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BRICH59
28 février 2015

Hudon, chapitre 4

Une partie de mon cours de L2 sur la création de thésaurus (Lille3, UFR DECCID, département SID) est consacrée à la tecture approfondie de bel ouvrage de Michèle Hudon sur ce sujet.

Un de mes étudiants de naguère a mis en ligne sa présentation du chapitre 4 de l'ouvrage :


 

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28 février 2015

Les mots sales

aedoinoAinsi Jacques Ardoino n'est plus.Il avait l'âge de mon père aujourd'hui déjà disparu.

De nombreuses personnalités lui ont rendu hommage, tel Christian Verrier.

Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois, lors d'un séminaire interne organisé par le département Relations Humaines du CUEEP dans les années 90.

Une seule fois, précédée de la lecture de ces écrits, écrits toujours épais, riches de sens et de significations, écrits germinatifs, du genre de ceux qui font réfléchir, qui vous déséquilibrent le cervelet tout en vous donnant les moyens (les mots, les concepts, les connexions, etc.) de retrouver un autre équilibre bien plus solide et généreux, ancré dans la complexité de la vie pensée.

Une seule fois, une seule, mais je m'en souviens comme si c'était hier. Il avait avancé l'idée forte que les mots ont toujours un sens propre, certes, mais aussi plein de "sens sales" ! Ayant touché à la philologie quand j'étais jeune, j'étais sensible à la polysémie "naturelle" des mots, à leur épaisseur plus ou moins stratifiée repérable dans le temps (temps des textes témoins), mais là, Ardoino y allait fort : les mots ont un ou plusieurs sens "sales" ! Diable ! Pourquoi salissure et pas seulement polysémie ou historicité etc. ?

Je n'ai jamais posé la question à Jacques Ardoino. Je n'en ai jamais vraiment cherché la réponse ni l'ai même jamais posé si nettement. Cela se formule aujourd'hui, maintenant qu'il n'est plus. Enchaînement étrange de circonstance, non ?

En fait, je me demande si le "sale" n'intervenait pas dans le discours de séminaire, à l'adresse de gens venus docilement boire les paroles du sage, comme une provocation à leur intention, un coup de poing à leur entendement studieux, une provocation pour faire éclater la douce certitude du dictionnaire élémentaire, du dictionnaire qui affirme le ou les sens des mots (en moyenne et dans un dictionnaire francophone, un mot aurait cinq signification différentes), du dictionnaire qui laisse penser qu'il détient un savoir des mots, un savoir établi, stabilisé (la mise à jour annuelle n'ayant a priori que deux justifications : bonne conscience sociolinguistique et rentabilisation économique de l'entreprise). Car à bien regarder, il y a quelque chose qui cloche dans l'enchaînement où le lecteur va chercher dans le dictionnaire ce que signifie un mot, alors que ce mot utilisé par tel auteur peut très bien avoir un sens nouveau, un sens oblique, un sens oublié... surtout s'il s'agit de poésie par exemple. Cela relève carrément du cercle vicieux quand on regarde le statut des dictionnaires de langues dites mortes - dont les seuls témoins sont des textes, voire des textes peut-être fautifs dans la copie de copies qui nous est parvenue. Cercle vicieux au sens où :

  1. ces textes - avec toutes leurs "fragilités" - sont les seuls garants de l'emploi des mots ;
  2. c'est par l'analyse philologique de ces textes que les auteurs de dictionnaires ont fait des hypothèses sur leur signification ;
  3. nous allons, humanistes du XXIème siècle, chercher dans ces dictionnaires de quoi comprendre ces textes ;
  4. nous utilisons, humanistes du XXIème siècle, ces dictionnaires pour imaginer comment fonctionnait telle ou telle langue disparue... oubliant que l'acte de lecture est poseur de sens...

Mais je m'égare ! Ardoino n'a jamais parlé des dictionnaires de langues disparues. J'ai juste tiré un fil de la bobine qu'il m'avait un jour proposée...

Peut-être que Jacques Ardoino parlait de sens sale par opposition au fameux "sens propre" et en faisait ainsi un synonyme de "sens figuré". Pourquoi pas (figure rhétorique?), mais je n'en suis pas si sûr. Sauf à penser à une opposition de même niveau que celle du latent et du caché, de l'explicite et de l'implicite, etc.  et où recourir aux sens sales d'un mot permet de lui donner sa bonne assise sémantique, à mettre le sens "propre" dans la bonne perspective sémantique. Un peu comme si le sens propre d'un mot était la partie visible d'un iceberg...

Ou alors il s’agissait d’octroyer au sens "figuré", au sens "décalé" (changement de registre), à la métaphore, au déplacement de sens un rôle sémantique de premier ordre, un rôle consistant à entourer le sens "propre" des deviances propres à lui restituer son identité, sa qualité la plus profonde, la plus épaisse et la plus complexe...


 

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