Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

BRICH59

15 septembre 2005

CIMADE : communiqué de presse

Un bébé d’un mois placé dans un centre de rétention

Jeudi 8 septembre, à 19 heures, une femme somalienne et son nourrisson de 1 mois ont été amenés au centre de rétention de Rouen, après le départ de tous les intervenants (infirmières, Cimade, greffe, agents d’entretien).
Ils s’étaient fait arrêter au guichet de la préfecture où Madame allait faire renouveler son récépissé de demande d’asile.
Jusque-là, ils étaient logés à l’hôtel et suivis par des services sociaux.
Le responsable du centre a indiqué aux autres personnes retenues, scandalisées par la présence d’un si jeune enfant dans le centre, qu’ "aucune chambre d’hôtel n’avait été trouvée".
Pourquoi alors ne pas les avoir laissés regagner leur hôtel?
Dans le centre, la chambre n’a pas été nettoyée. La femme n’a avec elle qu’un couffin, quelques couches, un biberon, du lait en poudre et une bouteille d’eau. Elle n’a aucun endroit pour laver son fils. Elle tente de le réconforter alors qu’il hurle sous les néons.
Un départ pour la Grèce est prévu pour 5h30 ce matin.
Quand la police aux frontières arrive pour emmener la femme et son enfant à Roissy, la voiture est trop petite pour emporter la poussette, le siège bébé et les affaires personnelles: Madame est menottée dans le dos avant de monter dans la voiture, son enfant de 1 mois sera transporté à côté d’elle dans les bras d’une agente de police.
A l’arrivée à Roissy, la police n’a pas les documents nécessaires pour le vol vers la Grèce: la femme et son fils ne monteront pas dans l’avion.
Ils sont ramenés à Rouen dans les mêmes conditions; ils passent au centre de rétention pour récupérer les effets qui y avaient été laissés et sont finalement ramenés dans l’hôtel où ils étaient hébergés avant l’interpellation.
Il s’agit-là d’une application de la loi et des consignes de renvoyer les étrangers coûte que coûte. Cela conduit à des pratiques aveugles.
Ne nous habituons pas à l’insupportable.

Cimade,
vendredi 9 septembre 2005


Voyez aussi l'article de Patrick Savidan à l'Observatoire des inégalités qui cite l'article de Libé qui rendait compte du discours que le ministre a infligé aux préfets... Édifiantes lectures !


Publicité
Publicité
13 septembre 2005

L'ActIonaute de Septembre

l'ActIonaute ©Amnesty International               Septembre2005
 mensuel d'information et d'action du site Internet d'Amnesty-France

est paru. Si vous n'y êtes pas abonné, vous pouvez le lire à

http://v2.lkmgr.com/1118832332070118/1126165473161682


12 septembre 2005

à mon collègue enseignant-chercheur : URGENT

MESSAGE URGENT A MES COLLEGUES ET/OU AMIS ENSEIGNANTS-CHERCHEURS


Un blog a ceci de convenable qu'il permet la réactivité - ce que ne rend pas forcément possible une étude publiée papier et sans appel. Chaque message peut ainsi faire l'objet d'un commentaire immédiat et qui lui colle aux basques...

Si donc, cher collègue enseignant-chercheur, tu t'es senti blessé par mes propos récents (série intitulée "Le sous-texte" en huit épisodes), ou si tout simplement tu n'es pas d'accord, daigne avoir la condescendance de réagir sur ce blog.

Bien à toi


11 septembre 2005

et Vive la République !

Deux exemples de la sarkofolie ambiante... 

Un message est passé par ma boîte aux lettres, qui contenait un document pdf relatant deux exemples de situations vécues dans notre bonne République, mère des droits de l'homme, à ce que l'on dit.
Je ne peux pas ne pas vous le donner à lire !charter_tignous

Il est là : 050829_PlanckeR.pdf

J'en profite pour vous informer de l'existence du Réseau Éducation sans frontières dont le site informe de l'un des visages les plus odieux de la sarkofolie ambiante...

Bonne lecture à tous


10 septembre 2005

Entreprise citoyenne ?

breton1Youpi ! l'entreprise citoyenne existe !
Nous l'avons tous rencontrée !
Et nous devons cette rencontre à Mr Thierry Breton, ministre de l'économie.
Qu'il soit ici chaleureusement remercié !

Je cite Libé :

  • alors que la hausse du prix du pétrole et ses répercussions (prix à la pompe, renchérissement de la production industrielle et du transport, etc.) font de plus en plus de mécontents et menacent une croissance économique déjà fragile, le gouvernement a décidé de réagir. Intervenant jeudi soir sur France 2, le ministre de l'Economie et des Finances, Thierry Breton, a menacé d'instaurer une «taxe exceptionnelle» sur les compagnies pétrolières, en leur demandant de se comporter en «entreprises citoyennes» face à l'envolée des prix du pétrole.breton4

     

DONC
Définition actuelle
- provisoire et impertinente -
de l'Entreprise Citoyenne :


entreprise qui rogne
un
(tout petit) peu sur ces marges
pour calmer un gouvernement menaçant
qui ne veut pas d'histoire
avec son petit peuple
(particuliers et petites entreprises)
.


Naguère, j'avais déjà entendu parler d'entreprise citoyenne. Mais c'était dans une problématique de l'insertion des plus défavorisés au niveau local voire régional ou alors dans la saga médiaticopolitique du développement durable... En tout cas, ce n'était pas dans un souci de gestion économique à court terme ou dans une problématique électoraliste au plus haut niveau.

Pour moi, ce type de discours pose au minimum un énorme problème de signification : c'est qui, 'entreprise' ? C'est pour qui les marges ? Etc. De toutes façons, ce mélange contre nature entre le vocabulaire économique et le vocabulaire politique laisse place à toutes les significations possibles et dans tous les milieux idéologiques possibles...

