Le rapport parlementaire sur "les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France" est paru le 10 novembre dernier. La commission d'enquête comprenait une trentaine de députés, dont le président Sébastien Nadot, député inscrit au groupe parlementaire Libertés et Territoires (LT) et la rapporteure Sonia Krimi, inscrite au groupe parlemntaire LREM. Il est accessible ici (pdf, 451p.).
[Ce post s'attache à l'avant-propos du président Nadot. Le reste suivra...]
Dans sa contribution liminaire et néanmoins très engagée (p.9 à 44), le président Nadot, d'une part, déplore le "zinzin médiatique et le vertige électoral de quelques-uns" [plus loin le président Nadot note que "l’irrationnel politico-médiatique est devenu la seule réponse visible, laquelle prend forme d’un concours de flatteries des bas instincts."] mais surtout dénonce la non-application du droit national et du droit international concernant les migrants, les enfants et les femmes payant un lourd tribu à cette perte d'identité du pays des Droits de l'homme. Le constat s'impose selon lequel "la situation relative aux droits humains des migrants et leurs conditions de vie en France sont alarmantes". Bref, "en matière de respect des personnes, du droit national et international et des valeurs qui fondent notre République, les engagements de la société française vis-à-vis des étrangers ne sont pas tenus. Pire parfois : ils sont bafoués, avec des conséquences dramatiques."
L'aveu est cinglant et plusieurs fois énoncé : "Nous sommes à la dérive. Collectivement."
Et le président Nadot de pointer :
- ces "théories de l’extrême droite, relayés par des candidats à l’élection présidentielle, autour du « grand remplacement », lesquelles ne tiennent pas la route à l’épreuve d’une analyse des données, d’une approche scientifique et raisonnée" ;
- tout ce "groupe des bonimenteurs" qui, "à la recherche de suffrages", "ont choisi de surenchérir toujours davantage sur le péril migratoire", histoire de ne pas parler du reste ;
- "les mensonges de ceux qui gouvernent, hier et aujourd’hui", mensonges proférés y compris devant la représentation nationale, mensonges qui, dans la foulée, finissent par permettre au gouvernement d'assigner "des objectifs implicites illégaux à tous les agents du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice".
L'un des effets de ce comportement gouvernemental est la disparition de cette "interminable file indienne, impatiente mais silencieuse, devant les préfectures [...]. On pourrait s’en réjouir. En réalité, le numérique a gommé tous ces gens de l’espace public ! Les relations humaines ne se font plus que par proxy interposé, même quand il s’agit de se livrer à des échanges qui touchent à l’intime, comme ces témoignages de migrants LGBT devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ayant à prouver leur orientation sexuelle en quelques minutes, ou parfois par un mail et deux ou trois clics, pour espérer l’asile ! Petit à petit, les services publics se désengagent de toute proximité avec la personne humaine. Quand le contact humain reste néanmoins impossible à supprimer complètement, l’État sous-traite à des associations sous-dotées en moyens."
Y a-t-il une réponse à cette question terrible : "pourquoi la tolérance, la confiance dans la connaissance scientifique et ce que l’on appelle communément l’État de droit ont perdu tout crédit dans la classe politique, la haute administration et les médias dès lors qu’il s’agit de parler des étrangers ?"
Enfin, le président Nadot examine six points :
- Hébergement (force est de constater qu'il y a de nombreuses embûches pour "une politique publique qui [voudrait] vraiment aller vers un toit pour tout le monde") cherche solidarité (quand bien même le droit français reconnaît "la fraternité comme un principe à valeur constitutionnelle", "en pratique pèse un soupçon sur les aidants aux migrants"), solidarité parfois effective, par exemple au sein de l'association des villes et territoires accueillants, l'ANVITA, ou bien de "dispositifs associatifs de solidarité active pour l’hébergement" - le gouvernement ne sachant (voulant) pas se saisir de cette "force solidaire française – individuelle, associative et des collectivités"... Bref, il faudrait passer "d’une solidarité empêchée à une solidarité facilitée, encouragée et reconsidérée."
- Francophonie hasardeuse : le discours d'E.Macron, prononcé à l’Institut de France en mars 2018, fut intéressant mais sans aucun effet, malgré les actions menées, par ailleurs, au sein des universités, des associations et de quelques organismes de formation...
