombé dans ma boîte aux lettres
professionnelle (bruno.richardot@univ-lille1.fr). Je vous en mets
ci-contre l'image du début...
Intéressant non ?
Moi
qui un jour m'étais fait engueuler par ma "hiérar- chie" parce que
j'avais diffusé à tous mes collè- gues un message dénon- çant ceux qui,
en
toute légalité, bafouent quotidiennement les droits les plus
élémentaires de l'humain, je pensais naïvement, très naïvement que
Monsieur Sarkozy, "gardien de l'ordre public" ne ferait jamais ça. On
m'a personnellement déjà opposé le fameux "devoir de réserve" (la
fonction publique serait la grande muette) et je me suis tu. Eh
bien si ! Lui, le ministre de l'intérieur et des cultes, il le fait !
Notre
gardien de l'ordre public utilise les
adresses électroniques professionnelles des fonctionnaires pour faire
sa communication partisane. On vit dans un monde formidable ! Même
qu'on dirait que (la lutte contre) le terrorisme et la délinquence
finissent par être ainsi mis en scène dans notre bonne vieille
République républicaine. Et vous allez voir qu'on va nous présenter ça
comme un progrès ! Ah progrès, que ne fait-on en ton nom !
Ceci
dit, j'attends avec impatience ce documentaire intitulé Sarkozy mot à
mot, co-produit par Serge Moati et France Télévision, prêt à être diffusé depuis avril
dernier, documentaire où sont "décortiquées" les paroles du ministre.
Dans ce film d'une heure, Gérard Leclerc et Florence Muracciole font
réagir des hommes politiques
entre autres aux "mots" clés du vocabulaire de Sarkozy. Et depuis que Le canard enchaîné
du 8 juin en a parlé, j'attends avec impatience. J'aime quand on
m'explique ce qu'il y a sous les mots. J'aime comprendre. Souvenez-vous
du sous-texte...
[*] Je ne parle
évidemment pas ici des intouchables indiens (les Dalits)... Par certains aspects,
ces intouchables-là sont aux antipodes de ceux dont je parle ici. Quand je dis "intouchable", c'est dans le même sens qu'Isabelle Hontebeyrie au sujet des journalistes ou qu'Annick Perbal parlant des chercheurs en France,
par exemple. Ou encore au sens où Louis XVI conservait dans la
conscience collective une image d'intouchabilité... jusqu'à ce que les
députés votent son exécution, le 20 janvier 1793.