Validation des Acquis de l'Expérience & Illettrisme
Au tout début de l'année dernière, Inffo Flash (629, 15-30 janvier 2004) publiait un entretien avec Hugues Lenoir, maître de conférence à Paris X et intéressé par deux binomes thématiques : Illettrisme & Validation des Acquis de l'Expérience et Éthique & Formation.
Hugues Lenoir venait d'achever une recherche exploratoire auprès
d'acteurs de la VAE engagés dans des expérimentations en entreprise
pour des travailleurs en situation d'illettrisme. Elle l'avait conduit
à inviter les formateurs à chercher « les moyens de travailler avec l'oral de manière à ce que celui-ci fasse preuve, au même titre que l'écrit », pour reconnaître les savoir-faire de ces personnes et assurer ainsi davantage d'équité...
Ce matin, le C2RP a invité Hugues Lenoir pour animer l'un de ses petits déjeuners autour de la thématique VAE et Illettrisme.
Pas étonnant que l'un des organismes phares de la formation continue du
Nord-Pas de Calais propose un tel menu matutinal : la VAE et la lutte
contre l'illettrisme sont deux thèmes majeurs de la politique
régionale.
Je figurais parmi les convives. Voici mes bribes de notes et mes
impressions fugaces et fondamentales en même temps. Je vous les livre pour ce qu'elles sont : partielles, personnelles et
forcément engagées. Hugues Lenoir m'a permis de les publier ici, mais
ne les a pas relues. Elles n'engagent donc que moi, qui
pour avoir participer en tant que professionnel de l'information et de la documentation à des jurys VAE (pour un diplôme de niveau III délivré par l'Université de Lille III), ai été "chamboulé" par la charge existentielle qui pèse sur l'impétrant qui faisait face au jury autant que par la charge éthique qui pèse sur le co-évaluateur que j'étais ;
pour avoir autour de moi des personnes faisant projet de sou- mettre un dossier VAE, suis témoin du décalage communicationnel entre elles et les "valideurs" ;
pour travailler depuis plus de vingt-cinq ans dans un organisme viscéralement attaché à la promotion des personnes de faible niveau de qualification, rêve d'un système social où l'on aiderait avec respect ces personnes à prouver leurs compétences et à enclencher les processus de formation au bout desquels s'éclair- cirait l'horizon du développement personnel et de la reconnais- sance intellectuelle.
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Tout d'abord une mise en garde :
le fonctionnement du binome "VAE & personnes en situations d'illettrisme" n'implique aucune dégradation des diplômes ou des certifications, prévient Hugues Lenoir.
D'ailleurs, la validation des acquis n'est pas née de la dernière pluie : elle fonctionne
depuis avant le Front Populaire pour le diplôme d'ingénieur - diplôme
qui se porte toujours très bien...
Ensuite un paradoxe :
Hugues Lenoir soutient dans le même temps que :
il n'est pas utile de recourir à l'écrit pour les personnes en situations d'illettrisme ;
il est nécessaire de mobiliser l'écrit dans la procédure VAE.
En effet, il n'est pas utile de recourir à l'écrit pour les personnes en situations d'illettrisme, mais il est nécessaire de mobiliser l'écrit dans la procédure VAE ne serait-ce que pour relancer la dynamique d'apprentis- sage des savoirs de base, savoirs socialement indispensables quoi qu'il arrive.
Enfin, une distinction entre deux logiques de validation :
la validation sur reconstitution écrite (secteur Éducation nationale, secteur Santé Social, ...), comme si on savait toujours et fatalement ce que l'on fait ;
la validation sur mise en situation d'expérience (Ministère du travail), comme si on savait parce qu'on fait.
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Commençant le compte-rendu rapide de
son étude VAE et situations d'illettrisme (2004), Hugues Lenoir évoque
la figure tutélaire de ce bon vieux
Socrate dont on ne connaît aucun écrit, à se demander s'il a même su
écrire, et qui, pourtant, a produit bien du savoir...
