"La voiture est rentrée dans la foule". Hier, au quartier latin, un automobiliste a foncé sur un groupe de lycéens qui manifestaient contre la normalisation et la légalisation de la précarisation et, dans ce geste politique, bloquaient le passage...
Dans quel monde vivons-nous donc ?
Voilà des jeunes qui manifestent, c'est-à-dire expriment leur opinion politique sur un sujet qui les concerne au premier chef, expriment leur opposition en gênant le bourgeois parce que, sans causer cette gêne, ils ne seraient pas entendus !
Voilà des jeunes engagés dans un geste politique, coincés entre des casseurs collectifs - profitant de l'aubaine des rassemblements de foule pour casser du flic et de la vitrine - et des casseurs individuels - se croyant légitime à risquer le meurtre par qu'ils sont simplement gênés dans leur déplacement citadin.
Oh ! On va vous dire que ce mec en Twingo rouge (si j'ai bien compris) était exaspéré de se sentir pris en otage par une bande de petits cons qui refusent d'en chier pour s'insérer dans le monde du travail et pour se faire une placeau soleil du libéralisme boursier même que lui il en a bavé pour en arriver là où il est et que c'est grâce à son courage et à son huile de coude qu'il est ce qu'il est aujourd'hui et que même que lui il a fait plein de petits boulots...
Moi personnellement ça me donne envie de gerber !
Et puis il y a les mensonges d'État, autre forme suprême de violence.
Les jeunes expriment haut et fort leur refus d'étudier pour devenir les esclaves d'un ultralibéralisme qui se veut pragmatique - comme notre prmier ministre qui se dit enclin au "pragmatisme" plutôt qu'à "l'idéologie" (parce que c'est connu, la seule chose, la seule cause (= 'pragma') qui vaille la peine qu'on se batte, c'est la rentabilité financière). En face, l'État ultralibéral tente par tous les moyens de minimiser la réalité de cette expression et on assiste depuis le début du mois de mars a une mascarade informationnelle où le ministère sous-évalue systémati- quement l'ampleur de la contestation, allant jusqu'à diminuer le nombre de lycées et de facs bloqués. Et je peux vous dire qu'il ment : la fac où j'interviens en tant que professionnel de la documentation est déclarée non bloquée par le ministère (foi d'AEF!) alors que je n'ai pu faire cours hier après-midi...
Et puis il y a la violence implicite du système libéral, de l'"idéologie dominante" aurait-on dit en d'autres temps.
Par exemple, cette réaction d'un syndicat de l'enseignement supérieur et de la recherche (toujours foi d'AEF, dépêche du 7 avril 2006, 13:30:26), qui se dit "préoccupé par le blocage des universités, qui est
une atteinte aux libertés des étudiants et des personnels". C'est-à-dire que les étudiants doivent accepter sans rechigner ce qu'on leur impose et ne doivent en aucun cas exercer le droit constitutionnel de grève et d'expression de la contestation - on voit poindre ici le coup de la prise d'otage. C'est avec des arguments comme ceux-là qu'on finit par voir des automobilistes risquer le meurtre, voire tenter l'assassinat !
Mais encore ce n'est rien ! Notre syndicat poursuit : "C'est
d'autant plus grave que l'université est entrée en
concurrence avec les formations privées et les universités étrangères". Pour nos ensei- gnants-chercheurs syndiqués, il est interdit de perturber un système qui est précisément celui qui produit ce contre quoi nos étudiants ne sont pas d'accord ! Bel argument, en vérité ! C'est l'argument-roi de la compétition, de la concurrence. Le monde libéral est un monde en guerre permanente, en guerre civile bien sûr, la guerre la plus horrible qu'on puisse imaginer - Platon le disait haut et fort. Non ! Vraiment ! Le philosophe, celui qui réfléchit à ce qu'il fait et à ce qu'il dit, ne saurait encourager un tel monde !
Décidément,
je n'aime pas la visée libérale du monde.
Elle n'est que violences.