Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BRICH59
1 juillet 2005

Histoire de globe-formateur

sncf_tgv27 Juin.
Lille Europe 12h17 -> 15h05 Lyon-Part Dieu 15h27 -> 15h45 Vienne (en France !). Ce devait du moins être comme ça. Mon GO préféré m'avait proposé cet horaire, que j'avais accepté. Je pourrais ainsi flâner à Vienne, ville inconnue pour moi. À peine avais-je entendu parler de son festival de jazz, fin juin-début juillet, dont l'affiche 2003 avait fait scandale à l'évêché : le visuel parodiait en diablotin un enfant Jésus tétant la Vierge sa mère ("Vierge noire") ! Cette affaire avait fait provoqué des nauséabonds relents de censure inquisitoriale jusque dans les rangs des élus du Conseil régional, jusque dans les allées de l'exécutif de la Région... En fait le TGV est arrivé chez le Primat des Gaules avec une bonne demie heure de retard. Le TER qui devait me conduire jusqu'à Vienne a donc commencé son office avant que je ne puisse monter à son bord.


jazzaviennebArrivé en gare de Lyon-Part Dieu, je cherche l'horaire du prochain train pour Vienne. Il démarre à 15h47 mais de Lyon-Perrache. Il fait 36°. À peu près. Ma valise et mon sac sont lourds. Je ne suis qu'un quinqua peu clinquant. Je ne connais pas trop bien le trajet d'une gare à l'autre. Je décide d'attendre le prochain départ pour Vienne de Lyon-Part Dieu.

Sortant de la gare, je vois plusieurs terrasses couvertes, prêtes à m'accueillir. J'en choisis une, celle qui a l'air la plus fraîche (?). J'ai le temps. Le train démarre dans presque deux heures. Le temps de déguster goutte à goutte une bière bien fraîche, une Kro quasi glacée. D'ordinaire, j'ai horreur de la bibine glacée, mais là ! Mieux qu'un régal ! Une salubrité privée ! Lyon, capitale des Gaules vend Le Monde dès le début d'après-midi. J'ai ainsi plus d'une heure pour lire Le Monde, version papier journal. Voilà un siècle que ça ne m'est pas arrivé !

lemondefr_grdOn est lundi. Le quotidien que j'ai entre les mains est donc daté de mardi. Dans le supplément hebdomadaire économique, une page entière est consacrée au projet de loi transposant le droit communautaire à la fonction publique, projet de loi adopté en première lecture en mars-avril, et devant passer en seconde lecture au Sénat en juillet. Souviens-toi, camarade contractuel, de ce projet de loi excluant du bénéfice d'un CDI dans la fonction publique - finalement excluant tout court - des personnels aujourd'hui en CDD exerçant des missions d'insertion et de formation, alors même que leur activité permet de satisfaire un besoin pérenne, reconnu par la loi s'agissant de l'apprentissage et de la formation continue... Bref, je lis tranquillement cette page, dans l'espoir de trouver une information rassurante sur le sort que l'on te réserve en haut lieu. Rien. Je ne trouve rien pour étancher ma soif d'info ! Le débat est ailleurs, centré sur le statut de ceux qui ont déjà un statut - et qui font bien de se battre pour qu'il ne soit pas mis à mal !
...
train_compartement17h32. Le TER entre en gare. C'est un train avec des compartiments huit places. Comme quand j'étais petit et que je faisais Paris-Besançon pour les vacances. Il est à peine en retard. L'air est rare dans le compartiment. La clim' envoie une méchante odeur... Une demie heure et je suis à Vienne. Je tire ma lourde valise hors du train. Puis hors de la gare. Puis hors de Vienne. Je franchis le Rhône sur une passerelle réservée aux piétons à valises à roulettes, aux cyclistes et aux autres piétons. Un grand panneau indique "Rhône en fête". En fait, je ne vois rien qui ressemble à ce qu'indique le panneau, pourtant grand. Plus de trace visible du Rhône en fête. C'était il y a une dizaine de jours... De la passerelle, la vue est sympa : on est comme suspendu au dessus du creux central d'un pays aux bords relevés et parsemés de vestiges médiévaux et Renaissance. Romantique ! J'imagine Chateaubriand décrivant le tableau circulaire...


