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BRICH59
13 juillet 2004

Sens et références en documentation. Des pratiques bibliogaphiques à l'herméneutique documentaire

29Ce texte est extrait de « FORMATIONS OUVERTES MULTIRESSOURCES ». Éléments bibliographiques pour l'Université d'été de Lille, 6-12 juillet 1994 (Les Cahiers d'études du CUEEP, 29, avril 1995). Il en constitue l'introduction. Une version (allégée) a été publiée par l'ADBS, dans la revue Documentaliste-Sciences de l'information, vol.33, n°1, janvier 1996, p.9 à 15.

Ces éléments bibliographiques ont été réalisés à la demande de l'un des organisateurs de l'Université d'été 1994 Formations ouvertes multiressources, le CUEEP. Il s'agissait de produire un document qui accompagne les travaux de l'Université d'été, conçue comme un réseau d'échanges et d'informations sur des expériences ou des projets de formation ouverte, comme un lieu et un temps où ces expériences et projets pourraient être théorisés sur fond de problématique. Je ne développe pas : les actes de cette Université d'été font l'objet du précédent Cahier d'études.


Des documentalistes et des acteurs

Avant de présenter le présent cahier - qui vient comme complément du précédent -, je voudrais mettre en avant le rôle de la fonction documentaire dans une entreprise locale de construction collective de savoirs spécifiques - ce que peut être une Université d'été. Il est en effet courant que les documentalistes soient mobilisés à l'occasion de colloques, séminaires et autres manifestations où les acteurs de la formation continue entreprennent un effort de discours théorisant.

Ainsi

  • en 1991, lorsque l'Action Collective de Sallaumines fêta ses vingt ans [Bruno Richardot, 1971/1991. Vingt ans d'Action Collective de Formation à Sallaumines, Noyelles-sous-Lens, Méricourt et Loison-sous-Lens, Lille : CUEEP, avril 1991, 16 p.; bibliographie analytique dont la version signalétique se trouve dans Actualité de la formation permanente, n° 112, mai-juin 1991, p. 18-19],

  • puis en 1993, lorsque la DAFCO de Lille célébra elle aussi un vingtième anniversaire, celui des GRETA [Bruno Richardot (dir.), Évolution des métiers de la formation des années 70 à l'an 2000, Lille : Collectif Documentaire pour l'Emploi et la Formation-DAFCO, septembre 1993, 87 p. A noter qu'il s'agissait d'une bibliographie signalétique. Ce travail collectif doit être situé dans le prolongement de la bibliographie, signalétique là aussi, qui m'avait été commandée à l'occasion du colloque formation de formateurs de 1989, dont les actes ont été publiés : Actes du colloque : " les formateurs d'adultes et leurs qualifications : réponses des universités ", les Cahiers d'études du CUEEP, numéro spécial, juin 1990, 359 p., annexes (les "repères bibliographiques" se trouvent aux pages 29-51 des annexes)],

  • ou encore, plus récemment, lorsque le Centre Inffo organisait deux journées d'études sur les métiers de la formation [Stéphane Héroult, Laurence Le Bars, Les métiers de la formation, Paris-La Défense : Centre Inffo, janvier 1995, 71 p., en deux cahiers]...

C'est que les documentalistes sont de plein droit des acteurs de la formation continue. "Piétons du savoir" [Pour reprendre le titre d'un article de Serge Cacaly paru dans Documentaliste. Sciences de l'information, vol. 22, n° 6, novembre-décembre 1985, p. 208-215], les documentalistes jouent un rôle de premier ordre dans la pensée et dans l'action. Leur rôle est "de donner à penser, de donner à agir" [Ib., p.215] ?

Les documentalistes sont au cœur de l'action, quand cette action serait celle des acteurs réellement engagés dans la "production" de formation. Mais pour n'être pas engagés dans l'action directe, les documentalistes n'y sont pas moins réellement impliqués, aménageant les "ponts" entre l'écrit (écrits d'acteurs, écrits de chercheurs, écrits...) et l'action, entre les écrivants et les acteurs - ponts dont le franchissement par ces derniers est in fine propice à l'amélioration de la qualité de la production de formation. La documentation comme documentaction...   

