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BRICH59
27 mars 2016

Un indispensable bien commun en devenir

Utiliser Wikipédia comme source d'information fiable / Guy Delsaut. - Bois Guillaume (76230) : Éditions Klog, 2016. - 182 p. - ISBN 979-10-92272-12-3.

delsautL'encyclopédie polyglotte et collaborative Wikipédia avait tout juste cinq ans, Guy Delsaut posait déjà, dans un article publié par les Cahiers de la documentation (2005/4, p.13 sqq.), la question de sa fiabilité en tant qu’encyclopédie. Du moins entreprenait-il de répondre aux “nombreux détracteurs qui [...] reprochent [à Wikipédia] de ne pas être fiable”.

L'entreprise est d'importance dans la mesure où un “ouvrage qui traite ou prétend traiter de toutes les sciences”, voire un objet qui prétend consigner “la connaissance de tout ce que l’homme peut savoir”, comme disait Paul Otlet (Traité, §241.221), ne saurait tromper son monde. Du temps des encyclopédies médiévales, la question ne se posait pas ainsi. L'imprimatur suffisait à certifier la fiabilité, c'est-à-dire la conformité au dogme. Depuis lors, l'humanité a appris à se passer de la caution ecclésiastique pour ne se fier qu'à la cohérence interne du système des vérités construites selon les règles de la raison (“l'arbre de la philosophie” de Descartes, “l'arbre généalogique encyclopédique” de D'Alembert, la “cohésion intime” dont parle les auteurs de la Grande Encyclopédie, etc.). Mais qu'il s'agisse de l’œuvre pilotée par Diderot et D'Alembert ou de celle pilotée par Dreyfus et Berthelot, les auteurs sont de fait membres d'une société savante reconnue en tant que telle. Pour faire partie d’une entreprise de publication scientifique, notamment en tant qu’auteur, il convient d’être coopté et/ou de  se soumettre à une “évaluation par les pairs” (peer review). Le “comité de lecture” préalable - quelles que soient sa dénomination, sa structure, son fonctionnement et sa justification (publication dans une revue ou dans une collection, contribution à colloque ou à ouvrage collectif, etc.) -, s’impose quand la recherche scientifique veut accéder à la visibilité. Ce comité de lecture est censé évaluer la validité et la conformité de l’écrit soumis aux canons de la recherche scientifique, canons eux-mêmes édictés par la communauté scientifique. Par ailleurs les membres les plus gradés ou reconnus de cette communauté pilotaient des collections chez les éditeurs... Point besoin de mobiliser les thèses d’un Foucault ou d’un Bourdieu. On comprendra aisément qu’on est là dans un dispositif clos où il faut être introduit à un “titre” ou à un autre.

Mais vint le web, qui se socialisa très vite pour permettre notamment la publication collaborative en ligne (wiki). Dans l’émergence d’un nouvel ordre de production et d’édition, est né Wikipédia, où le principe d’ouverture (cf. l’open source) préside à la construction de l’encyclopédie et donc de la connaissance. “À savoir, que, dans un projet libre et utilisable gratuitement par tous, n’importe qui peut collaborer en apportant une pierre à l’édifice. La somme des contributions, même les plus modestes aboutit à une encyclopédie en ligne complète.”[1] On comprendra aisément le malaise immédiat des producteurs (détenteurs) de savoirs patentés. L’accusation de non fiabilité fut une réplique dont la force était à la mesure conjuguée du succès public de l’entreprise collaborative et du sentiment de dépossession chez de nombreux scientifiques et universitaires, sentiment d’autant plus violent que Wikipédia devenait progressivement un incontournable gisement d’informations[2] - ce qui pourrait nous entraîner vers un autre sujet : le plagiat académique (voir le récent ouvrage de Michèle Bergadaà).

En 2013, l’auteur tentait (osait ?) une comparaison entre la version francophone de Wikipédia  et la version en ligne de l’Encyclopædia Universalis, toujours dans les Cahiers de la documentation (2013/2, p.52 sqq.). Conclusion ? La première est une encyclopédie libre, ouverte (Creative commons à tous les étages), gratuite, actualisée en permanence et facile d’accès. De son côté, la seconde est une encyclopédie propriétaire (domaine du copyright à tous les étages), fermée (auteurs sélectionnés), coûteuse, avec “recul face à l’actualité” et quelquefois difficile d’accès. D’autres études comparatives ont été publiées, fournissant peu ou prou les mêmes éléments de constat, ce qui n’empêche que, comme dit Guy Delsaut, “nous avons une encyclopédie dont la conception est et restera sans doute toujours contestée” (p.60).