srgPassé la passerelle, je traverse Sainte Colombe puis arrive à Saint Romain en Gal, où se trouve l'hôtel que mon GO m'a choisi et le lieu de la formation que je dois animer du 28 au 30. L'hôtel s'appelle Le Terminus et habite avenue de la Gare. Celle-ci est une vieille bâtisse désaffectée aux pierres jaunies. Quand j'entre dans le bar-hôtel, une femme âgée m'accueille de derrière le comptoir. Je me présente, disant que je viens de Lille. Elle me répond, invoquant le nom de mon GO. Je dis que c'est ça, le nom de mon GO. Nous discutons un peu. Elle est la mère du patron. Elle retravaille depuis aujourd'hui seulement, après une période de maladie et de douleur. Je la questionne sur les conditions d'hébergement et de repas. Elle ne sait pas trop. Je verrai avec son fils. Elle me conduit à ma chambre, montant les escaliers avec peine et souffrance. Elle s'excuse de n'avoir pas allumer les ampoules du couloir. Je lui dis que ce n'est pas grave, qu'on y voit assez et que c'est plutôt agréable par contraste avec la lumière aveuglante du dehors. Elle ajoute, maugréant, que ça permet de ne pas voir la poussière. Elle ouvre la porte de ma chambre, et y jette un regard circulaire, feignant de ne pas voir l'étonnante oblique de la tringle à rideaux. La chambre est assez grande. Deux lits deux places pour moi tout seul ! Les plaques du faux plafond menacent. Quelques toiles d'araignée ont capturé des moutons de poussière, des petits moutons suspendus. Les toilettes sont sur le palier. Il n'y a que six chambres en tout. Posée à droite de la télévision, une bombe "Kapo insectes rampants + 25% gratuit". Je regarde dans les coins et au bas des murs. Beaucoup de poussière. Avant de m'attaquer, les cafards auront à faire le ménage ! Il n'y a pas de gel douche sur le lavabo. J'en parle à la dame qui semble étonnée que je fasse ce constat-là. Je lui dis que je vais aller en acheter. Elle me parle du Casino pas loin...
...
van_der_aa_1725_vienne_palace1Je sors me balader. Je descends vers le Rhône et prends la passerelle. J'erre au hasard des rues de Vienne. C'est tout petit Vienne. C'est tout joli. Tous les volets sont clos. Mais les fenêtres doivent être ouvertes derrière les volets de bois. On entend les bruits familiaux dans les petites rues.


20h. La dame m'avait dit que c'était l'heure du dîner. Je suis ponctuel. Dans la salle à manger, les plaques du faux plafond menacent aussi. Des affiches "Jazz à Vienne" s'étalent en collection sur les murs (série complète 1988-2004). Je revois, non sans un "malin" plaisir, celle de 2003. Le repas se laisse manger. C'est le fils de la dame qui cuisine. Il est sympa. On discute un peu. Il m'explique les conditions d'hébergement et de restauration. La demie pension, ça vaut le coup; ça vous met le repas du soir à cinq ou six euros ! Je vais enfin pouvoir participer au redressement financier de mon institution ! Un tout petit peu. Je veux dire qu'on discute un tout petit peu, le fils de la dame et moi. Car il a à faire : six personnes ! Tout l'hôtel est là, à table(s). Tous les convives, chacun à sa table, sont installés de façon à voir l'écran de télévision extra plat, seul objet de quelque nouveauté dans l'arrière-bar. Dans le poste Monsieur Sarkozy dit que "les faits parlent d'eux-mêmes ". Il n'a toujours pas compris, le pauvre, que les faits ne parlent pas ! Il les fait parler et il dit qu'ils parlent, les faits ! Il est fou ! Fou ? Il sait sûrement trop bien ce qu'il dit, hélas ! Ça manque d'air, tout ça ! Toutes les portes du resto-bar sont ouvertes en quête d'un improbable courant d'air.
...
boug1Il y a quinze jours, quand je suis allé à Beaune pour animer la même formation, mais pour des agents de missions locales de la région Bourgogne, je n'ai pas manqué d'air ! Je me suis laissé aller à dîner façon dégustation de ... Bourgogne. Comme à midi je mangeais pour cinq euros, ça faisait une moyenne honnête, eu égard au "forfait" remboursable... Mais on m'a fait remarquer que mes notes du soir dépassaient les 15,25 euros ! Alors à Saint Romain en Gal, près de Vienne, je fais au plus juste. Tout le monde sans exception aucune dans notre belle institution se serre la ceinture. Il n'y a pas de raison que je n'en fasse pas de même.