Les documentalistes seraient, par métaphore, des ingénieurs des Ponts et Chaussées chargés d'aménager le territoire de la formation continue de façon à ce que les provinces de l'écrire et de l'agir ne soient jamais coupées l'une de l'autre, que des voies de communication soient praticables dans les deux sens.

Mais tous les ponts ne sont pas identiques. Le présent cahier en montre une certaine diversité, de la bibliographie analytique thématique à l'exégétique, en passant par l'analytique d'auteur.

Une bibliographie analytique thématique

L'intitulé de l'Université d'été, "multi-thèmes" presque par définition, imposait un éclatement de la thématique. De fait, chaque journée de l'Université d'été était thématiquement "lancée" par la conférence-débat du matin. Philippe Carré inaugura la formule en dressant un état des lieux sur l'autoformation et en en dessinant les perspectives. Le deuxième jour fut consacré à la place des formateurs et des animateurs dans les dispositifs d'individualisation. Georges Lerbet prononça une conférence, le jour suivant, intitulée "Autonomie, construction, appropriation des savoirs". Le quatrième jour proposa un éclairage économico-stratégique de la formation ouverte. Enfin, Serge Pouts-Lajus esquissa une méthodologie d'évaluation des dispositifs de formation ouverte.

Si le documentaliste voulait que son labeur produisît un outil qui suive le programme des participants à l'Université d'été, il ne lui restait qu'à confectionner une bibliographie en cinq étapes, en cinq thèmes [On a coutume de dire que le partage de la thématique relève de l'arbitraire du documentaliste. Mais, c'est moins le partage de la thématique elle-même que la répartition des documents sous tel ou tel thème qui, ici, relève de l'arbitraire du documentaliste. C'est la règle du genre, dont les effets malicieux devraient être atténués par la lecture des notices qui accompagnent les références. Autre arbitraire : cette bibliographie se limite à la période 1985-1994.]. Ce qui donne immédiatement les chapitres de la première partie de ce cahier :

  1. formations ouvertes multiressources (expériences et généralités)
  2. formations ouvertes multiressources et métiers de la formation
  3. formations ouvertes multiressources et construction des savoirs
  4. formations ouvertes multiressources et marché de la formation
  5. formations ouvertes multiressources et évaluation

Mais comme un documentaliste ne travaille jamais ex nihilo, il convenait, dans un sixième chapitre, de signaler les bibliographies déjà publiées sur ces thèmes, qu'elles soient signalétiques ou analytiques.

à suivre



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12 juillet 2004

Sens et références en documentation. Des pratiques bibliogaphiques à l'herméneutique documentaire [9]

[suite de ...]

Éléments pour une herméneutique documentaire

"La philosophie est une anticipation des pensées et des pratiques futures.
[...] Non seulement elle doit inventer, mais
elle invente le sol commun aux inventions à venir.
Elle a pour fonction d'inventer les conditions de l'invention.
"
Michel Serres, Éclaircissements. Entretiens avec Bruno Latour,
Paris : Flammarion, 1994, p. 129 (Champs)


Mais l'herméneutique est une pratique de type philosophique et les débats qu'elle suscite engagent les philosophes, pas les documentalistes. Qu'elle mobilise ici de la technique documentaire n'implique nullement qu'elle relève de l'activité documentaire.

Si je convoque la philosophie dans mon propos - qui est bien propos de documentaliste -, c'est parce que je fais le projet d'asseoir ma professionnalité sur une pensée vive et vivifiante (c'est-à-dire octroyeuse de sens), dont l'énergie résulte d'un perpétuel besoin de comprendre. Peut-être aussi du refus obstiné de la double réduction, techniciste et ancillaire, qu'on impose trop souvent à la fonction documentaire.