En ce début 2016, l’auteur nous propose de faire le point sur “Wikipédia comme source d’information fiable”, comme pour en finir avec cette problématique et nous faire partager sa grande expérience de contributeur. Très pédagogiquement, il construit la représentation que l’on peut se faire de Wikipédia, posant la définition d’”encyclopédie” puis présentant Wikipédia et ses différents niveaux (page d’accueil, articles, portails, catégories...), pour enfin dresser un état sans concession des reproches qu’on adresse trop facilement à l’encyclopédie collaborative. La majeure partie de l’ouvrage (les chapitres 2 et 3, soit 113 pages) est consacrée aux “erreurs” de Wikipédia, à leur origine, et à la façon de les repérer et de “vérifier l’information”. Ces pages pourraient à coup sûr servir d’introduction (partielle certes) à l’écriture scientifique. Des enseignants du supérieur ne proposent-ils pas à leurs étudiants d’enrichir des articles de l’encyclopédie concernant leur discipline (physique, informatique...) ? Il est clair qu’inciter les étudiants de haut niveau à entrer en Wikipédia ne peut qu’augmenter la confiance qu’ils placent dans le projet collectif, notamment par la prise de conscience des règles communautaires. Gilles Sahut n’a-t-il pas constaté une telle évolution positive de la confiance envers l’encyclopédie chez les jeunes lycéens contributeurs encadrés par leurs enseignants rencontrés pour les besoins de son enquête ?[3]

Pour conclure, l’auteur revient sur la question que pose le titre de son ouvrage, celle de la fiabilité de Wikipédia. Les éléments de réponse qu’il propose se placent sur le registre  très positif de l’amélioration continue de la qualité de l’encyclopédie collaborative, par quelques recommandations concernant son fonctionnement même.

“Pierre angulaire [...] de la Bibliothèque” parce que “lien entre tous les livres”, comme disait Paul Otlet (loc.cit.), l’encyclopédie trouve avec Wikipédia une fonction tout à fait particulière qui en fait la promesse d’être un indispensable bien commun, c’est-à-dire mundanéen.

Note de lecture rédigée pour l'ADBS


[1] Wikipedia et ses controverses [http://www.scriptol.fr/web/wikipedia.php, consulté le 8 mars 2016].

[2] Voir l’usage qu’en fait Google avec son moteur de recherche (ou plutôt moteur de réponse comme dit Olivier Andrieu [abondance.com]).

[3] Wikipédia, une encyclopédie collaborative en quête de crédibilité : le référencement en questions (thèse soutenue le 30 novembre 2015, Université de Toulouse, déposée dans HAL le 18 janvier 2016, soit trois jours après la publication de notre ouvrage : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01257207).

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27 mars 2016

Une parole adolescente superbement restituée

Grandir connectés. Les adolescents et la recherche d'information / Anne Cordier. - Caen : C&F Éditions, 2015. - 303 p. - (Les enfants du numérique). - ISBN 978-2-915825-49-7

Grandir connectésImaginaires, représentations, pratiques formelles et non formelles de la recherche d’information sur Internet : Le cas d’élèves de 6ème et de professeurs documentalistes. Tel est le titre de la thèse en Sciences de l’information et de la communication qu’Anne Cordier a soutenue à l’université de Lille3 en 2011[1]. L’ouvrage publié en 2015 et que nous lisons aujourd’hui en est un prolongement attendu. Il est intitulé Grandir connectés : Les adolescents et la recherche d’information. Le champ d’investigation s’est élargi : on passe des collégiens de 6ème aux adolescents qu’ils soient collégiens ou lycéens. L’écriture ne vise plus le même lecteur : on passe des membres du jury de thèse au public composite des parents, enseignants, professionnels de l’information et de la documentation et autres médiateurs. Le propos aussi a changé : il s’est à la fois allégé et élargi. On est passé de l’établissement d’un réseau d’hypothèses à consolider puis à éprouver à la relation quasi narrative d’une réflexion personnelle sur les pratiques sociales et éducatives. On est passé du ‘nous’ académique au ‘je’ personnel.

