Mercredi vers midi, une dépêche de l'AEF attire mon regard sur mon écran d'ordinateur. Extrait :
Blocage des universités: le "collectif des étudiants bâillonnés" lance un blog pour "la majorité silencieuse"
Un "collectif des étudiants bâillonnés" s'opposant aux blocages des universités, dans le cadre des mobilisations contre le CPE (contrat première embauche), lance un blog (etudiantsbaillonnes.blogspot.com/), "celui de la majorité silencieuse" qui défend "la liberté d'étudier".
Le collectif dénonce "des caricatures d'assemblée générale [qui] reconduisent grèves et blocages dans des votes à mains levées" ainsi que "l'intimidation et les insultes [qui] sont les seuls arguments qu'on nous présente pour nous empêcher d'étudier". "Nous voulons que la démocratie soit respectée", ajoute-t-il.
Le blog "a pour objectif de rassembler les réflexions d'étudiants pris en otage, de faire état des dégradations commises et des violences" subies. "Faisons en sorte que notre voix soit entendue et que des étudiants, les médias n'aient pas seulement l'image de ceux qui veulent refaire leur petit mai 68 pathétique."
Ah ! Majorité silencieuse !
Voilà une de ces expressions qui me ravissent !
Voilà une de ces expressions comme je les aiment : aussi vides qu'il est possible !
Voilà une de ces expressions-interlope, d'autant plus interlope qu'elles sont creuses, c'est-à-dire propices à la cachette, et qui, du coup, fleurissent dans la logorrhée politique...
Parce que je pose la question : c'est quoi la majorité silencieuse ? C'est qui ?
Tous ces Français, fort nombreux et majoritaires dans le pays, qui, entre 1939 et 1945, par ce fameux pragmatisme si cher à notre gouvernement, ont "pactisés" avec l'occupant, ont accepté slien- cieusement le joug, voire ont "collaboré" (cf. la floraison des lettres anonymes de dénonciation pendant ces années troubles de notre histoire) ?
Tous ces allemands, fort majo- ritaires également, qui, au début des années trente, ont laissé s'installer l'une des dictatures les plus meurtrières de l'histoire européenne ? Etc.
La liste est longue des situations où le silence de la majorité est condamnable, où la majorité est coupable de se tenir dans le si- lence - coupable a posteriori, étant donné les conséquences de son silence, mais coupable a priori, étant donné les motivations de son silence...
En tout cas, sur ce sujet, je n'ai qu'une réplique et une seule :
Que celui qui parle au nom de la majorité silencieuse se taise, car, s'il parle en son nom, il la rend bavarde et elle n'existe plus !
Celui qui prétend parler au nom de la majorité silencieuse
tue la majorité silencieuse !
En fait, la majorité silencieuse est de l'ordre du désir (dont la mort répond à l'assouvissement), désir de celui qui veut prendre le pouvoir, désir de tyran...
Et puis, après l'expression majorité silencieuse, il y a un mot qui me chatouille l'oreille interne quand il est proféré sur la place publique, c'est celui d'otage.
Chaque fois qu'un mouvement social perturbe le fonctionnement bourgeois de la société, il est des membres de la majorité laborieuse qui viennent devant les micros médiatiseurs se plaindre d'être pris en otages...
Mon Dieu, pardonne leur, il ne savent pas ce qu'ils disent ! Ils ne savent pas qu'ils sont les otages de l'ultralibéralisme dévastateur et tyrannique. Ils ne le voient pas parce qu'ils sont nés comme ça et qu'ils sont otages du capital jusqu'au cou et jusque dans leur tendance à l'auto- destruction intellectuelle...