À La Chapelle des Flandres, l'année 2005 aura été musicalement fructueuse. 2006 s'annonce productrice de nouveautés - et pas seulement musicales.
Si
l'on s'adonne au jeu classique du rétroviseur annuel, on voit que 2005
aura été gouverné par deux volontés fortes, toutes deux centrées sur la
restitution musicale : travailler encore et toujours Josquin des Prés et travailler la forme même du concert. 2005 aura été aussi l'année de naissance de Biscantor!, chœur régional de jeunes, visant à restituer dans son fonctionnement les chapelles franco-flamandes du XV° siècle.
- Travailler JOSQUIN
comme on travaille une pâte riche en levain
Cela
fait un bon nombre d'années que l'association La Chapelle des Flan- dres, avec ses deux ensembles Métamorpho- ses et Cœli et Terra, travaille à
restituer ce joyau de la musique franco-flamande que constitue l'œuvre
du très fameux "Maître des notes" comme disait Luther. Ces messes notamment font
ainsi l'objet d'un soin tout particulier. Cette musique partage avec
celle de JS Bach la caractéristique d'être à chaque fois un système
architectural. Le dialogue des voix (contrepoint) est y immédiatement
spatial et chaque nouvel argument de l'une des voix fait évoluer la
construction dans son ensemble. Écoutez un des Motets de Bach les yeux fermés... et vous
verrez les voix discuter entre elles. Écoutez tel Agnus de Josquin...
il en sera de même.
Mais
il y a aussi l'homme Josquin, dans son
temps, temps de renaissance comme disent les historiens, temps
d'innovation aussi. 1440-1521 : Josquin aura vécu plus de quatre-vingts
années de cette période riche en invention - dont celle de
l'imprimerie, et de l'imprimerie musicale - mais aussi période riche en
guerres et autres œuvres de mort. La première victoire du jeune roi
François 1er, la première année de son règne, la trop fameuse Bataille
de Marignan - présente dans l'imaginaire historique collectif des Français [1515 !] -,
n'a-t-elle pas été acquise à un terrible prix : 16.000 morts en
quelques heures (du jamais vu !) ? À la fin de sa vie, le
Maître a-t-il
entendu l'appel d'Érasme de Rotterdam pour la paix (Querela pacis
undique gentium ejectae profligataeque) ? Période contrastée donc, où il
était passionnant de situer Josquin, non seulement sur le plan musical, mais aussi sur le plan dramatique: c'est l'enjeu de Nymphes des Bois, théâtre musical, création de Maurice Bourbon et Philippe Jacquier, réunissant musiques franco-flamandes et du XXI° siècle, qui sera donnée en 2006 dans notre région.
- Travailler la forme même du concert
Avec
Josquin ou Bach, on touche fatalement la question des rapports entre
espace, temps et matière. Ces trois éléments - que la théorie de la
relativité a articulés il y a un siècle - sont la matière première des
musiciens depuis la nuit des temps...
L'idée est simple : la musique
est un art qui fonctionne sur la répétition (sujet/contre-sujet,
thème/variations, cellules rythmiques, reprises, etc.), mais un art qui
n'existe que "concrétisé" dans une "re-présentation", toujours la même
et toujours différente... Cette re-présentation, cette concrétude
inscrivent la temporalité de la répétition - qu'on peut concevoir in
abstracto - dans l'espace hic et nunc de la représentation. L'organiste
par exemple, interprétant telle toccata de JS Bach, devra "composer"
non seulement avec la qualité de l'instrument qu'il a sous les doigts
(choix des jeux, notamment), mais aussi avec l'espace où le son va se
déployer (choix de l'articulation des doigts, notamment).
L'ensemble
vocal est un instrument certes et le chef de chœur est comme
l'organiste. Mais un ensemble vocal, ça bouge, c'est un groupe de
personnes qui ont de la voix, mais qui sont sur leurs jambes...
Cœli
et Terra a expérimenté cette réalité pour la première fois en septembre
dernier, lors des journées du patrimoine. C'était à Roubaix, à la
Condition Publique. Souvenez-vous : l'ensemble vocal se déplaçait de la
scène vers l'allée centrale, pour finir dans la grande salle, jouant
des résonances des lieux, jouant même du mouvement des spectateurs...
Et,
pour remplacer la continuité statique du groupe sans autres mouvements
que celui des lèvres et celui des yeux, le directeur artistique de La Chapelle des Flandres, Maurice Bourbon, a
imaginé d'instituer un fil vocal continu... Le concert s'entend alors
dans un souffle ininterrompu où chatoient les sons concrètement
déterminés, où s'entrecroisent les mélodies diaprées et où savent
renaître les accords au bout de la respiration.
L'intervention de l'ensemble Cœli et Terra le 22 décembre au Palais des Beaux-Arts de Lille a été de ce point de
vue très significative. Et le public a été transporté par cette
succession d'histoires racontées en chantant, par ces accords mou- vants
qui soudain habitaient l'atrium du musée, par toute cette musique enfin
aérienne et emplissant l'espace comme en dansant.
Une musicalité qui
restitue des chefs-d'œuvres des anciens et nouveaux maîtres de musique,
mais qui restitue, dans le même mouvement, les reliefs sonores de
l'architecture des lieux où elle se déploye aujourd'hui.
Dans la droite ligne de la tradition musicale franco-flamande, la rumeur prête à Cœli
et Terra et à Biscantor! deux créations de messes, dont l'une sur un thème populaire, et à Métamorphoses l'enregistrement d'un CD Josquin. Mais chut...
Bonne année musicale !