19 février 2012
Racisme et politique
"Le livre sur ma table de chevet, ce sont les 'Fleurs du mal' de Baudelaire et je ne suis pas une droguée syphilitique", aurait dit la fille Le Pen, avant d'affirmer d'un ton docte : "Je pense que, dans notre civilisation éduquée, on a toujours su faire la différence entre l'homme et l'œuvre".
Quelques remarques s'imposent.
- Pauvre Baudelaire !
Heureusement qu'un auteur n'est pas responsable de ses lecteurs ! Moi qui l'ai bien connu, je sais qu'il n'aurait pas aimé d'être posé là comme ça sur la quai de la Marine. Il détestait la mer et la Marine en général ! Il haïssait ce "mouvement qui déplace les lignes"... Alors le poser là, tout à côté de la Marine, c'est vraiment dégueulasse ! - "...faire la différence entre l'homme et l'oeuvre..."
Ânnerie s'il en est ! Ça fait des lustres qu'on sait qu'il n'y a pas d'hypostase transcendante chez le créateur. S'il est certain que l'oeuvre échappe à son auteur, il est au moins aussi vrai que l'oeuvre ne saurait être détaché de son auteur de façon aussi tranchée. L'oeuvre est de l'auteur et l'auteur est dans l'oeuvre. Plutôt que d'étaler sa confiture livresque (la référence est ici Lagarde et Michard qui ne font que donner une vision tristement scolaire de la littérature...), la fille Le Pen ferait mieux de réfléchir, en appui par exemple sur le paradigme de la création dans l'Ancien Testament ! - "...notre civilisation éduquée..."
Ah bon ? Y aurait-il des civilisations non-éduquées ?
Mais c'est quoi, Madame la fille de, une civilisation éduquée par différence (vous aimez ce mot apparamment) avec une non-éduquée ? Vous faites peut-être référence aux propos de Monsieur Guéant ? Bon ! Je passe ! - Sacré Baudelaire !
Franchement vous m'épatez, Madame la fille de ! J'avais toujours pensé que ce poète était banni par la bourgeoisie : procès en 1857 pour "offense à la morale publique", censure qui s'ensuivit etc. Quand j'étais ado, j'ai lu Le diable au corps avec avidité. Radiguet y écrit ceci : "J'essayais de deviner ses goûts en littérature ; je fus heureux qu'elle connût Baudelaire et Verlaine, charmé de la façon dont elle aimait Baudelaire, qui n'était pourtant pas la mienne. Jy discernais une révolte. Ses parents avaient fini par admettre ses goûts. Marthe leur en voulait que ce fût par tendresse. Son fiancé, dans ses lettres, lui parlait de ce qu 'il lisait, et s'il lui conseillait certains livres, il lui en défendait d'autres. Il lui avait défendu Les Fleurs du mal. Désagréablement surpris d'apprendre qu'elle était fiancée, je me réjouis de savoir qu'elle désobéissait à un soldat assez nigaud pour craindre Baudelaire. Je fus heureux de sentir qu'il devait souvent choquer Marthe. Après la première surprise désagréable, je me félicitai de son étroitesse, d'autant mieux que j'eusse craint, s'il avait lui aussi goûté Les Fleurs du mal, que leur futur appartement ressemblât à celui de La Mort des amants. Je me demandai ensuite ce que cela pouvait bien me faire" (c'est moi qui souligne). Cette expression "assez nigaud pour craindre Baudelaire" est gravée dans le marbre de mon cervelet depuis mon adolescence et je ne conçois pas que Baudelaire ne choque pas les bourgeois, encore moins les intégristes à la Le Pen.
Bref, là, franchement, vous m'épatez, Madame la fille de ! Ça cache sûrement quelque chose de pas clair ! - "...je ne suis pas une droguée syphilitique..."
Ah, c'est là, le truc pas clair - qui justifie à lui seul l'appel contre-nature à Baudelaire !
Disant cela, chère Madame, vous stigmatisez purement et simplement. Baudelaire - l'homme, puisque vous tenez à "faire la différence entre l'homme et l'oeuvre" par fidélité aux manuels scolaires du XIXème (je sais Lagarde et Michard date de 1948, mais il ne faisaitn que reprendre la façon d'enseigner du siècle d'avant) - est catégorisé, étiqueté comme drogué et syphilitique. Vous avez beau admirer l'oeuvre, vous ne pouvez pas ne pas stigmatiser l'homme. Stigmatiser, c'est marquer au fer rouge en punition d'un crime (sens avéré dès le XVIème siècle et toujours en vigueur). Baudelaire aurait donc commis un double crime la drogue et la syphilis. Pour ce dernier crime, ça me fait penser à l'emploi du terme 'sidaïque' il y a quelque vingt ou trente ans par un certain ... Le Pen. Dans la famille Stigmatiseurs, je demande le père ! Bref, ça stigmatise sec chez les Le Pen. Et ailleurs hélas ! Ça me rappelle en effet des pratiques récentes, témoignages de la pensée unique sarkozienne, pensée où la stigmatisation de l'autre tient lieu de réflexion profonde sur la diversité humaine... Mais j'en ai déjà parlé. - Enfin, on remarquera que, mentionnant Les Fleurs du Mal, Madame la fille de voulait faire pièce de l'éccusation portée contre son papa d'avoir cité Brasillach, raciste de la pire espèce qui collabora avec l'occupant nazi et fut fusillé à la Libération pour cette raison. Elle fait remarquer que le roi d'Maubeuge a sur sa table de chevet à lui du Céline... Moi qui ne sépare jamais l'oeuvre de son auteur, je peux vous confier que je n'ai jamais pu lire une seule ligne de Céline, ni de Brasillach... parce que je n'ai nulle envie de valoriser de tels personnages et surtout que j'ai peur de gerber en lisant.
Baudelaire, c'est autre chose !
Publicité
Publicité
Commentaires