Il serait donc intéressant que les blogueurs entassent ici, en commentaires du présent message, leurs définitions de l'entreprise citoyenne, sans aucun tabou, sans aucune retenue, sans aucune censure. Leur définition ou - et peut-être surtout - celle qu'ils connaissent des autres.

Après on se fera une petite analyse sémantique formelle et "par en dessous" (vous savez le fameux sous-texte !).



Publicité
Publicité
10 septembre 2005

Blog en nord - Meet the blogger Lille

carreLa prochaine rencontre "Blog en nord - Meet the blogger Lille" (rencontres des bloggers du Nord de la France et de Belgique) aura lieu le 28 septembre à Villeneuve d'Ascq, avec deux tables rondes ouvertes à tous, organisées à l'université de Lille 3 en collaboration avec l'UFR IDIST.


La première table ronde de nos rencontres de septembre sera consacré à l'usage des blogs dans le monde de la documentation. Elle se déroulera de 14 h à 16 h dans l'amphi E de l'Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, Domaine universitaire du "Pont de Bois" à Villeneuve d'Ascq. Les intervenants confirmés sont :

logo
Deux autres intervenants sont sous réserve…

La seconde table ronde concernera l'entreprise et l'information dans les blogs (marketing, communication, relation humaines…) et se déroulera de 16 h à 18 h au même endroit. Les intervenants confirmés sont :

Trois autres intervenants sont sous réserve…


Pour plus d'informations, vous pouvez visiter le site dédié à cette manifestation, où un jeu vous attend !



9 septembre 2005

L’écriture praticienne

Ceci est la retranscription d'une intervention faite à Lille
en novembre 1995 où l'on fêtait les Cahiers d'études du CUEEP
dans la foulée du second colloque européen sur l'autoformation...



[...] 

Véronique Leclercq vous a présenté la littérature des Cahiers d’études. Je me propose de vous faire partager, à mon tour, quelques réflexions sur ce qu’on appelle l’« écriture praticienne ».
Je vais tout d’abord vous soumettre un rapide tableau de présentation du couple action/écriture dans le secteur de l’éducation permanente. J’essayerai de ne pas prendre trop de temps, au risque d’être schématique. Mais le débat qui, je l’espère, suivra mon intervention permettra de nuancer l’analyse.
Dans un second temps, je poserai, à la cantonade, trois questions au sujet de l’écriture praticienne.
Mais les présentations d’abord.

1. LES RÈGLES DE TROIS DE L’ÉCRITURE EN ÉDUCATION PERMANENTE

Depuis douze ans, le CUEEP publie, avec une périodicité irrégulière, ses Cahiers d'études : 32 livraisons auront paru de début 1984 à fin 1995, 151 « écrivants » auront été mobilisés.

1.1. Trois types d'écrits

Ces 32 livraisons ne sont pas homogènes quant au statut des écrits qui y sont publiés. De ce point de vue, on pourra distinguer entre trois types de cahiers : cahiers repreneurs, cahiers originaux et cahiers d'actes.

  1. Cahiers d'études, ils seraient sans doute restés confinés dans la confidentialité de l’université ou des instances commanditaires. Parmi les 19 Cahiers repreneurs, écrits par vingt-neuf personnes, 11 publient des travaux commandités par des instances administratives et politiques, et 8 des mémoires universitaires.

  2. Les cahiers originaux, ensuite, publient des textes rédigés pour l’occasion de leur publication dans les Cahiers d'études. Les originaux semblent être, comme par définition, des œuvres collectives. Signés par 68 auteurs, ces 10 numéros sont bien plus collectifs que les repreneurs, souvent rédigés par un seul auteur.

  3. Les cahiers d'actes, enfin, soit 3 numéros, ont mobilisé 79 contributeurs ou auteurs, qu’on ne retrouve que rarement dans les autres types de Cahiers.

1.2. Trois types d'écrivants

Tout à l’heure, j’annonçais le chiffre de 151 écrivants. Mais qui sont-ils donc ? On en distinguera trois types : enseignants-chercheurs, étudiants et « praticiens ».

  1. Les enseignants-chercheurs sont des "gens, dit Guy Jobert, qui ont été sélectionnés sur leur capacité à formaliser leur pensée par écrit, à fabriquer de la réflexion et parfois de la connaissance. Ils ont le savoir-faire et aussi le temps d'écrire. Pour être tout à fait exact, il faut dire qu'ils sont payés pour cela". Fermez les guillemets. Je laisse à Guy Jobert la responsabilité de ce que mes amis enseignants-chercheurs jugeront comme d’un ton assez dur...

  2. Les étudiants produisent des mémoires en cours ou en fin de cycle universitaire.

  3. Les praticiens, acteurs « ordinaires » de l'éducation permanente, producteurs de l'action de formation, enfin, qu'ils soient formateurs, ingénieurs, techniciens, sont massivement représentés dans les Cahiers originaux (près de 80% de leurs auteurs).

Le comportement de chaque type d'écrivant par rapport à l'écriture est bien sûr différent. Question d'enjeux, question de référentiel.   

Entre le collectif de praticiens qui vit l'écriture collective ou plurielle comme un prolongement de l'action et l'universitaire solitaire qui évalue une action perpétrée par d'autres, il y a un sacré distinguo ! Ici, le lecteur peut admirer le jeu de la rhétorique académique ; là il peut repérer les liens fragiles mais profonds entre l'action et l'écriture.

Mais, attention, cette opposition entre les praticiens, les étudiants et les « universitaires » frôle la caricature. Sur-tout dans le milieu des sciences de l'éducation, où nombre d'enseignants-chercheurs ont d'abord été (voire sont toujours) des praticiens ; d'autre part, les praticiens se forment quelques fois, et peuvent être appelés à produire un mé-moire universitaire. C’est le cas dans tous les mémoires repris en Cahier. Je distingue donc ici entre des postures mouvantes, plus qu’entre des identités monolithiques, ou entre des statuts.


