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BRICH59
2 novembre 2004

Sens et références en documentation. Des pratiques bibliogaphiques à l'herméneutique documentaire [3]

[suite de ...]

Une bibliographie analytique d'auteur

Deux auteurs sont absents de cette bibliographie thématique Formations ouvertes multiressources. Je veux parler de Georges Lerbet et Philippe Carré. C'est qu'ils font l'objet d'une bibliographie spécifique, bibliographie non plus thématique, mais d'auteur (reprises dans les deuxième et troisième parties de ce cahier) [Le lecteur notera dès maintenant que l'ensemble de ce travail bibliographique s'arrête en juin 1994 (à l'exception de quelques « à paraître » qui, le cas échéant, ont été transformés au vu de la publication).]. Ces deux auteurs, qui intervenaient lors de l'Université d'été, ont en effet à leur actif une importante production - ce qui m'a semblé constituer une double raison suffisante pour leur accorder un « traitement de faveur ». Les autres me le pardonnent !   

L'une des thèses universitaires de Georges Lerbet traitait de la latéralité, non seulement parce que le sujet était passible d'un traitement scientifique dans le cadre d'un « engagement pédagogique » dont l'auteur était redevable à Monsieur Fraisse, mais aussi parce que la latéralité a toujours été, pour lui, "une  source de préoccupations" très personnelle : l'auteur est très  maladroit!

C'est du moins ce qu'il prétend, dans un article paru dans l'une  des revues de l'inrp, où il retrace, pour le lecteur d'aujourd'hui, son « itinéraire de lecture ». Ce chemin est parsemé de références à ses propres écrits, nombreux et variés, mais toujours axés sur une problématique en évolution. A le parcourir, il semble que la maladresse n'était pas d'écriture! [« Affronter la complexité  et la construction de l'autonomie en éducation », Perspectives documentaires en  éducation (n° 30, 1993, p. 7-36). Cet article a été abondamment utilisé pour la présentation des écrits de Georges Lerbet, qui m'a par ailleurs fourni des renseignements précieux ainsi que des copies de ses publications les plus récentes.]    

Pédagogiquement engagé, l'auteur le fut, comme il le dit lui-même, à l'orée de sa « carrière ». Il l'est encore aujourd'hui auprès d'étudiants à l'Université François Rabelais de Tours, notamment dans la direction de thèses de sciences de l'éducation. Cet engagement s'accompagne d'un travail méthodologique et heuristique sur la question de l'écriture de travaux universitaires par les étudiants. Cette activité d'encadrement de recherche est une composante importante de l'auteur : aussi, j'ai référencé quelques thèses conduites sous sa direction.

Construire la bibliographie analytique d'un auteur sur un ordre de développement chronologique (en l'occurrence, de 1965 à 1994) pourra sembler par trop linéaire et continu. Sans doute, cette construction tombe-t-elle sous le coup de la condamnation que Pierre Bourdieu instruit à l'encontre de l'histoire de vie. "L'histoire de  vie est [en effet] une de ces notions  du sens commun qui sont entrées en  contrebande dans l'univers savant". Et le fait que je me sois notablement appuyé sur un « itinéraire de lecture » donné par l'auteur lui-même ne semble qu'aggraver mon cas. J'entretiendrais ainsi l'« illusion biographique », « illusion rhétorique » qui prend sa force dans "une représentation  commune de l'existence, que toute une tradition littéraire n'a cessé et ne cesse de renforcer" [Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Paris : Éditions du Seuil, 1994, p. 81].

J'accepte l'anathème et le récuse en même temps. Je plaide coupable parce que je sais que l'œuvre de Georges Lerbet ne se réduit pas à l'indication bibliographique, cette œuvre-là ni aucune autre. C'est la bibliographie qui est en soi double réduction : réduction du texte en document, puis réduction de ce dernier en série de caractéristiques d'identification. Le travail bibliographique est émiettement de l'œuvre que, texte après texte, l'auteur a patiemment construite. Le documentaliste « déconstruit » l'œuvre (ce qui n'est pas la détruire), substituant à une cohérence d'auteur une atomisation d'informateur. Il est clair qu'il ne pourra jamais restituer l'œuvre, quelle que soit la technique d'ordonnancement utilisée. Le système-œuvre est à jamais perdu. Voulant donner à lire, le bibliographe doit désarticuler l'organisme-texte, l'empêcher de respirer, le réduire en miettes.

Mais je plaide non coupable parce que « le postulat du sens de l'existence » [Id., p. 82. Pierre Bourdieu écrit que l'enquêteur et l'enquêté (le  sujet et l'objet de la biographie) "ont en quelque sorte le même intérêt à accepter le postulat du sens de  l'existence racontée (et, implicitement,  de toute existence)".] d'un auteur en tant qu'auteur est indispensable au travail d'analyse bibliographique (la publication d'un écrit comme événement dans un projet global d'écriture, dans une vie de création). Peut-être faut-il voir dans cette récusation, la propension du documentaliste bibliographe à lutter contre l'émiettement factuel de l'information bibliographique, propension à se vouloir artisan de l'écriture, comme lecteur mais aussi comme scripteur, c'est-à-dire comme producteur de sens. Mais la récusation est inutile, et la propension vouée à l'insatisfaction ; du moins si l'on en reste à la bibliographie, même analytique. Le sens produit veut désigner, pointer le sens postulé de l'œuvre émiettée, incapable de seulement le reconstruire. Le sens produit par le bibliographe est la désignation, le pointage même d'un sens rendu inaccessible par atomisation [On notera la difficulté de se départir du postulat du « sens donné », alors qu'on peut tout aussi bien faire l'hypothèse du « sens construit », du sens comme produit d'une activité.].

à suivre


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