- Appel d’air et politique étrangère. Il y a d'abord, parce que c'est bien le plus odieux, le "discours de l’encadrement supérieur de l’administration française [qui affirme que] tout jeune migrant, parce qu’il est migrant, doit être regardé comme suspect" - malgré l'article 3-1 de la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Il y a ensuite "cette mise en scène de la théorie de « l’appel d’air » [...] devenu un incontournable de l’argumentaire de toute politique publique « responsable » en matière migratoire dans notre pays. [...] Cette théorie est démentie par les travaux de recherche" ainsi que par les enquêtes de terrain. Car à bien regarder, "en somme, le jour où les conditions de vie en Tunisie seront celles de la France et inversement, le sens migratoire s’inversera. Ce n’est pas l’accueil en France aujourd’hui qui fait appel d’air. S’il faut chercher un appel d’air, c’est du côté de notre histoire et son instrumentalisation dans les discours de politique étrangère."
- Union européenne, tralala français et noyade. Côté Union européenne et présidence française (premier semestre 2022), "on peut s’attendre à quelques coups de communication sans lendemain, des jolis tralalas en français bien de chez nous, pour finalement ne pas s’atteler, une fois de plus, à la question migratoire à l’échelle européenne qui, tôt ou tard, risque fort de faire éclater l’UE." Pour ce qui est du secours en mer, le respect de la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Solas) de 1974 (selon laquelle les États côtiers ont l'obligation légale d'organiser et d'assister les recherches en cas de signal de détresse) n'est pas garanti et peut être contrarié par lesdits États...
- Des frontières physiques, des femmes et des hommes. Bien qu'il soit clair que, légalement, le contrôle aux frontières intérieures à l'UE ne se justifie plus, ce contrôle est aujourd'hui maintenu pour "lutter contre les flux migratoires irréguliers". Sa seule efficacité semble hélas être de gêner le passage (avec mise en danger des personnes) et surtout de jeter les migrants "entre les mains des passeurs".
"Croire en la gestion migratoire par l’outil magique des frontières physiques est un leurre. Croire qu’on doit se préoccuper des flux sans s’inquiéter des personnes en danger est irresponsable. L’obstination européenne et française, après celle des États-Unis d’Amérique, n’a guère d’explications même si le salon Milipol à Paris – « Événement mondial de la sûreté et de la sécurité intérieure des États » – montre à quel point le contrôle des frontières est un business en expansion vertigineuse."
- L’administration et la justice pour fermer le robinet ? Un État de mauvaise volonté, mesquin et criminel...
"La première chose extrêmement frappante en France est la suivante : quand on est un étranger, on ne peut pas obtenir de rendez-vous pour se signaler, pour faire une demande de titre de séjour." Par ailleurs, "quand on est dans une situation qui relève du droit d’asile, des délais interminables sont parfois fatals", et le parcours est sinueux, d'un guichet à l'autre. Pourquoi ne pas installer "un guichet de l’OFPRA aux points de frontière" ? D'autre part, et de façon plus générale, le non respect du droit par les autorités oblige les associations à lancer des "référés de suspension", ce qui encombre beaucoup les Tribunaux administratifs - ce dont les autorités se plaignent (ministère de l’Intérieur). Mais il n'y a pas que les démarches de demande de titre ou d'asile, il y a aussi l'accès au marché du travail, l'aide médicale de l'État... tous sujets où les services de l'État contreviennent aux lois de la Nation.
Ouvrir davantage les voies légales d’immigration ?
Six fois OUI :
- Oui, "pour que l’essentiel des étrangers qui viennent sur notre territoire ne soient justement pas un poids supplémentaire pour nos politiques publiques de logement, de l’emploi et de la cohésion sociale".
- Oui, pour mieux "« contrôler » qui vient sur notre territoire."
- Oui, pour "permettre à ces gens de répondre aux dynamiques du marché de l’emploi."
- Oui, pour être sûr que "les étrangers ne perdront pas tout leur argent dans les mésaventures de l’immigration irrégulière, alimentant la multinationale des mafias, et pourront l’utiliser à bon escient pour s’installer sur notre territoire."
- Oui, "pour articuler notre identité nationale avec les maux du monde."
- Oui, pour "renouer le dialogue avec tous ces pays d’Afrique en voie de sortie complète de notre sphère d’influence."
Un tel nouveau système "ne peut être pensé à l’échelle du ministère de l’Intérieur. Par définition, les phénomènes migratoires renvoient à l’étranger ! Il revient donc au ministère des Affaires étrangères de reprendre les commandes d’une situation qui dégénère et s’écarte de l’identité nationale mais universelle de notre pays."
NOTEZ LE SÉMINAIRE PUBLIC ORGANISÉ PAR LES CINQ ASSOCIATIONS LARGEMENT CITÉES DANS LE RAPPORT DE LA COMMISSION. Son titre ? Migrations : d'une commission d'enquête à des politiques respectueuses des droits fondamentaux. C'est le 2 décembre prochain.
à suivre