J'ai manqué d'air toute la nuit. Température excessive. De plus, il n'est pas question que je dorme fenêtre ouverte. Tout à coup s'incruste sur mon petit écran intérieur une image vue à plusieurs reprises dans les livres scolaires de ma jeunesse, celle où l'on peut voir tous les modes de transports : le long d'un fleuve, une route conduit vers un aéroport d'où décolle un avion, la route longeant un temps une voie ferrée sur laquelle glisse un train plein d'enfants partant en vacances... Je me sentais, quant à moi, cette nuit-là, au beau milieu d'un tel ensemble, parce que j'ai fini par ouvrir la fenêtre pour échapper à une mort lente par suffocation-transpiration : route juste en dessous de ma fenêtre avec voitures sonorisées et mobylettes pétaradantes dessus, autoroute tout en haut avec trafic intense, voies ferrées entre les deux avec trains dessus qui roulent lentement mais lourdement. Tout en bas du tableau coule le Rhône, sans un bruit, mais trop loin pour que je goûte le plaisir de son calme souverain et puissant...

lyceeLe lendemain matin, je rencontre mes stagiaires trihémérides. Enfin ! Je sais que ça ne va pas être de la tarte, ces trois jours d'initiation aux tech- niques documentaires... C'est encore une fois un groupe hétérogène sous plein d'aspects : compé- tence en techniques documentaires, pratiques de la fonction documentaire, ancienneté dans le réseau Missions Locales, rôle et fonction dans la Mission Locale, niveau de formation générale, motivation à suivre cette formation de trois jours, etc. Tout ceci devant être considéré comme un système de données préalablement connues (j'adresse systématiquement un questionnaire préalable aux stagiaires et obtient un taux de réponse important), j'ai le sentiment de détenir une bonne part des rennes de la situation, de pouvoir influer sur le cours et la nature des événements pédagogiques qui vont advenir, de disposer des moyens de, tout à la fois, répondre au besoin collectif de bases méthodologiques en techniques documentaires et prendre en compte l'individualité de leurs motivations et de leurs attentes. Ça me contraint parfois à un grand écart didactique, quelquefois très périlleux. Mais la fonction information-documentation n'est pas suffisamment bien placée dans le rang des priorités des Directeurs de Missions Locales (comme dans les organismes de formation, quoi !) pour que je fasse la fine bouche !

Le premier contact est relativement agréable et la journée se déroule comme prévu, même si je sens que "l'hétérogénéité sous de multiples aspects" est bien au rendez-vous. Dès l'abord, transparaissent des désirs individuels de paroles, paroles de plaisir de sortir le nez de dedans le guidon, paroles de soif de contact hors le bureau du quotidien, paroles de besoin de reconnaissance dans ce qu'on fait, dans qui on est... Les trois journées de formation s'enchaînent tant bien que mal... Ici, comme à Beaune il y a trois semaines, la sagesse est venue parasiter la prestation. Je m'explique.