1.3. Trois types de référentialités

Mais l'intérêt de cette ébauche de typologie des écrivants réside peut-être dans son prolongement en termes de référentiel. À quelle sorte de référentiel obéit l'écriture ? Ici encore on peut distinguer trois types de référentialités : référentialité « close et intégrante », référentialité « close et intégrée » et référentialité « ouverte ».

  1. Quand un étudiant écrit un mémoire universitaire, il produit un texte dont l'évaluation (normative) sera suivie de validation par un groupe professionnel dont il ne fait pas (encore) partie. On pourra parler de référentialité close et intégrante.

  2. Quand un enseignant-chercheur écrit, il conduit une stratégie de reconnaissance sur le marché académique, reconnaissance par un groupe professionnel dont il fait partie. On parlera alors de référentialité close et intégrée.

  3. Mais quand un praticien écrit sur les actions qu'il mène, à quel référentiel obéit-il ? Le seul ancrage évident, c'est le praticien lui-même, c'est-à-dire l'acteur et son action. C'est de ce côté qu'il faut chercher, en se demandant d'abord quelle est la stratégie de l'acteur quand il agit et écrit sur son action, puis quels sens il donne à l'écriture, notamment dans son articulation avec l'action. Du simple désir de recon-naissance professionnelle (valorisation de l'action) à la production de connaissance (analyse de la pratique), les sens possibles sont multiples ! Bref, on parlera ici de référentialité ouverte, voire d'auto-référentialité, comme si l'écriture était autonome, sans cadre obligé ; comme si n'était donné a priori qu'un point de départ (l'ancrage de tout à l'heure).

1.4. Trois possibilités pour articuler l'agir et l'écrire

Pour tenter de donner un cadre à cette ouverture de la référentialité, peut-être faut-il comprendre comment s'articulent l'action et l'écriture praticienne au sens large. Très rapidement, il semble que celle-ci, que l'écriture praticienne s'articule de trois façons différentes avec l'action : écriture « dans » l'action, écriture « sur » l'action et écriture « pour » l'action.

  1. Il y a tout d'abord l'écriture professionnelle, celle qui, intégrée à l'action, produit ce qu'on appelle des écrits fonctionnels, éléments ou instruments de l'action - écriture concomitante. C'est l'écriture dans l'action.

  2. Puis il y a l'écriture praticienne au sens strict, celle qui intègre l'action dans un projet d'octroi de sens à la pratique. C'est l'écriture sur l'action. À la différence des précédents écrits qui se perdent dans l'action, ce que produit cette écriture survit à l'action - écriture a posteriori.

  3. Enfin il y a ce qu’on pourrait appeler, faute de mieux, l'écriture prosélytique, celle qui veut convaincre la communauté praticienne et la communauté politique de l'efficacité de tel ou tel type de pratique (pédagogique, institutionnelle, politique, etc.). C'est l'écriture pour l'action. Les écrits produits dans ce cadre précèdent l'action - écriture a priori.

Système ternaire donc, mais non cloisonné. Car ça com-munique entre les trois types d'écriture. On peut, par exemple, les chaîner entre elles : l'écriture dans l'action produit des textes que l'écriture sur l'action utilise comme matériau ; puis celle-ci produit des textes que l'écriture pour l'action à son tour utilise comme matériau ; et, pour peu que les textes produits par cette dernière incitent à la mise en place concrète d'actions, la boucle sera bouclée.

Système mouvant aussi : l’écriture sur une action A produira des textes qui, par rapport à une action B, pourront être lus comme de l’écriture pour l’action.

1.5. Le pari de l'écriture praticienne

Les écrits professionnels font légion : toute action de formation requiert de l'écriture, qu'on se place dans le do-maine pédagogique ou dans le domaine de l'ingénierie de la formation. Les écrits praticiens sur l'action sont par contre plus rares et leur publication davantage encore. C'est que le passage de l'écriture dans l'action à l'écriture proprement praticienne est semé d'obstacles : l'écrit y change de nature, de statut et de destination.

L'intérêt de l'écriture sur l'action en termes d'autoformation continue des acteurs ne saurait plus faire de doute. Les discussions d’avant-hier après-midi, lors du colloque sur l’autoformation organisé ici même par le GRAF et TRIGONE, l’ont largement manifesté. Reste à en faire le pari, qui implique un important co-investissement des acteurs concernés et de leurs institutions pour être tenu.

2. TROIS QUESTIONS POUR L’ÉCRITURE PRATICIENNE

Voilà pour la présentation du couple action / écriture. Vous aurez remarqué que ce tableau se termine sur une ouverture, l’ouverture d’un pari, l’ouverture d’un possible à multi-ples aboutissants.

Pour commencer de baliser le champ de ce possible, je vous propose trois questions. Trois questions situées à trois différents niveaux d’enjeux pour l’écriture praticienne :

  1. l’écriture praticienne n’est-elle possible que dans le temps volé ?

  2. comment l’écriture praticienne est-elle institutionnellement reconnue / non reconnue ?

  3. l’écriture praticienne, au bout du compte, c’est quoi ? une méthode d’autoformation des praticiens ou un chemin vers la démocratie participative ? ou les deux ?

