Tel était l'intitulé de l'atelier que je devais animer hier après-midi - dans le cadre d'une journée consacrée, au CUEEP, à la présentation de plusieurs travaux publiés ou en cours de publication, le tout centré à la fois sur la problématique des compétences-clés recommandées par la commission européenne et sur les pratiques d'accompagnement qui de plus en plus jouxtent les pratiques simplement pédagogiques, voire s'imbriquent en elles.
Le métier de formateur..., jusqu'où ?
Ça me rappelle inévitablement le travail que nous avions entrepris au CUEEP il y a deux ans et demi et qui avait donné lieu à bilan sous ma plume, partiellement repris sur ce blog. Le formateur était affublé d'une triple mission, dont celle d'accompagner l'apprenant... Accompagner, certes, mais, encore une fois, jusqu'où ? Et puis jusqu'où peut-on aller en injonction adressée au formateur, hors celle de "former" ?
Question large, très ouverte, très contemporaine aussi.
Pour camper le paysage problématique de cette question, j'ai proposé de réactiver quelques questions, plus ou moins récentes.
ÉDUQUER / FORMER
Vieille dichotomie. Vieux débat. Dès les années soixante, la question de la finalité ultime de la formation, de l'objectif visé en dernière instance. Question de l'image qu'on se fait de l'humanité. Vieux débat, mais toujours actuel, toujours actualisable.
Trois objectifs sont ainsi assignables à la formation/éducation :
Objectif citoyenneté.
Dans le prolongement de l'objectif religion. Il y a très longtemps on apprenait à lire sur la Bible. Depuis Condorcet et les autres, c'est aussi sur le Contrat social.
L'objet de référence a changé. L'objectif de formatage est toujours actif - qui se disait déjà chez les stoïciens romains par exemple (n'est-ce pas ce bon Ciceron qui disait quelque chose du style : la liberté c'est le respect des lois ?).
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Objectif autonomie et esprit critique.
C'est plus récent. Déjà les Lumières, certes. Mais manifestation la plus généreuse et la plus accomplie avec des gens comme Bertrand Schwartz, Jacques Delors, etc. Humanisme social-démocrate.
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Objectif "armée industrielle de réserve".
Moins glorieux comme finalité. Moins explicité, bien sûr.
Il faut oser, quand on est formateur, avouer cela.
Relire Karl Marx et la lecture qu'en fait Rosa Luxemburg. Puis lire Accardo.
FORMATION / EMPLOI
Puis vient la question de la liaison entre formation et emploi, la fameuse "introuvable relation" (1986) - qui, pour introuvable qu'elle soit, a connu diverses modalités d'existence.
La formation comme accès à l'emploi.
Souvenez-vous des premiers centres de FPA, Formations Professionnelles Accelérées, de ce qui allait devenir l'AFPA. On est juste après guerre, au début des "trente glorieuses". Il faut reconstruire le pays, former rapidement une main-d'œuvre ... La formation sur fond de quasi plein-emploi.
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La formation comme gestion du non-emploi.
Milieu des années soixante-dix, fin des "trente glorieuses". Le chômage de masse fait son apparition. Dix ans plus loin, c'est le chômage dit de longue durée qui pointe son nez. Le chômage de masse (notamment celui des jeunes) et le chômage de longue durée (notamment celui des personnes n'ayant qu'un "bas niveau de qualification") sont toujours là. La formation gère tout ça à sa façon.
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La formation outil de culpabilisation des bas-niveaux de qualification.
Dans les années quatre-vingt, c'est l'employabilité qui pointe son nez, comme concept régulateur ou plutôt justificateur du chômage de masse et du chômage de longue durée. Une façon comme une autre de faire porter aux personnes au chômage la responsabilité de leur propre misère. Une façon de camoufler la formation de "l'armée industrielle de réserve". Il est bien connu que la meilleure façon de contenir la révolte est la culpabilisation des masses... Accuser l'autre des crimes que l'on commet à son encontre, faire accroire à l'autre qu'il est la cause des maux qu'on lui cause, vieille tactique de prétoire...
En complément au travail de Laurent Cordonnier (Pas de pitié pour les gueux).
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La formation comme outil de reconnaissance individualisée.
C'est tout récent, comme la VAE, mais avec des antécédents, comme la VAP. Avec un élargissement du champ de compétence de la logique formation, élargissement qui fait passer du travail en emploi à l'activité en général du moment qu'elle est celle de l'individu. Envers positif de la dynamique de culpabilisation mentionnée ci-dessus, l'une des fonctions essentielles d'une démarche VAE étant, à mes yeux, de permettre positivement un travail de reconstruction de l'image de soi que l'école ou tout simplement la vie avait brisée, de favoriser la déculpabilisation qui s'en était suivie. Mais trop peu de très officiels "accompagnateurs" (au sens large) ont conscience, hélas, de cette chance formidable que propose l'accompagnement en VAE : aider la personne dont la société a cassé ou simplement amoché tout un pan de vie, aider cette personne à reconstruire son image, son histoire, l'image de son histoire afin de se rendre présentable aux yeux des autres, à ses propres yeux ! J'en ai même vu qui en rajoutaient une louche de négativité culpabilisante, enfonçant le clou là où ça souffre, appuyant sur la tête de celui ou celle qui veut sortir de l'eau, parachevant ainsi la travail de sape sociale... Là encore relire Accardo.
