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BRICH59
13 avril 2021

“Le mythe d’Er l’Arménien, ou la colère de Dieu” ?

Quel titre ! Ça sonne comme un prêche religieux, d’une de ces religions monothéistes au Dieu colérique ! On se croirait dans l’Ancien Testament, où le Dieu, Yahweh, Elohim, Adonaï, etc., quel que soit le nom qu’on lui donne, se met souvent en colère contre le peuple qui croit en lui. Ou bien dans la pratique musulmane où l’on se demande souvent si nos afflictions sont une épreuve ou une colère d’Allah !! Ma première réaction tient de l’étonnement, de la curiosité : comment peut-on accoler au mythe d’Er la perspective d’une colère divine ? En effet, pour avoir étudié ce texte de la fin de la République de Platon, je n’ai jamais senti une telle “colère divine”. De la violence dans les sanctions infligées aux “méchants” absolus (Ardiée le tyran, par exemple), oui, mais un Dieu qui piquerait sa colère, non ! Donc, intrigué, je lis cet article rédigé par Sam Tilbian mais posté par Ara Toranian le dimanche 11 avril 2021. Peut-être suis-je passé à côté de quelque chose d’important il y a 45 ans quand j’ai travaillé le mythe d’Er, en tout jeune apprenti philosophe-philologue que j’étais. 

Très vite je déchante et me trouve en but avec un amalgame d’approximations et d’erreurs…

Je pointerai ici juste les six passages suivants.

 

  1. Er, fils d’Armenios [...] est un arménien selon Platon...  pour traduire ̓Ηρὸς τοῦ ᾿Αρμενίου (Eros tou Armeniou), ça fait un arménien de trop ! Sam Tilbian s’est peut-être laissé abuser par cette page de vulgarisation ou tout simplement par l’article de Pascale Seys grâce auquel il a découvert le mythe d’Er...
    En fait, trois compréhensions de ce passage sont formellement possibles :
    1.“Er, fils d’Arménios”,
    2.“Er, fils de l’arménien”,
    3.“Er, l’arménien”.
    En général, la troisième est rejetée (
    sauf par Victor Cousin qui traduisit les œuvres complètes de Platon en 13 vol. entre 1825 et 1840, la République en 1934 dans le vol.10, le passage qui nous intéresse étant aux pages 279 et suivante) et la première préférée par les traducteurs et autres commentateurs patentés.
  2. … de la race des Pamphyliens ...
    En fait le texte dit τὸ γένος Παμφύλου, c’est-à-dire quelque chose comme “né en Pamphylie” ou “originaire de Pamphylie” .
  3. … selon Platon
    En fait, très concrètement, Platon ne rapporte pas une information dont d’autres que lui pourraient avoir une autre version ; il l’invente de toutes pièces !
  4. … Platon qui se réfère à juste titre, aux invasions phrygiennes, dont les Armens, ayant peuplé la Pamphilie. 
    D’abord, Pamphylie avec un y, c’est mieux car, en grec, ça change tout. Pamphylie pourrait vouloir dire “de toutes races”. En effet, selon la thèse la plus couramment admise, “il s’agirait […] de l’adjectif πάμφυλος, d
    e toutes races, de toutes tribus, devenu ethnique” [Cf. C.BRIXHE, Le dialecte grec de Pamphylie, Paris 1974 (thèse dactylographiée), §71].
    Pamphilie avec un i voudrait dire quelque chose comme “amour de tout”...
    Globalement, cette assertion demande à être étayée, voire sérieusement documentée. Platon connaissait-il ainsi l’histoire des Armens ? Des preuves !
  5. ... trois séries de textes bibliques, qui lui y voit un personnage de la Bible ...
    Si on lit bien le mémoire de “lui”, c’est-à-dire le mien, il n’est jamais dit qu’Er est un personnage de la Bible. Quand je remarque que le nom ‘ER’ est présent dans le texte de la Bible et pas dans la littérature grecque d’avant Platon, je ne fais que mon travail de philologue soucieux du texte. Je rapproche ce qui se ressemble et j’essaie de comprendre.
    Ce qui m’avait plu dans cette possibilité de rapprochement, c’est que cela permet d’imaginer que Platon joue encore une fois sur les mots – ce qu’il fait depuis le début du mythe d’ER – en désignant de ce nom-là quelqu’un qui a pour mission d’observer ce que personne n’a jamais vu. Car en hébreu, ‘ER’ - comme mot et non plus comme nom propre - signifie "celui qui veille sur, qui observe, qui regarde attentive­ment", et, plus vaguement, "celui qui regarde, qui voit". Trouver du sens, mission du philosophe-philologue, non ?
    Bref, quoi qu’il en soit, s’apercevoir que le nom ‘ER’ peut être d’origine sémitique ne signifie pas qu’on prétende que le personnage inventé par PLATON est un personnage de la Bible.
    Dans cette démarche, la Bible n’est là que comme témoin de langue, au même titre qu’un épigraphe ou une gravure de caractères sur une tablette d’argile… En tant qu’ouvrage, elle n’existe pas encore vraiment à l’époque de Platon : à peine, si l’on en croit l’une des hypothèses des historiens sur le sujet, Esdras a-t-il commencé de rassembler et d'ordonner divers récits pour constituer ce qu’on appellera le Pentateuque...
  6. … la Bible ; ce dont auraient eu connaissance Socrate et Platon au 5e siècle avant J.C. Tout à fait invraisemblable !!
    En fait, il n’est pas si invraisemblable que ça que Platon ait eu connaissance de ce qui se tramait de l’autre côté de la mer, au Moyen-Orient ! Ne pas oublier que :
    1.Athènes est une cité maritime et que les athéniens connaissent très bien toute la Méditerranée ;
    2.la philosophie est née, non pas à Athènes comme on le prétend trop souvent, mais sur les côtes de ce qu’on appelait l’Asie mineure, c’est-à-dire du Moyen-Orient, précisément sur la façade maritime de l’actuelle Turquie. 
    Des échanges et des influences sont attestés et cette question des rapports entre Platon et l’Orient est posée et traitée depuis plus d’un siècle... Marcel Deschoux, présentant
    un siècle de bibliographie platonicienne de langue française (1880-1980), en fait une entrée d’index ! Fin janvier 2002, Michelle Lacore explique que le panthéon panhellénique doit beaucoup au Proche-Orient ["La théologie d'Homère jugée par Platon" in Les dieux de Platon, Jérôme Laurent dir., Presses universitaires de Caen, 2003]. En 1992, E.D. Francis affirme que “de haute antiquité, la Grèce fut en contact avec l'Orient” [“Oedipus Achaemenides” in American Journal of Philology 113 (1992)]. Bref, comme disait en 1938 déjà l'Helvète Charles Werner, “on doit admettre une influence générale de l'Orient sur la Grèce” [La philosophie grecque chez Payot]. Donc pourquoi Platon n’aurait-il pas subi cette influence ?

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les éléments d’analyse que propose notre ami Sam Tilbian, mais j’en reste là. Pour qui voudra en avoir le cœur net sur les six points relevés plus haut, je renvoie très modestement à ce mémoire de 1977 dont la lecture par Sam Tilbiam rend bien mal compte (le passage incriminé se trouve aux pages 13 et suivantes) ou bien à cet extrait posté sur mon blog.


Ce post est repris sur le site Armenews.com.


 

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