2.1. Question 1 : l’écriture praticienne n’est-elle possible que dans le temps volé ?

L’écriture praticienne n’est-elle possible que dans le « temps volé » ? L’expression « temps volé », pour caractériser ce que serait l’une des conditions de possibilités de l’écriture praticienne, cette expression n’est pas de moi. Je la tiens d’un de mes collègues, un praticien qui veut, qui voudrait écrire en tant que praticien - et qui écrit :

2.1.1. Écrire, ça prend du temps

Mais je la reprends volontiers à mon compte. Car écrire, ça prend effectivement du temps ! Le temps d’écrire, bien sûr, mais aussi,

  • en amont de l’écriture, le temps où il faut bien suspendre l’« ac- tivité » pour « penser », temps de réflexion solitaire ou collective, et temps de lecture de l’écriture des autres,

  • le temps de l’écriture, c’est encore, en cours et en aval de l’écriture, le temps de se lire et de se relire...

2.1.2. Du temps de contrebande

« Temps volé », volé à l’institution, volé à soi :

  • temps volé à l’institution, parce que, quand le praticien suspend son activité pour s’asseoir, réfléchir, lire, écrire et relire, il fraude; le contrat de travail d’un acteur qui n’est pas enseignant- chercheur ne stipule jamais aucune charge d’écriture sur l’action ; éventuellement de l’écriture dans l’action (écriture profession- nelle, fonctionnelle), mais jamais de l’écriture praticienne au sens strict ;

  • temps volé à soi, à son temps familial, à son temps intime, parce que, de fait, c’est dans ce temps-là que le praticien écrivant ponctionne, faute de pouvoir suffisamment suspendre fraudu- leusement le temps professionnel.

Je ne réponds pas à la question de savoir si l’écriture praticienne n’est possible que dans du temps volé. On pourrait en débattre ensemble dès que j’aurai fini de parler - ce que vous attendez sûrement tous avec impatience.

2.2. Question 2 : l’écriture praticienne est-elle institutionnellement reconnue ?

Deuxième question : l’écriture praticienne est-elle institutionnellement reconnue ? Le constat que je viens de dresser en parlant du temps volé répond à l’un des aspects de la question. Mais poussons un peu plus loin.

Les praticiens (c’est-à-dire les acteurs ordinaires, les personnels qui ne sont ni étudiants temporaires, ni enseignants-chercheurs) contribuent largement, nous l’avons vu, à l’écriture des Cahiers d’études, notamment celle des Cahiers « originaux ». À ce titre, l’écriture praticienne est finalisée dans la stratégie de l’institution CUEEP- TRIGONE, qui veut mettre à disposition de l’ensemble des acteurs de l’éducation permanente de France et de Navarre des résultats de recherche et des comptes rendus d’actions innovantes ou spécifiques.

L’écriture praticienne semble donc institutionnellement reconnue au sens où elle est intégrée par l’institution dans sa stratégie de diffusion.

Mais, quand on creuse un peu plus la question, on ne peut qu’être saisi par une contradiction majeure : il y a comme une disproportion entre la charge d’écriture qui, de fait, repose sur les praticiens, et l’absence de ces derniers dans l’instance où, de droit, fonctionne la responsabilité éditoriale.

Regardez la composition du « comité de lecture » des Cahiers d’études, et vous n’y verrez que des enseignants-chercheurs. Moi, j’y vois un problème, dans la mesure où les enseignants-chercheurs ne sont que pour moins d’un quart dans l’écriture des Cahiers « originaux ».

Cette fois encore, je laisse ouvert. Passons à la troisième question.

2.3. Question 3 : l’écriture praticienne, une méthode d’autoformation des praticiens ou un chemin vers la démocratie participative ?

Tout à l’heure, je vous ai dit que l'intérêt de l'écriture sur l'action en termes d'autoformation continue des acteurs ne saurait plus faire de doute. Mais est-ce là la seule qualité de l’écriture praticienne ? Et puis d’abord, c’est quoi l’autoformation ?

Je ne devrais pas poser cette question après les deux journées que plusieurs d’entre nous ont passées au colloque européen sur l’autoformation. Mais quand même ! D’autant plus que je voudrais me placer, pour finir, sur le terrain du socio-politique, comme dirait Philippe Carré dont vous aurez reconnu ce qu’il appelle le macro-niveau de l’autoformation, ou plutôt de l’apprentissage autodirigé.

2.3.1. Deux questions préalables

Nous sommes en fait ici, plus largement, dans la problématique de l’organisation autoformatrice, de l’organisation qualifiante. Pour nous, acteurs de l’éducation permanente, la question de fond est celle-ci : une organisation dont la raison d’être se décline en termes de formation (et d’autoformation) des publics demandeurs, une telle organisation est-elle, pour ses propres personnels, formatrice, voire autoformatrice ? La question est loin d’être anodine ou stupide. Il suffirait d’évoquer le complexe du cordonnier... Mais je n’ai plus le temps...

D’autre part, l’autoformation, en organisation, est-elle libératrice ? Le risque qu’elle n’y soit que le masque d’une toujours possible auto-aliénation doit rester présent à nos esprits et nous inviter à toutes les prudences...

2.3.2.    Une hypothèse, pour finir

Mais revenons, pour en finir avec cette « conférence » qui n’en finit pas, à l’écriture praticienne. Je conclurai en soumettant à votre discussion une hypothèse qui ouvre sur bien des questions. L’hypothèse est la suivante.

S’il est vérifié que la compétence d’une organisation dépend de la conjonction de deux phénomènes, à savoir la qualification de ses personnels et la pertinence de la gestion de ses ressources humaines, si cela est vérifié, alors l’écriture praticienne a un rôle de premier ordre à jouer dans le développement de cette compétence, mais à deux conditions :

  1. l’écriture praticienne doit permettre à la pensée latérale (qu’on appelle aussi pensée divergente) de se construire et de se développer ;

  2. l’écriture praticienne doit participer, de droit, à la construction (interne) de l’identité de l’organisation.

En d’autres termes, la finalité la plus profonde de l’écriture praticienne pointe des questions d’ordre éminemment politique qui concernent aussi bien la liberté d’expression des individus à l’intérieur de l’institution, que la capacité de l’organisation à entendre, ou plutôt à lire, ce qu’aura construit la pensée latérale en tant que telle, c’est-à-dire ce qu’elle aura construit en toujours possibles divergences.

