Jean Bollack est parti hier matin.
Né en 1923, il était, comme dit Fabienne Blaise, une grande figure de la philologie ancienne, le fondateur de ce que nos collègues étrangers appellent l'École de Lille. L'étendue de ses nombreux travaux, qui pour beaucoup ont compté, allaient de la philosophie présocratique à la poésie de Celan, en passant par la tragédie grecque, entre autres.
Ce qui était remarquable chez cet homme vénérable, c'est ce mélange de culture humaniste incommensurable et de rigueur scientifique impitoyable dans la pratique de la lecture philosophique et littéraire. Au centre de recherche qu'il a créé à Lille3, dans les années 70, le Centre de Recherche Philologique, nous pratiquions une lecture des textes que je n'avais rencontrée nulle part ailleurs et qui a imprimé mon esprit d'une marque indélébile.
J'avais commencé mes études de philosophie à la Sorbonne (Paris IV) où le conservatisme aussi bien politique que scientifique régnait en maître. Arrivé dans le Nord à la fin des années 70, j'ai souhaité engager une recherche (thèse) sur le symbolisme animal chez Platon, sous sa direction. Le trait d'union entre mes études sorbonnardes et mes études lilloises, c'était Heinz Wismann qui, à Paris, m'avait entraîné à la germanité philosophique tout en m'initiant à cette "rigueur de lecture" si caractéristique de l'École de Lille (travail philologico-philosophico-littéraire voire linguistique sur les textes de Kant, Hegel, Nietzsche et Freud) et que je retrouvais avec joie aux côtés de jean Bollack à Lille (avec Laks, Judet de la Combe, etc.). Fabienne Blaise était alors ma condisciple. Elle a perdu un maître, dit-elle. Moi, j'ai perdu une figure tutélaire assez lointaine (n'ayant pas concrétisé mon idée de thèse, je l'ai finalement assez peu côtoyé) mais qui a marqué ce goût pour la "rigueur de lecture" qui m'habite encore aujourd'hui - et a fait de moi un professionnel de l'information et de la documentation un tantinet marginal...