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BRICH59
29 mars 2005

Situations du formateur : 2

       
Pour tenter d'y voir le plus clair possible là-dedans, osons schématiser.
M'en tenant strictement au discours collectif qui a émergé des groupes thématiques et en me calant sur la triple problématique de ces groupes, je dirai que le formateur est en relation avec l'apprenant pour troisa objectifs globaux:
  • pour l'outiller (TICRA),

  • pour le professionnaliser (PEF),

  • et pour l'accompagner (DEPP).


D'autre part, l'apprenant vient semble-t-il pour trois raisons majeures, toujours si l'on en croit ce qui s'est dit dans les groupes thématiques:

  • l'apprenant vient pour apprendre certes,b

  • mais aussi pour mener un projet, son projet,

  • et, plus globalement, pour parvenir à toujours mieux se situer dans le monde.

Comment ce double triptyque fonctionne-t-il concrètement? Quel est, par exemple, le contenu des trois missions complémentaires du formateur?

1. Accompagner

Accompagner l'apprenant, c'est d'abord prendre en compte son histoire individuelle et sociale en même temps que son projet personnel, social et/ou professionnel. Et la question a été posée explicitement dans les termes suivants: le formateur ne serait-il pas souvent enclin à dire que ce n'est pas son boulot de prendre en compte l'expérience des gens, le problème étant moins son désir de formateur et sa sensibilité à l'expérience personnelle des gens que sa capacité à s'autoriser une telle prise en compte?

La question de la fonction accompagnement renverrait ainsi d'abord à l'image de soi du formateur, à la représentation qu'il se fait de son rôle.

À l'inverse, elle renverrait dans le même temps à l'image que l'apprenant a du formateur: si l'apprenant cantonne le formateur dans un rôle de transmetteur de savoir, la fonction accompagnement ne pourra s'épanouir.

L'accompagnement finalise une relation, donne un sens à une relation; autant dire qu'il se décrète pas unilatéralement, mais se met en place dans le dialogue.

Concrètement, si je puis dire, nous avons décliné la fonction accompagnement sans vraiment nous priver :
  • accompagnement des apprenants dans la formalisation de leurs apprentissages (dans le respect de leur expérience et de leur culture, de leur origine et de leur langage...);
  • accompagnement directement méthodologique (apprendre à apprendre, apprendre à chercher);
  • accompagnement à l'autoformation ou accompagnement dans l'apprentissage de l'autonomie en apprentissage;
  • accompagnement des personnes dans leurs pratiques d'apprentissage non formel;
  • accompagnement des projets des personnes;
  • accompagnement dans l'écriture de l'expérience...
On a même évoqué la nécessité d'accompagner les formateurs eux-mêmes dans leur démarche de professionnalisation de la production pédagogique. En effet la qualité de la production pédagogique, ce n'est pas seulement un simple problème de compétence des formateurs. Ce serait plutôt une question d'organisation collective, s'agissant de la répartition des modalités de production, notamment dans le jeu entre techniciens - qui accompagnent, aident les formateurs un temps - et formateurs - dont les pratiques et les exigences vont dans le sens d'une professionnalisation de la production pédagogique.

Cette hypothèse émise dans l'un de nos groupes thématiques n'est pas sans me rappeler le grand intérêt, pour la qualité des actions de formation, d'un tel dialogue entre compétence technique et compétence pédagogique - ce que Gilles Leclercq et moi avions pointé, il y a une dizaine d'années déjà, en analysant une action de formation en entreprise sur l'entreprise (Cahier d'études du CUEEP, 27, déc.1994).

Mais revenons à l'apprenant.
Accompagner l'apprenant, c'est notamment le mettre en situation et en capacité d'expliciter son histoire et son projet. Par exemple, on peut dire que le rôle d'un organisme de formation dans des activités de type accompagnement-expérience est de permettre d'identifier des savoirs existants et de les nommer comme tels.

Du coup la question du lien entre ce que savent les gens et nos formations se pose de façon accrue: par exemple, nos formations recourent-elles à ce savoir?

Question un cran plus loin: comment prendre en compte l'expérience des gens comme ils sont et comme elle vient à s'énoncer tout en respectant les logiques normatives et les codes qui structurent les formations, voire en constituent l'objet?

La question primordiale, ici, c'est la question de la posture du formateur: on ne peut, par exemple, prendre en compte l'expérience des gens que si on est dans une posture "avec" - posture que nous devons toujours réinterroger, vérifier, car c'est une posture fragile, difficile à maintenir, toujours susceptible de s'effacer pour laisser place à une posture de repli autoritaire...