MERCI


Voilà ! C'était une petite intervention d'il y a une quinzaine d'années  (je propose celle-là parce qu'elle était restée inédite), en appui sur quelques productions écrites, notamment pour les Cahiers d'études du CUEEP, dont voici les principales, en téléchargement (pdf) :

Je ne sais si je suis le premier à avoir employé l'expression "écriture praticienne". Peu importe. En tous cas, elle est aujourd'hui, plus de quinze ans après la parution de ma Note, assez répandue dans le secteur de la formation permanente.
Dans mon esprit (à l'époque mais encore aujourd'hui), cette expression renvoyait à trois configurations différentes :

  • "écriture praticienne" versus "écriture patricienne", écriture de ceux qui, faisant partie de la noblesse universitaire, sont payés pour écrire, comme disait Guy Jobert ;

  • "écriture praticienne" versus "écriture universitaire", écriture de praticiens certes, mais soumise au crible de la norme universitaire (mémoire, thèses, etc.) ;

  • "écriture praticienne" versus "écriture institutionnelle", écriture qui, en règle générale, contraint les praticiens, leur assignant des tâches trop souvent incompatibles avec l'exercice du droit d'écrire sur sa propre pratique.

Il est clair qu'aujourd'hui, ces trois configurations fonctionnent à plein régime. Et que l'écriture praticienne, l'authentique, est plutôt au ralenti... Même dans les idées ! Le durcissement des relations de travail, dû essentiellement au vent néo-ultra-libéral qui souffle sur le secteur de la formation permanente (y compris dans l'enseignement public), assè- che remarquablement les marges où l'authentique écriture praticienne pourrait fonctionner et produire ce savoir non savant et peut-être dérangeant produit par les acteurs eux-mêmes.
L'espace de ces marges, a un nom : "liberté solidaire".
Mais peut-être sommes-nous déjà là dans le royaume de l'utopie ?


25 août 2005

Phrases ...

Petite collection de phrases assassines proférées de la façon la plus naturelle qui soit...

  • sur les chômeurs et les rmistes

"Mais ils ne veulent pas travailler, les chômeurs. Etre payés à ne rien faire, c’est cela qui les intéresse !"
Le député Auclair (UMP) à l'Assemblée nationale le 2/02/05

"Ce n'est pas un acquis social quand on a un minima social de ne pas être obligé d'exercer une activité pour justifier ce minima. C'est une lâcheté, un oubli, une faiblesse, une habitude. Ce n'est pas un acquis social, quand on est au chômage indemnisé, que de pouvoir refuser sans aucune limitation des emplois que l'on vous propose."
Nicolas Sarkozy
- 18/06/05

"Doit-on s'excuser de ne pas avoir été chômeur ou Rmiste? Il est temps de réconcilier les Français avec la réussite et de réhabiliter le travail. Cessons donc de complexer ceux qui ont la chance que leurs parents aient travaillé pour leur laisser quelque chose !"
Nicolas Sarkozy
à l'Assemblée nationale le 21/10/04

  • De quoi se plaint-on ?

"Il est bon pour la France, les Français et l'économie d'avoir une baisse de l'impôt sur le revenu et une baisse de la dépense publique."
Ernest-Antoine Seillière
sur RTL le 23/01/05

"Je crois que mon gouvernement a fait beaucoup pour les personnes les plus démunies."
Jean-Pierre Raffarin
sur France 2 le 10/11/04

"Je pense que les CDI seront des CNE et que beaucoup de CDD seront des CNE parce que c'est objectivement les meilleurs contrats pour tout le monde."
Jean-Louis Borloo
pour Reuters le 24/08/05

  • Soyons "modernes" !

"En France, l'entreprise est la seule vraie force d'adaptation et de modernité."
Ernest-Antoine Seillière le 22/01/05 à l'Opéra-Comique de Paris

"Je suis fier d'être un patron français qui délocalise ! Assez de faux-semblants : la perte de l'emploi, la déstabilisation industrielle, c'est normal, c'est l'évolution."
Guillaume Sarkozy
, vice-président du Medef

"Mes collègues de gauche ici présents ne connaissent pas l'entreprise et ne tiennent que des discours de lutte de classes. Débaucher, ce n'est pas un acte de délinquance !"
Jean-Michel Fourgous
(UMP) à l'Assemblée nationale le 3/12/04

"La modernité et la liberté de penser s'arrêtent là où commence le droit du travail."
Laurence Parisot (IFOP), présidente du Medef (cf. un ancien billet sur ce blog)

actuch_magePhrases  lues
sur l'excellent


15 août 2005

Le sous-texte (1)

9782742754373tnJean Duvignaud, Le sous-texte
Actes Sud (Un endroit où aller)

2005, 168p. (paru le 10 mars 2005)

Le sous-texte. Déjà, ce titre m'attire, quand je le lis dans une librairie de la vieille ville de Montluçon. Il évoque d'emblée ces réseaux de sens qui circulent en dessous du discours, évoquant Nietzsche, Foucault et les autres, rappelant mon projet d'herméneutique documentaire d'il y a quelques années !

Et puis DUVIGNAUD, Jean Duvignaud, celui de la revue Arguments, celui de Cause commune, le sociologue de l'art, le romancier, penseur ouvert et généreux, esprit nomade toujours en marche, en quête à peine cachée de l'innommable, comme en écho à Samuel Beckett, en chasse continue du dyspensé [le pensé de travers, pensé avec le mauvais regard, les mauvais mots mais aussi le difficile à penser parce qu'en lisière, à la marge, aux marches du langage], en questionnement systématique de l'évident, de ce qui se déclare comme allant de soi... Bref, un philosophe un vrai !