Situation de l'herméneutique documentaire

Par ailleurs témoin de l'écriture praticienne [Voyez la conclusion, déjà citée, du numéro 27 des Cahiers d'études du  CUEEP], je ne résiste pas au « désir » de mettre en place les conditions de possibilité de sa problématisation : l'écriture des acteurs de l'éducation permanente ne pourra se déployer et se problématiser que dans une nouvelle région de l'herméneutique, qui fonctionnerait à trois niveaux :

1. niveau de l'acteur écrivant
    1.1. qui sont ces écrivants, pour qui et pour quoi écrivent-ils ?
        quelles sont leurs motivations à écrire ?
        quels processus identitaires engagent-ils ?
    1.2. quelles  sont les difficultés qu'ils rencontrent dans l'acte d'écriture ?
2. niveau de l'institution éducative
    2.1. quel  statut l'institution accorde-t-elle à l'écriture praticienne ?
    2.2. quels  sont les enjeux de l'écriture praticienne pour l'institution ?
3. niveau de l'écrit
    3.1. quels  instruments de lecture et d'interprétation ?
    3.2. quelles  relations entre le texte et l'action ?

C'est bien sûr au troisième niveau que s'inscrit le projet d'herméneutique documentaire. Mais une herméneutique caractérisée comme documen- taire est-elle seulement possible ? A quelles conditions ? Pour produire quoi ? Et selon quels protocoles ?

Comment le documentaliste va-t-il pouvoir/devoir s'y prendre pour enri- chir sa professionnalité d'une capacité à « interpréter » sans pour au- tant y perdre son âme, c'est-à-dire sa spécificité de documentaliste ? Comment installer dans le même bateau l'ouverture herméneutique potentiellement infinie et la nécessaire réduction documentaire ? Quel hybride naîtra de cette union (contre nature ?) de la Bedeutung et de  la Bezugnahme ?

Un possible comme exemple à analyser

Je limiterai ma réponse, aujourd'hui, en proposant un exemple d'un tel hybride, une production - parmi une foule de possibles - réalisée avec l'objectif d'ouvrir le documentaire. Je veux parler de ce que j'ai appelé, après Philippe Carré, l'exégèse bibliographique d'auteur.

Hybride, l'exégèse bibliographique est une œuvre doublement bridée.

En tant que bibliographie, d'abord, elle s'oblige à présenter une entrée émiettée : la  référence-Bezugnahme y est mise en  ordre (en l'occurrence ordre chronologique) .

Ensuite, le centrage exclusif sur l'auteur réduit considérablement le champ du mobilisable pour l'interprétation. Le travail sur l'intertexte, notamment, ne peut s'effectuer qu'à l'intérieur du corpus marqué du nom de l'auteur. La Bedeutung est conditionnée par la mise en relation des Bezugnahmen entre elles. Le travail de déploiement du monde de l'œuvre de l'auteur, le travail herméneutique est borné par le travail proprement bibliographique.

On parlera donc d'une exégèse close : on y entre et on en sort par des fermetures.

Au-dedans cependant le documentaliste herméneute trace les profondeurs, aménage les perspectives, donne à voir les reliefs du monde scriptural de l'auteur. L'ouverture se fait au-dedans, à l'intérieur de l'enclos d'atomes rangés du bibliographe. Ouverture au-dedans et fermeture au-dehors, référence-Bedeutung au-dedans et référence-Bezugnahme au-dehors. L'herméneute refaçonne les ruines d'œuvre laissées par le bibliographe, y implantant un système d'innervation propre à donner au champ de ruines une apparence de vie articulée. Ce système relationnel, ce réseau de communication n'est que fils ténus tendus d'une ruine à l'autre. L'herméneute n'ajoute rien que de la circulation entre les éléments bibliographiques. En cela, l'exégèse bibliographique serait le niveau zéro de l'interprétation.

Cette capacité à rendre à l'œuvre une vie d'outre-bibliographie, le documentaliste herméneute la tient de la lecture, de sa lecture de l'œuvre qui est construction d'un projet de monde, mais aussi de la lecture de la bibliographie elle-même qui est évaluation de l'émiettement en même temps que du travail de mise en réseau à accomplir. Aussi, plutôt que de dire le travail herméneutique borné par le travail bibliographique, ne convient-il de le penser comme travail sur le travail bibliographique, c'est-à-dire comme dépassement du proprement biblio- graphique par la lecture de  l'œuvre, comme ouverture de l'en-clos ?

Tant qu'il y aura des lecteurs...

Lille, le 27 avril 1995


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