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BRICH59
15 avril 2007

Les équilibristes...

_quilibristeJe viens du cirque Arlette Gruss, très provisoirement installé à Valenciennes. Même si je n'apprécie jamais vraiment les numéros où l'humain montre très ostensiblement qu'il a "dressé" l'animal, je dois avouer que j'ai été émerveillé par tant de grâce et de mouvement mêlés, par tant d'agilité mise au service du spectacle esthétiquement réglé.
Par exemple ce petit homme asiatique qui, au centre de la piste, a construit une colonne de chaises. Sur chaque nouvelle chaise hissée au sommet, il paradait avec lenteur, dessinant de son corps des figures inédites. La colonne a fini par être si grande que le petit homme avait l'air comme suspendu dans les airs, accroché aux étoiles par un invisible fil - que symbolisait le câble de sécurité relâché. Je le voyais suspendu, sachant pertinemment que, déjouant les lois de la pesanteur, le corps du petit homme était ancré dans le sol, même par l'intermédiaire d'une colonne de chaises. Indéfectible sentiment que ce que l'on voit ne correspond pas à la réalité. Inévitable sensation de vivre mais à l'envers ce que disait Pascal ("Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu’il ne faut, s’il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer." Extrait bien connu des Pensées).

solasc_014C'est comme hier soir à Chéreng, où nous (l'ensemble vocal Cœli et Terra) donnions un concert. La première pièce que nous avons chantée était cet étrange Miserere de Gregorio Allegri.
Quand je dis "étrange", je veux simplement faire état de ma perplexité devant cette pièce de la musique vaticane de la première moitié du XVIIe : musique entre psalmodie à une voix et polyphonie; musique entre prière et acoustique; musique du dedans, de l'intime, de la conversation privée avec Dieu, mais aussi musique sonnante, extravertie, construite sur un dialogue entre deux chœurs qui se répondent et répondent au psalmodiste.
L'une des étrangetés de cette pièce est la partie de superius dans le petit chœur (versets 3, 7, 11, 15 et 19). Il s'agit très précisément du moment où la verticalité de la psalmodie polyphonique se dérègle pour laisser progressivement la place à un court dialogue polyphonique où les voix se répondent, dans un calme toujours serein mais en dansant, en "bougeant", contre-temps à l'appui, comme dans une nervosité nouvelle mais contenue dans le carcan de l'ancestrale liturgie. Le deuxième évènement étrange de ces passages, c'est lorsqu'après un début de phrase en psalmodie polyphonique verticale, arrive ce contre-ut lancé dans le ciel, mais déjà là dans la céleste clarté, caressant les étoiles et se jouant du vent, imperturbablement immobile dans sa fine évidence, puis descendant, tel un planeur, pour venir se poser doucement au-dessus de nos têtes embellies...
Hier soir aussi j'ai ressenti ce jeu entre l'accroché dans le ciel et l'ancré dans le sol. Bien sûr que pour dessiner si parfaitement cette descente en suspension aérienne, Juliette (qui assurait le superius hier soir) était solidement planté dans le sol, y puisant toute la force nécessaire à l'émission de cette note si haute et si longue dans sa descente; bien sûr que la chanteuse a savamment mobilisé sa propre pesanteur pour chanter ainsi. Reste qu'à l'écoute, je ne pouvais pas ne pas m'avouer que j'entendais un son désolidarisée de la terre, pur élément céleste...
Juliette est comme le petit homme asiatique du cirque Arlette Gruss, une équilibriste.


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