Ce livre, écrit à La Rochelle en 2004, s'avère une grandiose fontaine de jouvence ! Livre fécond, germinatif : lisant Duvignaud, j'ai le sentiment de devenir plus intelligent, et sens que mon esprit s'aiguise en s'excitant de cette lecture ; lisant Duvignaud, je me souviens de tout ce que je n'ai pas écrit et que j'ai sur le bout des doigts.

Ce livre, né de Sagesse et de Nomadisme, invite au voyage spirituel, à la pérégrination intellectuelle. De la naissance en 1921 (« N'être... ») à la vieillesse d'aujourd'hui (« La suite... - De quoi ? - Le rien »), on parcourt, à vol de pensée, toute une vie d'intelligence et de rencontre, se laissant guider par quelques plis géosophiques de l'auteur, qui nous livre ici un fond de pensée tout en posture, tout en écoute, tout en questionnement - une forme contemporaine de l'ancienne ironie, en quelque sorte. Mais un fond de pensée à la Montaigne, ce que Jean Duvignaud appelle, précisément, le sous-texte de son existence déjà très riche, c'est-à-dire la tentative de dévoiler le non-dit (ensemble d'hypo-thèses dynamiques) de ce qui est arrivé au cours de cette existence nomade sous plus d'un aspect et, Dieu merci !, non close à ce jour.

Sociologue, Jean Duvignaud tente d'élucider la question du nous - famille, groupe, collectif, société - mais en philosophe. Pourquoi pas en sociologue ? Tout simplement parce que la sociologie dédaigne souverainement « cette région de l'être où s'enchevêtrent les rencontres, les affinités, les attentes communes, les plaisirs partagés, les utopies, les erreurs - le sous-texte de l'existence journalière » (p.9).

Le mot "sous-texte", Jean Duvignaud semble l'avoir rencontré en lisant Constantin Stanislavski, grand homme de théâtre russe (1863-1938), notamment metteur en scène de réputation mondiale, qui parle du sous-texte, après Tchékhov (1860-1904), pour désigner ce qui, dans le dire théâtral, n'est pas réductible à ce qui est dit. Mais notre auteur en élargit considérablement la portée, ne l'inscrivant plus seulement dans un espace spécifique déterminé : théâtral (Tchékov-Stanislavski), voire cinématographique (comme on le fait souvent aujourd'hui, par simple transposition à partir de l'emploi originel) ou encore philologique, littéraire, etc., non sans pratiquer parfois un sorte d'amalgame, où se mêlent trop souvent texte, sous-texte proprement dit, intertexte, paratexte... Ici, le sous-texte, proprement dit, est inscrit - c'est-à-dire prend racine et signification - dans l'espace biographique tout entier.

duvignauPhilosophe, Jean Duvignaud nous éclaire, par exemple et comme en passant mais tout au long du voyage, sur la relation si tendue et mouvante entre l'espace et le temps, le premier s'instituant instrument de maîtrise du second, indomptable par essence et pour nous, antique et pur adamas. (Pardon lecteur, mais je ne peux pas ne pas rapprocher cette vision de Duvignaud d'avec l'eschatologie platonicienne, du moins telle qu'elle est imagée dans le mythe d'Er le Pamphylien, à la fin de la République, où se joue aussi l'articulation entre espace et temps.) Sociologue de l'art et de l'artiste, Jean Duvignaud nous place dans un angle de vue d'où l'acte créateur se dénude en sa richesse absolue et son décalage relatif.

Romancier, Jean Duvignaud nous donne à lire une écriture qui ne sacrifie jamais le travail du sens sur l'autel du travail de la langue, comme aurait dit Roland Barthes. Bien au contraire, il en utilise tous les ressorts pour emmener le plus loin possible dans son voyage, à la rencontre des gens et des pensées. Sous chaque mot, derrière chaque expression, se profilent des perspectives, en appui sur des lignes de fuite attestées. Pas un mot de trop, pas une expression gratuite. Ici la belle écriture est totalement maîtrisée. Duvignaud me fait penser à Josquin Despréz dont Martin Luther disait qu'il était le Maître des notes, car il en faisait ce qu'il voulait, alors que les autres faisaient ce que les notes voulaient (Josquin […] ist der noten meister, die habens müssen machen, wie er wolt ; die anderen Sangmeister müssen machen, wie es die noten haben wöllen). Ainsi Duvignaud est Maître des mots et ne se laisse pas facilement prendre dans les rets du langage, comme aurait dit Nietzsche. D'autres souvent se font ainsi prendre dans les filets du langage, dans les pièges que l'idéologie nous tend continuellement...

-----------------------

Pages 64-74, un chapitre intitulé simplement « Progrès », des pages comme j'aime en lire car elles font réfléchir, parsemant le texte de questions, reliant le thème à l'ensemble d'une réflexion large et profonde... Voici l'ouverture :

« Tout est calme... transformation graduelle du moins bien vers le mieux, et demain sera plus heureux qu'hier. Nous sommes en marche vers... vers quoi ? La réconciliation de l'homme et de la nature ? Le bonheur pour tous ? Le bonheur et la paix universelle ? Qu'importe ! Un incoercible mouvement nous emporte qui surmonte une multitude d'obstacles. »

Suivent une dizaine de pages qui invitent à une authentique réflexion, libérée des carcans dont les scholastiques - l'ancienne comme la moderne - ont balisé les voies, stérilisant au passage - mais n'était-ce vraiment qu'un effet collatéral ? - les voix de l'imaginaire et de la trouvaille intellectuelle. Peu importe qui est convoqué au long de ces pages - il y a du monde ! Ce qui compte ici, c'est le cheminement d'une pensée questionnante, mûre et sûre.