Le grand intérêt de cet ouvrage - en même temps que le grand plaisir de le lire - réside à coup sûr dans la restitution des paroles adolescentes. On entend les adolescents parler, on les voit dialoguer, on devine le non verbal qui accompagne les paroles. La lecture nous incite quasiment au désir de dialogue avec eux. De là à ce que l’auteure devienne le porte-voix des adolescents, il n’y a qu’un pas qu’elle franchit, au risque de la confusion des rôles. La “cause des adolescents”[2] est ici portée par une adulte qui s’est investie très personnellement d’une mission tout à la fois sociale, scientifique et pédagogique. On est alors témoin d’une sorte d’exhibitionnisme obligé du “chercheur impliqué”. On a l’impression de se trouver devant le carnet de bord d’une recherche ethnographique “engagée”, d’une exploration immersive où la chercheuse-actrice-formatrice devient vecteur voire instrument de formalisation de pratiques (formelles, informelles), où la pensée praticienne se donne des allures d’écriture scientifique et la pensée scientifique des airs d’écriture praticienne.

Bref, l’ouvrage d’Anne Cordier place son lecteur dans l’inconfort d’un tiraillement entre parole adolescente superbement restituée et structuration imposée par le regard de l’acteur qui restitue. Ce tiraillement, pour inconfortable qu’il soit, est vivifiant et fait germer dans l’imagination intellectuelle du lecteur comme des lueurs de compréhension des scènes adolescentes.

Au premier acte, les personnages principaux se présentent : la chercheuse et les adolescents avec leurs pratiques informationnelles sur le Net. Vient ensuite l’heure des “vérités et contre-vérités” sur ces pratiques - qui, troisième acte, sont contextualisées dans l’environnement informationnel et social des adolescents en question - dont, quatrième acte, les imaginaires et les pratiques d’information sur internet sont exhibés. Le tableau final nous propose de passer de l’analyse à l’action. Certes aux actes précédents, des pistes d’action (notamment pédagogiques) étaient esquissées voire dessinées comme en sous-texte. La trentaine de pages conclusives énoncent des pistes d’action tout en relativisant l’analyse qui y a conduit. Cela n’est pas sans réactiver la question du statut de l’ouvrage : recherche scientifique, narration réflexive, carnet de bord ethnologique, rapport d’exploration, bout de recherche-action… Reste que, malgré l’inconfort vivifiant mentionné plus haut et bien qu’on reste sur sa faim quant à la profondeur attendue de l’analyse (par exemple sur les tensions entre comportements “spontanés“ et comportements prescrits ou sur ce que les imaginaires adolescents font du “document” et de l’“information”), la lecture de l’ouvrage d’Anne Cordier est agréable et enrichissante, serait-ce uniquement pour le contact qu’il offre de la gent adolescente.

Note de lecture rédigée pour l'ADBS



[2] Clin d’oeil manifeste à Françoise Dolto.

9 mars 2016

Les religions et le réel

jw_orgCoup de sonnette. On ouvre. Un quadra bien fait sur lui tend un feuillet plié en 2. promouvant une "événement ouvert au public" et prtant cette phrase entre guillemets "Tu seras avec moi dans le Paradis" puis cette question : "comment cette promesse sera-t-elle réalisée ?".

On décline et on ne se saisit pas du feuillet tendu, pour la simple raison qu'on comprend immédiatement qu'il s'agit d'un démarchage religieux. jw_org2bLe quadra travaille en fait - on l'apprend plus tard - pour le compte des témoins de Jehovah...

On referme la porte, polmiment bien sûr, mais le quadra bien fait sur lui glisse le feuillet dans la boîte aux lettres... Quelqu'un de chez moi trouve ledit feuillet et le chifonne presque de rage. Je le récupère pour lire. Il faut toujours lire ;-)

Or qu'y apprend-on ? Que le Dieu des chrétiens promet le paradis à "un criminel condamné à mort". L'Évangile de Luc est cité. C'est dire qu'on est dans le dur et le sérieux.

Mais n'est-ce pas ce qui est promis aux djihadistes et autres terroristes animés par des motivations religieuses ? 

Question.


 

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