Je suis convaincu du bien-fondé de l'idée selon laquelle il serait nécessaire que chaque "accompagnateur" soit d'abord accompagné dans un travail sur l'image de soi, avant d'être habilité à toucher à quoi que ce soit de la vie des autres. Cela éviterait bien des maltraitances symboliques...
Et les COMPÉTENCES-CLÉS dans tout ça ?
La recommandation européenne date de novembre 2005. Mais tout ceci est une vieille histoire. L'Éducation Nationale déjà avec les CAPUC dans les années soixante-dix. Puis l'OCDE plus récemment. Au Québec également... Les documentalistes de l'INRP ont fait un dossier très intéressant.
Cette recommandation peut être comprise comme aboutissement provisoire, comme stabilisation actuelle de cette histoire. Elle doit être envisagée surtout dans une dynamique d'homogénéisation des pratiques de certification au niveau européen et mondial...
Elle doit en fin de compte être resituée dans la perspective questionnante des deux dichotomies pointées ci-dessus. Que signifie cette recommandation du point de vue de la dichotomie Éduquer-Former ? Comment fonctionnent les compétences-clés dans la mécanique si complexe de la relation Formation-Emploi ? Etc.
Voilà pour le cadre général qui pouvait faire toile de fond à la présentation des travaux de l'AROFESEP d'une part (Brigitte Kaiser, de l'ILEP) et du binome de chercheurs du laboratoire Trigone d'autre part (Pascal Roquet et Jean Clénet).
Tout d'abord la présentation du projet EQUAL Re-Co-Naître l'Éducation Permanente. Projet qui veut réactiver l'idée et les pratiques d'une authentique éducation permanente. À voir absolument le site concocté dans le cadre de ce projet européen : Reconnaître l'éducation permanente. Plein de bonnes choses y sont proposées, pour s'informer, réfléchir...
Nous étions quelques uns dans la salle à écouter Brigitte Kaiser et en même temps être assaillis de souvenirs des temps de fondation de l'éducation permanente dans notre région (les Actions Collectives de Formation nées au début des années soixante-dix, notamment). Personnellement des émotions d'ancien combattant désabusé ont tenté une percée dans mon lobe temporal interne...
Par exemple, la mise en avant de la priorité nécessaire aux personnes éloignées de la formation, celles qui constituaient dans le langage des années de fondation les "non-publics de la formation". Pensée pour Jacques Hédoux qui en fit le sujet de sa thèse de sciences de l'éducation.
Par exemple, la question de la proximité culturelle entre formateur intervenant et public de la formation, question des "formateurs issus du milieu" comme on disait il y a trente-quarante ans. Question qui produit les images d'une sorte de consanguinité sociale indispensable au "bon" développement de l'éducation populaire et permanente. Question jamais vraiment travaillée scientifiquement. Peut-être parce que le constat que pouvait faire le sociologue était décevant du point de vue de la consanguinité : les formateurs "issus du milieu" se démarquaient de leur milieu d'origine en devenant formateurs précisément. En tout cas question qui à l'époque produisit de l'ostracisme évidemment abusif et contraire au respect des droits de l'homme les plus élémentaires, du style ton père est bourgeois donc tu n'as pas le droit d'intégrer le "milieu local" de l'éducation permanente, etc. Ça frôlait le fascisme (relisez Matin brun de Franck Pavloff). C'était du racisme dans sa forme la plus conventionnelle, celle-là même que les militants du "milieu local" - ceux qui auto-intrônisaient "Force vive", "Avant-garde", etc.- combattaient avec raison lorsque les mineurs d'origine étrangère étaient maltraités par les HBNPC ou par la bourgeoisie locale...
Bref, stoppons-là les souvenirs et revenons à hier 17 novembre 2006 ! Revenons à cette injonction faite aux formateurs d'accompagner. J'ai juste quelques questions.
Question 1
L'accompagnement, comme compétence du formateur, qu'est-ce que ça veut dire ?
- Posture sociale / Posture professionnelle ?
- Savoir-faire d'expérience / Compétence apprise ?
- Problème éthique / Question de déontologie ?
- Engagement individuel / Manipulation sociale ?
- etc.
Question 2
Demander de nouvelles compétences aux formateurs, qu'est-ce que ça veut dire dans le mouvement d'intensification et de précarisation du travail que nous connaissons depuis plusieurs années dans notre secteur ?
Question 3
Développer des compétences comme l'esprit d'entreprise (une des compétences-clés de la recommandation européenne) auprès de nos publics au chômage, ça signifie quoi pour ces publics, par rapport à eux-mêmes, et par rapport à la formation de l'"armée industrielle de réserve" ? Et ça signifie quoi en termes de compétences du formateur dans la relation pédagogique ?