Je ne résumerai pas ici ce cheminement. À toi de lire, lecteur assoiffé, en quête d'une fontaine distribuant sans compter une eau germinale et fécondante ! Juste une confidence cependant : incidemment, évoquant l'impossible rencontre londonienne entre Darwin et Marx - impossible parce que le premier ne voulut pas recevoir le second -, Duvignaud note ceci :

« On eût aimé savoir ce que pouvaient se dire ces deux grands barbus sur les déambulations des formes de la vie dans l'histoire - et sur le progrès...

« N'étaient-ils pas l'un et l'autre engoncés dans la certitude d'un engendrement de toute novation, de tout événement, dans le temps? d'une causalité interminable dont chaque étape est une conquête, une amélioration? Ainsi désigne-t-on la découverte des instruments mobilisateurs du progrès et les lieux d'où partiraient ces mutations, voire les groupes, - les "races" - qui en seraient les inventeurs pour l'un, les parties soumises et travailleuses d'un peuple pour le second? Et tous les deux saisis par l'évidence que ces moments prépareraient l'irruption d'un nouveau - eschatologie où l'on renifle l'odeur des mirages théologiques. »

Ces deux alinéas pointent une part du sous-texte idéologique que j'ai toujours intuitivement subodorée : cette "odeur" théologique, comme dit si bien Duvignaud, derrière les masques de la science, et notamment des sciences dites humaines...

brune« De l'idéologie aujourd'hui... », c'est le titre de l'article que François BRUNE, philosophe personnaliste, publia en août 1996 dans Le Monde diplomatique. C'est devenu depuis celui d'un ouvrage paru au mois de mars 2004 aux éditions de L'Aventurine. L'ouvrage s'ouvre sur une nouvelle version de l'article en question. Suivent d'autres contributions. Objectif de l'ensemble : débusquer l'idéologie là où elle prétend précisément n'être pas... Bref, remettre les pendules à l'heure. Salutairement. Des pages comme j'aime en conseiller à lire car elles éclairent l'emploi du langage quotidien...

Le progrès apparaît dans ce texte comme un mot d'ordre incantatoire, relevant d'une mythologie imposée :

« Le progrès est, certes, une réalité ; il est aussi une idéologie. Le simple proverbe "on n'arrête pas le progrès" est un principe de soumission cent fois répété ; c'est aussi une prescription quotidienne : chacun doit progresser, changer, évoluer. Voici par exemple la question que pose un journaliste à un animateur de radio : "Vous faites aujourd'hui trois millions d'auditeurs, comment comptez-vous progresser ?" Mais pourquoi faudrait-il faire davantage d'auditeurs ? C'est que, le progrès devant être mesuré, il est le plus souvent d'ordre quantitatif. Cette obsession est sans doute à l'origine de la savoureuse expression "croissance négative" ; un recul de la production économique étant impensable, on a voulu n'y voir qu'une forme subtile de croissance. Il faut croître.

« En corrélation, la grande angoisse est d'être en retard : en retard d'une invention, en retard d'un pourcentage, en retard d'une consommation ! Ecoutez ces nouvelles alarmantes : "Par rapport aux autres nations industrielles, les ménages français sont en retard en matière d'équipement micro-informatique !", "La France est en retard en matière de publicité, si l'on considère la part du PIB que nous y consacrons par tête d'habitant !" Les médias adorent cultiver le chantage du retard, forme inversée, de l'idéologie du progrès.

« Proches du "progrès", les mots "évolution" ou "changement" bénéficient d'un a priori positif. Le changement est une réalité : c'est aussi une idéologie. "Français, comme vous avez changé !", titre un hebdomadaire pour accrocher les lecteurs [L'Express, 2 janvier 1996] : c'est forcément un progrès puisque c'est un changement. En quoi le Français a-t-il changé ? En ce qu'il serait devenu plus proche de l'"être" que du "paraître" ! Ce type d'analyse, issu de sondages artificiels, est l'exemple même du faux événement sociologique : il faut du changement, il faut que notre société "bouge", il faut de l'évolution, qui est immanquablement amélioration. C'est cela, notre époque. »

On notera quelques similitudes entre François Brune et Jean Duvignaud, notamment la capacité à mettre en question ce qui semble acquis, ce qui est réputé aller de soi ; notamment aussi cette exigence d'une sociologie authentique...

Placé dans son contexte, le mythe du progrès n'est que l'un de ces "complexes idéologiques" dont la vocation semble consister à brouiller l'esprit d'analyse sociopolitique des citoyens. Voici le condensé (au sens documentaire du mot) de l'article :

Il n'y a plus d'idéologie, dit-on. Il n'y a même plus à penser : le réel s'impose, tel le fait de la globalisation ou celui de la mondialisation ! Quatre grands « complexes idéologiques » fonctionnent ainsi dans le discours ambiant. Le mythe du progrès, tout d'abord, (avec son corrélat nécessaire, la peur du retard) cultive une fausse sociologie du changement. Le primat du technique, ensuite, détournant des questions fondamentales, en occultant le pourquoi par le comment, donne aux technocrates un poids tout dictatorial. C'est ainsi que l'idée d'autoroute s'impose, que l'image de la vitesse envahit tous les discours. Puis le dogme de la communication qui véhicule de nombreux mots à forte charge idéologique et que la télévision entretient pour mieux faire illusion. La religion de l'époque, enfin, qui sacrifie tout à la « modernité », dans une mise en scène d'autant plus efficace qu'elle est artificielle. C'est ainsi que la publicité envahit notre vie et que la « société de consommation » prospère toujours davantage. Quand, au gré d'une explosion sociale, l'un de ces complexes défaille, les autres viennent à la rescousse, pour mieux brouiller l'analyse critique que le citoyen pourrait entreprendre des « réalités » qu'on lui impose. Bafouant l'expérience la plus commune, ce brouillage oblige à une double pensée, au risque d'une schizophrénie collective.

