La République et l'affranchissement de l'esclavage
Ce printemps, en me baladant dans l'Oise, je me suis arrêté à Beauvais, au musée départemental. On pouvait y admirer quelques chefs-d'œuvres du XVIIIème siècle des musées d'Amiens, de Giacomo del Po à Hubert Robert , en passant par Chardin, Fragonard.... De cet Hubert Robert que je ne connaissais pas, j'ai bien aimé les polichinelles chanteurs.
L'exposition temporaire est passionnante. La permanente est elle aussi très intéressante : belle statuaire en bois notamment, avec des pièces datant du tout début XVIème comme cette vierge à l'enfant ci-contre.
Mais un tableau m'a intrigué plus que tout ce que j'ai pu voir. Non par sa facture, sa qualité picturale, mais par ce qu'il semble signifier de l'idéologie républicaine d'il y a un peu plus d'un siècle et demi. Il s'agit d'une commande d'État (ministère de l'Intérieur) à Nicolas Louis François GOSSE, peintre français né à Paris en 1787, mort à Soncourt-sur-Marne en 1878, un "petit maître" comme disait Cabanne et Schurr dans leur Dictionnaire des Petits Maîtres de la Peinture (1820-1920). La commande date du 30 août 1848. Ce que j'ai eu sous les yeux n'est pas le tableau commandé (qui est perdu), mais une esquisse (inv.79.16). Le tableau s'intitulait Liberté, Égalité, Fraternité ou l'Esclavage affranchi et fut exposé au salon de 1849. La présentation officielle du tableau dit ceci : Au centre, la Liberté porte le bonnet phrygien. À sa gauche, l'Égalité porte le niveau. À sa droite, la Fraternité tient un rameau d'olivier, symbole de paix. La liberté porte les chaines brisées de l'esclavage aboli.
Cette présentation omet quelques détails.
Par exemple que la femme blanche a la poitrine relativement couverte, alors que la femme noire a les seins à l'air. Sûrement ce retard dans l'histoire, dans la culture dont parlait notre roi d'Maubeuge il n'y a encore pas si longtemps ! À moins que l'africaine soit plus près de l'état de nature - comme on disait à l'époque après Rousseau - que l'européenne ? Plus proche de la bête, en somme !
Par exemple que le personnage centrale, Liberté, tient la chaîne brisée dans sa main gauche, comme dit la présentation officielle, mais tient aussi le rameau d'olivier symbole de paix - que la présentation officielle attribue au personnage représentant le peuple affranchi. C'est que les esclaves ont dû faire montre de violence pour se libérer, faire une révolution pour imposer l'idée qu'ils étaient des hommes et des femmes (souvenez-vous quelques siècles plus tôt la fameuse controverse de Valladolid). Ils ne sauraient donc porter un symbole de paix - malgré le discours officiel.
Par exemple que cette République-là est digne de notre bon chanoine de Latran, je veux dire le roi d'Maubeuge : elle est irradié d'on ne sait quelle transcendance céleste (voyez les rayons derrière sa tête) et a mis une croix sur la poitrine de l'affranchie - prix à payer pour l'affranchissement (?). Il est vrai qu'à l'époque, on apprenait à lire avec la Bible... Sûrement un de ces bienfaits de la colonisation...
Etc.