Et puis, repérer si les compétences et la posture du formateur sont favorables ou non à l'éclosion et à l'accompagnement du projet des personnes en formation, cela n'est pas si facile: on est en effet à l'articulation d'une compétence de type technique et positive (didactique d'une discipline particulière) et d'une compétence à interpréter, c'est-à-dire à reconnaître dans la relation pédagogique ce qui n'y est pas exprimé comme tel. Cette difficulté, ne pourrait-on y voir, pour le formateur, l'occasion de mesurer la difficulté du stagiaire à travailler sa propre expérience. Et d'abord, les formateurs ne pourraient-ils pas en passer, préalablement, par ce travail sur soi, sur leur propre expérience... Si, en effet, ce type de travail n'est pas effectué par le formateur, les dés sont pipés, notamment en ce que, si le formateur ne se connaît pas, il risque immanquablement de ne rien comprendre de ce qui sort du stagiaire, et de projeter sur lui - sans même s'en rendre compte - des choses qui lui appartiennent à lui formateur...

La question de l'accompagnement nous replonge, on le voit ici, au coeur de la relation pédagogique.

À un moment, on s'est demandé quel terme choisir entre accompagnement, guidance, tutorat.

Après discussion dans l'un des groupes, il semble qu'il faille dire accompagnement pour ce qui se passe au sein de l'organisme de formation, réservant le terme tutorat pour ce qui se passe en entreprise - et tant pis pour notre fameux tuteur-méthodologue! Quant au terme guidance, il faudrait lui préférer accompagnement, dans la mesure où guidance induirait une directivité (le guidant sait où il mène le guidé...) - ce qui n'est pas le cas d'accompagnement...

La guidance aurait ainsi un caractère manipulatoire. La question est ici de reconnaître que la manipulation n'est pas fatalement négative, consistant concrètement, par exemple, en une incitation à "voir plus loin" dans son projet pour la personne.

Question en embuscade: à quel titre, moi formateur-accompagnateur, je saurais dans quelle direction je dois orienter le regard de l'autre? Et surtout, au nom de qui ou de quoi, j'orienterais le projet de la personne? Qu'est-ce qui valide mon engagement dans ce type de pratique? La question de l'accompagnement est ici une question tout simplement éthique - que l'on soit, par exemple, dans la situation du tuteur en Atelier de Pédagogie Personnalisée qui accompagne la personne dans la définition de son projet de formation et d'emploi, ou que l'on soit dans la situation du formateur qui accompagne la personne dans le travail de formulation-reconstruction de son expérience passée.

On le voit bien l'accompagnement est une mission problématique à plus d'un titre pour le formateur. C'est pourtant une mission nécessaire.


2. Outiller

Autre grande mission du formateur: outiller l'apprenant, pour qu'il apprenne certes, mais aussi, et c'est relativement nouveau, pour qu'il s'informe et communique. Le mot est lâché: on entre dans le monde des technologies de l'information et de la communication.

Mais d'abord, côté outillage, où en est le formateur? Cette question, jamais formulée aussi explicitement, a obsédé le groupe qui travaillait sur TIC et relations d'apprentissage. Le constat que l'on peut dresser aujourd'hui, à l'occasion de la restitution des travaux des groupes thématiques, c'est au moins que
  • l'outillage n'est pas la chose la mieux partagée au CUEEP: tous les formateurs ne sont pas égaux devant la technologie éducative;
  • l'outillage pédagogique actif actuel au CUEEP représente une sorte de trou noir, le CUEEP ne semblant pas aujourd'hui en mesure de présenter sa boîte à outils pédagogiques (que les outils soient maison ou qu'ils aient été produits par d'autres).
Je n'irai pas trop loin sur les outils, parce que les pédagogues et ingénieurs du CUEEP ne sont pas vraiment d'accord entre eux sur ce que ce mot signifie. Il n'y a pas que ce mot-là, d'ailleurs: ressource, produit, support, médiatisation, scénarisation etc. ont fait l'objet de quelques discussions serrées. On a bien suggéré l'élaboration collaborative, voire collective, d'un glossaire. On a bien rêvé d'une stabilisation de la terminologie et d'un accord collectif sur une telle terminologie stabilisée. Mais le travail reste à faire.

Revenons donc à la mission du formateur: outiller l'apprenant, pour qu'il apprenne disions-nous, mais aussi, et c'est relativement nouveau, pour qu'il s'informe et communique. Ce dernier objectif s'énonce aussi très souvent en termes de citoyenneté, par exemple dans un slogan du style: faire des TIC à tous niveaux et par tous types de moyens possibles pour faire un citoyen d'aujourd'hui. Il y aurait là une sorte de pression exercée par les politiques, notamment au niveau européen... et c'est le visage social du CUEEP qui y répondrait. Comme si l'appropriation des outils de communication et d'information était la condition suffisante au rétablissement de la démocratie... Reste que c'en est bien une condition nécessaire. Ce n'est pas moi qui dirai le contraire.