Cette tentative d'imposer une schizophrénie collective, je l'ai déjà rencontrée en d'autres lieux et sous d'autres situations. Il s'agit de la thématique de l'analyse des besoins de formation, des besoins dits "objectifs" de formation, et de l'un de ses avatars, je veux parler de la doctrine de l'incitation - doctrine de l'accrochage, comme on dit outre Quiévrain - en Action Collective de Formation.

Il y aurait, dit-on, le niveau subjectif des besoins de formation, et il y aurait leur niveau objectif. J'ai toujours été prudent dans la manipulation de cette dichotomie objectif/subjectif, qui semble pouvoir être ici superposée à une autre dichotomie importante, celle qui distingue besoin et demande.

L'idée est simple et forte dans sa simplicité même : les gens qui ont le plus besoin de formation ne perçoivent pas ce dont ils ont besoin, parce que leur conditions matérielles de vie les en empêchent.

Prenons l'exemple des femmes de mineurs du bassin minier lensois où j'ai travaillé dix années (Action Collective de Formation de Sallaumines-Noyelles-sous-Lens, 1978-1988). Ces femmes souhaitent majoritairement apprendre à confectionner et réparer des vêtements, plutôt que suivre des formations en expression écrite et orale, en langues étrangères, en "monde actuel", en sociologie, etc. La motivation de ces femmes à suivre des cours de coupe et couture semblent relever à la fois de la sociabilité (entre nous, femmes de mineurs) et de l'économie domestique (faire avec art plutôt qu'acheter tout fait, voire mal fait)... Sauf que les "autorités politico-scientifiques" ne l'entendent pas de cette oreille : ces femmes se trompent et il convient de les mettre dans le bon chemin. Elles ne se trompent pas parce qu'elles sont mauvaises ou bêtes, elles se trompent parce qu'elles ne voient pas leur propre intérêt de classe, elles ne perçoivent pas ce dont elles ont objectivement besoin pour s'émanciper du rôle que la "société bourgeoise" leur a assigné une fois pour toutes ; bref, elles se trompent parce qu'elles n'ont pas conscience du sens de l'histoire de notre société de classe, qu’elles n’ont pas conscience de la fatalité de leur propre progrès. Et cette erreur repose sur la confusion entre demande et besoin, entre deux niveaux du besoin de formation, le niveau subjectif (ce qu'exprime ma conscience immédiate comme besoin de formation) et niveau objectif (ce que détermine l'analyse scientifique de l'histoire de la société comme besoin de formation)... Qu'à cela ne tienne, conscientisons-les, proposent les autorités politico-scientifiques ! Las, ces femmes ne sont pas forcément prêtes à entendre le discours conscientisateur. Qu'à cela ne tienne, incitons-les, accrochons-les pour les conscientiser malgré elles, proposent les mêmes autorités ! L'idée est la suivante : vous offrez une formation qui réponde au besoin subjectif de formation et glissez dans cette réponse des éléments qui satisfassent le besoin objectif de formation et incitent ces femmes à reconnaître ce besoin-là, c'est-à-dire ce besoin qu'elles ne reconnaissent pas comme leur en ce moment et qui est objectivement leur vrai besoin. 

Ce qui m'intéresse, ici, ce n'est pas de juger de la pertinence ou de la validité scientifique d'une telle démarche. Laissons ses promoteurs mettre en avant leurs arguments. Il vous suffira de lire la production de quelqu'un comme Paul Demunter et de ses étudiants ou épigones. Peut-être un jour vous proposerai-je un exposé de ces arguments, une présentation claire de leur bien-fondé et les objections qu'on peut leur opposer... Non ce qui m'intéresse dans cette histoire, c'est la structure de la manipulation sociale, qui consiste à dire aux gens que ce qu'ils voient n'est pas la réalité et que la réalité n'est visible que par des initiés. Chez Platon, l'initié est le philosophe (la fameuse allégorie de la caverne) ; chez Saint Paul, c'est le croyant ; chez Demunter, le travailleur social lui-même conscientisé ; etc. L'archétype de ce type de manœuvre - que l'on trouve donc tout à la fois dans la philosophie grecque ancienne, dans l'un de ses avatars que constitue la doctrine paulinienne de l'Église chrétienne, et dans la théorie de la conscientisation salvatrice -, on doit pouvoir le trouver ailleurs, en des régions de l'humaine pensée habilitées elles aussi à entretenir cet archétype, dont Platon, Saint Paul, Demunter ne sont que dépositaires remarquables.

N'y a-t-il pas dans ce type de manœuvre une formidable violence symbolique ?
Quand la violence n'est plus symbolique mais directement économique, cela donne tous ces produits de la technique du marketing et de la publicité commerciale. Quand la violence n'est plus symbolique mais psychologique et physique, cela donne, par exemple, L'aveu de Costa Gavras...

Ce qui me pousse à parler de tout ça à la suite de l'évocation de François Brune, c'est que, tout comme le travail du mythe-idéologie que Brune met à nu, le travail de l'idéologie de l'incitation en ACF tel que je le décris produit de la schizophrénie collective... C'est peut-être aussi que rien de ce qui concerne l'Action Collective de Formation, et plus globalement le CUEEP, ne m'est indifférent ; et que le CUEEP traverse ces temps-ci de fortes turbulences qui menacent son existence, sinon son âme et son identité.

À suivre


8 août 2005

L'ActIonaute d'Août

l'ActIonaute ©Amnesty International                      Août 2005
            
mensuel d'information et d'action du site Internet d'Amnesty-France 

est paru. Si vous n'y êtes pas abonné, vous pouvez le lire à

http://v2.lkmgr.com/1118832332070118/1122539169485219



Publicité
Publicité
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 261 381
Publicité