Vérité et certitude
Jeudi, je glosais sur quelques discours tenus par un ancien deux fois ministre lors d'un journal télévisé. Mon billet s'intitulait pompeusement "La vérité en politique".
Je dis pompeusement, mais ce n'est pas moi qui suis pompeux. C'est la rhétorique politique telle que je l'ai entendue se déployer devant je ne sais combien de milliers de spectateurs.
Ça a trotté dans ma tête et je crois avoir compris que le peuple désabusé devant tant d'impuissance du politique (face au pouvoir du capital, notamment) ne souhaite pas de vérité, mais autre chose de plus fort, de plus existentiellement fondamental.
La vérité, le peuple s'en fout. Il suffit de se souvenir comment l'honnêté intellectuelle, celle qui cherche, celle qui hésite, celle qui doute, en un mot celle qui réfléchit, il suffit de se souvenir comment elle est reçue par le peuple quand un dirigeant politique en fait montre. Je pense bien sûr à Lionnel Jospin en 2002...
Non, ce qui intéresse le peuple, c'est la certitude ; celui que le peuple est tenté de suivre les yeux fermés, c'est le leader sûr de lui avançant un discours ferme, sans nuance et surtout sans hésitation. La plupart des grands tyrans de l'histoire mondiale ont joué ce rôle de la certitude. Et comme écrivait André Gide dans son Journal (à la page du 21 octobre 1929), "l'amour de la vérité n'est pas le besoin de certitude et il est bien imprudent de confondre l'un avec l'autre". Mais, comme faisait remarquer Gustave Le Bon une quinzaine d'années auparavant, "le besoin de certitude a toujours été plus fort que le besoin de vérité" (Aphorismes du temps présent, 1913). Hélas !
La force d'un Sarkozy est sûrement là, dans ce masque de certitude. Quand je dis "masque de certitude", je veux seulement remarquer que cette certitude-là, celle qui assène des yakas et des "faut qu'on" d'un ton péremptoire qui leur donne un air de vérité, cette certitude-là n'est que l'instrument rhétorique d'une autre certitude plus intime, inavouée, je veux dire la certitude tout enfouie dans la subjectivité du désir de celui qui en même temps la produit et en jouit : la certitude d'être un jour "Premier des Français"...
Parce que vous ne me ferez pas croire qu'il est plus intelligent que les autres, et surtout que son discours est davantage empreint de vérité que celui des autres. Regardez dans Le Monde de ce week-end : "M. Sarkozy veut qu'on puisse fumer au café-tabac du village", peut-on lire en bas de la page 9 ! On remarquera d'abord, et très formellement, le coup du village, de la France profonde, de l'ancrage territorial quasi universel du candidat autoproclamé à la prochaine élection présidentielle... Parce que ce ne peut être ici le ministre, n°2 du gouvernement, qui parle : le gouvernement a décidé que l'interdiction de fumer dans les lieux publics serait elle universelle, sans dérogation aucune... Le problème avec Nicolas c'est qu'il concentre de forces contraires, du moins en apparence ! Mais c'est une autre question... que j'ai déjà soulevée.
Là le problème est autre, dans la recherche du discours vrai, fondé en vérité, etc. Regardez l'argument de Nicolas pour contrer l'argument de santé public avancé par ses collègues du gouvernement : "Interdire de fumer dans les endroits où on vend du tabac, c'est quand même curieux". Surprenant, non ?
Tiens, moi, je propose que tous les épiciers soient contraints d'accepter que leurs clients s'installent dans leur boutique pour déguster ce qu'ils viennent d'acheter ! Je suis sûr que Monsieur Sarkozy en fera un projet projet de décret !