Les commanditaires - ici les animations régionales des missions locales - attendent de moi que j'établisse une relation privilégiée avec un groupe de personnes désignées, afin que je leur communique les rouages d'une technique déterminée qui se résumerait sous l'appellation "Documenter", et en trois jours s'il vous plaît. Sauf que, malgré tous les efforts didactiques ou pédagogiques qu'on voudra, la technique n'existe pas hors des conditions matérielles et intellectuelles de son déploiement. Quant à l'acte pédagogique en lui-même, il est purement impossible hors des conditions matérielles et intellectuelles de l'expression de sa nécessité. D'où, dans un premier temps, l'incontournable travail initial sur les attentes des stagiaires aux-mêmes, travail relativement approfondi qui permet au groupe stagiaires-formateur de prendre ses marques intérieures et provisoires. Mais, la porte ainsi ouverte à l'expression de soi pour les stagiaires ne se referme pas de sitôt ! On assiste notamment, au fil de la formation, à l'émergence automatique et systématique des questions concernant les conditions de possibilités de la fonction documentaire. Celles-ci ne relèvent pas du champ de la documentation, de la technique documentaire, mais du champ de l'organisation et de la stratégie des organisations, aux quatre niveaux : mission locale, antenne de mission locale, mais aussi animation régionale, voire niveau national. La formation apparaît alors comme triple travail de conscientisation :
  • des prérequis organisationnels et stratégiques,
  • de la professionnalité de la fonction documentaire,
  • des prérequis d'ordre technique et matériel.
Et quand je dis que la sagesse vient parasiter la prestation, je veux dire que, dans le temps même où il prend conscience que la fonction documentaire n'est pas fatalement occupée par des bricoleurs mis au placard, loin s'en faut, le groupe de stagiaires est amené, comme par la force des choses, à défaire ce qu'une décennie de technocrates aidés de leurs soldats universitaires a patiemment construit, je veux parler de l'industrialisation de la formation, de cette idée toute libérale, trop libérale, de la formation-marchandise qui veut que la formation (ne) soit (que) prestation déconnectée de ses conditions concrètes d'usages hormis ce qui peut se dire en termes de rentabilité immédiate, voire de profit mécanique. Et ce ne sont pas les récentes modifications du droit de la formation qui vont contrarier cette tendance lourde, que ces modifications s'appellent simplification ou autrement ! Voyez le tout récent Journal Officiel n°152 de ce 1er juillet 2005 p.10870 sqq., avec un rapport et une ordonnance : il suffit maintenant d'un ... bon de commande (ordonnance n°205-731 du 30 juin 2005) !
Avez-vous remarqué qu'ici le commanditaire et le bénéficiaire de la formation sont différents, que les attentes de l'un - qui est donneur d'ordre, qui prescrit une prestation - et de l'autre - qui "suit" la formation - sont fatalement différentes, voire contradictoires quelquefois. S'élabore ainsi un curieux ménage à trois - prescripteur, bénéficiaire et formateur. Le prescripteur aura beau, d'une part, avancer sans cesse sa qualité de passeur de commandes, et, d'autre part, entretenir du lien hiérarchique avec ceux et celles qui seront bénéficiaires de la formation commandée, il ne pourra empêcher les bénéficiaires réels et la personne du formateur d'établir entre eux une relation humaine, trop humaine. La politique technique gère des marchandises, la politique hiérarchique distribue des pouvoirs, quand la politique humaine cherche de la signification. Et cette quête de signification ne va pas sans la capacité à mettre en cause les certitudes de la technique et les certitudes de la hiérarchie...


affiche_2005Le 29 après la formation, je me hâte de traverser le Rhône, pour aller m'atta- bler sur la place de l'hôtel de ville, face à un podium installé pour le festival de jazz... Vienne est un vaste big-band. À tous les coins de rues ça chante et ça swingue... Ça fait rudement du bien : savourer de la musique en goûtant une bière à l'ombre d'un parasol... Laurence, de la Mission locale du Genevois, vient un temps s'asseoir à ma table. Nous parlons de choses et d'autres, un peu. Nous écoutons ensemble l'orchestre de jazz, un peu. Puis elle est partie retrouver quelques autres membres du groupe. Elles ont pris rendez-vous entre elles devant un hôtel pour vivre ensemble une soirée jazz. Quant à moi je reprends vers 19h45 la route de Saint Romain en Gal. Mon repas du soir m'y attend et je ne le manquerais pour rien au monde. Pas même une note de musique endiablée ! Et puis, il est tombé quelques gouttes aujourd'hui. Peut-être arriverai-je à vivre fenêtre fermée, et à dormir... J'ai hâte d'y être !

En discutant avec Nadine et Linda, deux autres stagiaires, je me rends compte qu'il y a, tout près de l'hôtel où je n'arrive pas à dormir, un hôtel normal, avec climatisation notamment... Il y a une dizaine d'euros à dire...

Ça vaut combien le temps de la reconstitution de la force de travail ?




Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 261 362
Publicité