[ATTAC-FRANCE]
Silence, on transpose la directive Bolkestein
A la suite des fortes mobilisations contre la directive services dite
Bolkestein, on aurait pu croire que le texte ne présentait plus de
problème. Erreur : on y trouve le principe de "libre prestation de
services", ce qui n’est pas étonnant puisqu’il est inscrit dans le le
traité de Lisbonne, et qu’il l’était dans les traités antérieurs. Par
ailleurs, cette directive est transposée au moment où entre en
application le règlement (CE) No 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles : celui-ci prévoit que la loi
du domicile du prestataire de service s’appliquera quand aucune autre
ne sera choisie, ce qui entraînera un affaiblissement du droit des
consommateurs.
Silence, on transpose la directive Bolkestein
La directive de libéralisation des services, dite
Bolkestein, du nom de son créateur, est en cours de transposition en
France. Sans bruit ni volonté gouvernementale de mettre en débat cette
étape importante.
Pour comprendre l’importance de ce qui se prépare en matière de
libéralisation des services, il est nécessaire de rappeler comment la
Commission européenne définit le contenu de la directive qui porte le
nom de l’ultralibéral Fritz Bolkestein, son initiateur. L’objectif de
la directive sur les services est de réaliser un marché intérieur en
supprimant les barrières juridiques et administratives, considérées
comme des obstacles à la libre circulation des prestations de services
entre Etats membres et leur mise en concurrence. Cette libéralisation
qui concerne 75 % des emplois dans l’Union européenne (UE) et 66 % de
son PIB, selon la Commission qui a fixé la date butoir du 28 décembre
pour la transposition de cette directive dans les législations
nationales.
La directive Bolkestein est donc de retour. Ni morte, ni enterrée,
comme on a pu l’entendre en 2005 de la part de Jacques Chirac encore
président de la République. Elle est même d’une brûlante actualité :
une courte passe d’armes entre la Confédération européenne des
syndicats (CES) et la présidence suédoise de l’Union européenne, passée
inaperçue en France, eut lieu le 23 septembre, la veille du Conseil
européen sur la compétitivité. La présidence suédoise y a déclaré que «
la directive sur les services peut permettre à l’Europe de sortir plus
rapidement de la crise économique. » Ce à quoi la CES a
immédiatement rétorqué : « La Présidence semble de plus en plus
coupée de la réalité de la pire crise économique depuis la Grande
Dépression […]. Si vous souhaitez lutter contre la crise, vous
devez investir dans un vaste plan de relance européen et mettre fin à
la domination des principes de marché à court terme », ainsi qu’aux
« obsessions idéologiques » de la directive sur les services, a
aussi persiflé la CES.
Cette charge inhabituelle de la part de la CES met en évidence l’étape
cruciale actuellement en cours, particulièrement en France. Dans le
plus grand silence. Rien ne filtre des négociations secteur par
secteur, ou peu de choses. L’étonnant mutisme gouvernemental est
expliqué dans un rapport sur l’état de la transposition de la directive
sur les services, présenté le 17 juin par le sénateur UMP Jean Bizet,
quelques jours après les élections européennes. On y apprend que le
gouvernement a abandonné l’idée d’un projet de loi-cadre pour
transposer la directive services, en raison « des considérations
politiques tenant à la forte sensibilité des implications de la
“directive services”, sur les professions réglementées par exemple. Une
loi-cadre de transposition pourrait en effet servir d’“épouvantail” à
tous ceux qui seraient tentés d’instrumentaliser un exercice
essentiellement technique à des fins électorales. Elle ne doit pas
constituer un prétexte à la “cristallisation” des mécontentements de
tous ordres, d’autant plus nombreux en période de crise ». En
clair, pas de grain à moudre pour les altermondialistes…
Pas de débat politique, ni de campagne d’information générale ne sont
programmés par le gouvernement. Seule une communication serait
envisagée en direction des professionnels. « Elle serait réalisée
en relation étroite avec le Medef, au second semestre 2009 »,
explique brièvement le rapport Bizet. Ainsi, le gouvernement et une
partie de la classe politique, droite et gauche confondue, ne
souhaitent pas que ressurgisse la controverse autour de cette directive
et de son « principe du pays d’origine ». Celle-ci avait largement
contribué à la victoire du « non », en 2005, lors du référendum sur le
Traité constitutionnel européen, renommé Traité de Lisbonne et adopté
depuis.
Un nouveau débat sur cette directive – certes revue et corrigée en 2006
par le Parlement européen – s’avère pourtant indispensable, car elle a
conservé l’essentiel de sa philosophie et de sa dangerosité. La
Commission a de plus fait en sorte que ce qui n’y figurait plus, tel le
principe du pays d’origine, soit rapidement transposable dans un autre
texte. Rafraîchissons les mémoires : la directive sur les services
inclut les services fournis aux entreprises et aux consommateurs, et
surtout les services publics, nommés par la Commission « services
d’intérêt économique général » (transports, services postaux,
approvisionnement en eau, électricité, traitement des déchets, etc.).
L’exclusion des services de santé et des services sociaux (SSIG, selon
la terminologie communautaire) n’est que provisoire. « Il n’est pas
inenvisageable que certains secteurs aujourd’hui exclus du champ de la
directive y soient réintégrés à l’avenir, à la demande des
professionnels eux-mêmes », prévient le rapport Bizet. Car les
règles du jeu fixées par la directive sur les services peuvent changer
en cours de route : 2010, première année d’application, sera l’occasion
de procéder à d’éventuels « ajustements ». Surtout, le 28
décembre 2011, et par la suite tous les trois ans, la Commission
présentera un rapport sur l’application de la directive, «
accompagné, le cas échéant, de propositions de modifications et de
mesures supplémentaires concernant les questions exclues du champ
d’application de la directive ».
Autre subtilité, la notion de « principe du pays d’origine » a certes
disparu de la directive Bolkestein pour une autre formulation, très
ambiguë : le principe de « libre prestation de services ». Cette libre
prestation de service est accompagnée d’un règlement européen adopté en
2008, qui doit s’appliquer à tous les contrats conclus après le 17
décembre, dans lequel le principe de base est que les parties
contractantes sont libres de choisir la loi applicable au contrat. Ce
règlement qui remplacera la Convention de Rome de 1980 s’appliquera
directement aux États membres. Le dispositif est proche du principe du
pays d’origine, si l’on en croit le réseau européen de soutien aux
entreprises, Enterprise Europe Network, créé par la Commission
européenne. Mais les citoyens n’ont pas encore été informés de ces
nouveautés.
Thierry Brun
http://www.france.attac.org/spip.php?article10491