Et de proposer un syllogisme sur le mode du célèbre
Tout homme est mortel.
Or Socrate est un homme.
Donc Socrate est mortel.
L'expérience produit de la compétence et du savoir.
Or les personnes en situations d'illettrisme sont riches d'expériences.
Donc les personnes en situations d'illettrisme ont de la compétence et du savoir.
La question n'est donc pas tant d'avoir
la certitude que les personnes en situations d'illettrisme ont du
savoir et de la compétence. On a cette certitude, et depuis belle lurette ! La question, cruciale, est de savoir
comment permettre la reconnaissance de ces savoirs et compétences. Rôle
important, primordial de l'ACCOMPAGNEMENT.
Une distinction entre deux types de reconnaissance :
la reconnaissance pour soi (renforcement narcissique) où l'accompagnement pointe diplômes et certifications ;
la reconnaissance pour le travail, où l'accompagnement prend en compte le marché local de l'emploi, etc.
Puis vient un paradoxe, encore, mais sous forme de question : si on maintient le recours à l'écrit, quid des personnes en situations d'illettrisme, sachant que la loi de 2002 a été pensée pour les bas niveaux de qualification ?
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Qulques questions à la volée concernant l'écrit
Que
mesure-t-on dans la procédure VAE : de la connaissance ou de la
compétence ? Dans le second cas, c'est l'action qui donnera le contexte
de la mesure. Dans le premier cas, l'écrit tient une place importante,
mais adossé à l'oral comme moyen de montrer (Cf. Françoise Waquet, Parler comme un livre).
D'autre part, quid de la nature et du niveau de l'écrit ? Hugues Lenoir attire notre attention ici sur la dérive type "promotion sociale", que j'ai pu connaître dans le fonctionnement des jurys CAPUC dans les années quatre-vingt. Cette dérive consiste à être bien plus exigeant qu'il ne le faudrait : là où un candidat au CAP en formation initiale obtienait son diplôme avec une note de 10/20 et en ayant éventuellement fait quelques impasses dans le "programme", un candidat en formation continue devait justifier d'une note satisfaisante dans chaque partie du programme sans exception aucune. Et au final, certains employeurs, je m'en souviens très bien, avaient conscience de cte différence et disaient préférer une personne avec un CAPUC obtenu en formation continue à un diplômé de la formation initiale...
Encore une question importante : quel est l'étalon pour construire et évaluer l'écrit en question, l'étalon académique (écrit théorique) ou l'étalon professionnel (écrit d'usage) ?
Enfin, question du niveau de formalisation, à l'écrit comme à l'oral - question qui s'appuie qur la problématique de la preuve.
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Des pistes ...
Pêle-mêle, Hugues Lenoir lance des idées, comme autant de pistes pour réfléchir et pour agir autrement.
- Les « chefs-d'œuvres »
des compagnons du Tour de France considérés comme preuves matérielles, mais aussi
comme indice de la place sociale, dans le travail...
- Production d'audio-visuel sur son activité, avec oralisation...
- Schématisation de processus complexes, avec oralisation...
- Appel à un tiers scripteur qui se tiendrait dans une position de "neutralité" à définir...
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Conclusion ?
La VAE, comme
ruse pédagogique (au sens de Jean-Jacques Rousseau), avec support écrit
pourrait permettre de passer de l'écriture domestique à une écriture
socialement validée, tout en restant une écriture pour soi.
Car enfin, même
si on milite pour la possibilité d'une VAE sans écrit, il faut bien
admettre que l'écriture/lecture est partout, dans tous les emplois...
Ceci dit, il y
aurait un effet pervers collatéral de la VAE : mettre au chômage ceux
qui, bien que compétents, ne sauraient prouver leurs compétences...
De là à penser qu'il faut maintenir des emplois non qualifiés...
Ce qui irait à l'encontre de la logique de la certification qui tend - hélas! - à s'imposer.