Outiller l'apprenant pour qu'il apprenne à apprendre, c'est-à-dire outiller l'apprenant en tant que pur apprenant, c'est un rôle qui pose un tas de questions, qui présuppose pas mal de pré-requis qui sont loin d'être satisfaits. Il serait facile d'imaginer ici des cahiers de doléances des provinces cueepiennes. Je crois que ce n'est ni le lieu ni le moment. Ce qu'on peut en dire, à partir de ce que j'ai entendu dans les réunions des groupes thématiques, c'est que:
  • l'angle de réflexion technologique doit sûrement être travaillé, mais il ne suffira pas à résoudre nos problèmes;
  • la question pédagogique, qui est première, trouvera sûrement des débuts de réponses dans une meilleure visibilité interne des pratiques pédagogiques.
Encore faudrait-il - ça, c'est moi qui l'ajoute - que le travail sur l'amélioration de la visibilité ne finisse pas dans un rapport, ni ne se cantonne dans les armoires d'une petite équipe de pédagogues, mais débouche sur un authentique dispositif d'information interne partagé et accessible au plus grand nombre.


3. Professionnaliser

Dernier grand rôle du formateur: professionnaliser.

En effet, jamais peut-être la pression sociale n'a été aussi forte. Jamais la finalisation de la formation par l'emploi n'aura été affirmée avec autant de pugnacité qu'en ces temps de libéralisme dur. On n'a le sentiment que ce qui ne se justifierait pas dans une logique de mise à l'emploi n'est pas légitime.

S'il me semble clair qu'on ne doive pas tomber dans un tel extrémisme - qui d'ailleurs ne nous appartient pas -, il est tout aussi clair que le CUEEP se doit de répondre à la demande sociale de professionnalisation, surtout s'agissant de publics éloignés de la qualification, s'agissant de personnes laissées pour compte par ce libéralisme toujours plus dur de notre époque.

Et là, je crois qu'il y a au moins deux vérités à énoncer. La première intéresse le formateur dans le processus de professionnalisation, la seconde concerne l'offre de formation du CUEEP. Je n'invente rien: tout cela aussi s'est dit - plus ou moins fort, il est vrai - lors des réunions des groupes thématiques.


Première vérité

Pas de scoop ici! Juste une reprise de ce que je disais tout à l'heure: le formateur n'est jamais seul. Mais c'est peut-être dans ce rôle de professionnaliser que cela est le plus visible et le plus problématique à la fois. Comme toujours, le formateur travaille avec les apprenants dont il prend en compte le projet, mais, dans ce rôle-là, ça pointe vers des situations de travail, où la pratique pédagogique doit s'ancrer. Et les choses sont loin d'être simples quand il s'agit de participer activement à la production de compétences. Ça commence à se gâter quand on met en regard, d'un côté, notre vérité selon laquelle le formateur ne saurait travailler seul à la production de compétences (ni même seulement avec l'apprenant) et, de l'autre côté, la triste réalité de la représentation que les entreprises se font du travail du formateur. Pour faire court, je dirai que: qui dit professionnalisation, dit, pour nous, réseau à infiltrer! Réseau à infiltrer pour faire de la production et la reconnaissance de la compétence des actions collectives, impliquant le formateur et l'apprenant, certes, mais aussi l'équipe de travail, l'encadrement de proximité, la fonction RH, etc. Et le passage pour infiltrer ce réseau est très étroit. Nos collègues du groupe Professionnalisation Et Formation nous en ont touché quelques mots tout à l'heure.


Seconde vérité

Tout ce qui est proposé au CUEEP et qui n'est pas directement compréhensible comme formation professionnalisante peut être présenté comme une facilitation de l'accès à la formation professionnalisante et/ou comme une aide à la réussite des parcours de formation professionnalisante. Cette vérité formule, à mon sens, une assez bonne synthèse pratique de tout ce qui s'est pensé pendant ce semestre de travail thématique.

Je cite: "Nous avons toujours été conscients au CUEEP que la motivation à se former, même forte, n'est pas la seule condition nécessaire à la réussite des apprentissages. Il existe en effet des facteurs de résistance, liés au passé scolaire, à l'environnement social et familial, au parcours professionnel, qui viennent parfois interférer [avec] le bon déroulement de la formation et qui agissent comme autant d'obstacles aux apprentissages." (Fin de citation). Du coup, tout ce que le CUEEP met en oeuvre et qui n'est pas directement compréhensible comme formation professionnalisante permet (je cite à nouveau) de "lutter contre ces facteurs et [de] créer des leviers de réussite des parcours de formation".

Ces quelques phrases sont extraites d'un rapport rédigé en 2003 par Florence Alpern et Véronique Chabot. Cette citation est ma seule échappée hors des groupes thématiques. Mais ces phrases auraient très bien pu être écrites trente ans plus tôt, dans une des Actions Collectives de Formation. Elles auraient très bien pu êtred1 proférées dans l'un des groupes thématiques en 2004. Il y a au CUEEP cette continuité-là, dans le souci de l'amont et de l'accompagnement de la professionnalisation, dans la préoccupation des conditions de possibilités objectives de la formation professionnalisante. C'est une continuité constituante de notre identité de formateur.

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