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BRICH59
5 janvier 2011

Les (dés)ordres de l'indignation

assoulineÉtrange billet que celui de Pierre Assouline, "A-t-on le droit de ne pas s’indigner avec Stéphane Hessel ?" !

Ça commence comme une critique littéraire. Normal, on est entré dans la "République des lettres".

Non, ce n'est pas un livre. C'est une brochure où le texte stricto sensu occupe 14 pages, soit grosso modo la moitié de la brochure. Autant de paratexte (ou plutôt de péritexte comme préciserait Gérard Genette) que de texte.
Et alors ? Pourquoi pas ? Où est le problème ?

Puis vient la critique du contenu. Après avoir remarqué que l'indignation est le leitmotiv de cette publication, le critique se plaint que "le contenu manque de contenu". Belle formule ma foi ! On dirait qu'il y a tromperie sur la marchandise.  Déjà que le texte stricto sensu n'occupe qu'une petite moitié du volume ! Il faut encore que le texte soit vide de contenu ! Roulés, les lecteurs sont roulés !

Ceci dit, notre critique trouve tout de même matière à critique, trouve du "contenu" à critiquer. Bon ! Il s'indigne de "cette manière de mettre ainsi sur une même ligne morale la situation des sans-papiers, la dérégulation du capitalisme et les crimes du totalitarisme national-socialiste". Après avoir reproché à l'auteur de ne livrer aucun programme d'action digne de ce nom, aucune philosophie morale authentique, le critique chausse les mocassins de la philosophie morale pour s'indigner contre l'indigné systématique ! Faudrait savoir ! Reste qu'il est loin d'être clair que Stéphane Hessel mette tout cela sur la même "ligne morale". Quand je suis au musée et que je porte un regard également curieux et attentif sur chaque œuvre exposée, je ne mets pas pour autant toutes ces œuvres sur la même "ligne esthétique", mon jugement esthétique faisant son œuvre grâce au regard attentif et curieux. Bref, je crois que le critique malmène quelque peu l'œuvre qu'il critique. Il en rajoute et on frôle le procès d'intention.

Puis vient le bât qui blesse. L'auteur dit "Nous", entraînant avec lui ceux qu'il appelle "les vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre". Leur a-t-il au moins demandé la permission ?, semble se demander le critique. Ce dernier nous apporte lui-même cependant un éléments de réponse (référence à "l'appel de 2004"). Le bât blesse, mais pas tant que ça. En tout cas, cela ne justifiait pas que le critique critique la publication.

La véritable et fondamentale justification semble venir ensuite. Il s'agit de la position de Stéphane Hessel quant à la Palestine occupée et au Peuple Palestinien maltraité - c'est un euphémisme !- par l'État d'Israël. Là, tout est bon. Quelques exemples.

Premier exemple, le mécompte : le critique remarque que l'indignation de l'auteur à propos de la Palestine occupe 2 pages sur 13. On ne voit pas très bien ce que de tels chiffres viennent faire dans une critique littéraire, mais passons. Remarquons juste que le critique en rajoute encore une fois : le texte stricto sensu compte 14 pages et non 13 comme dit ici le critique - qui, faisant mécompte, cherchait peut-être à augmenter l'importance quantitative relative de l'indignation à propos de la Palestine. Qui trompe qui ?

Autre exemple,  "cette énormité : « Que des Juifs puissent perpétrer eux-mêmes des crimes de guerre, c’est insupportable »". Pourquoi serait-il énorme de penser qu'il est insupportable qu'un peuple victime des pires atrocités produise en son sein un État bourreau ? Moi qui ne connais les souffrances juives que par les témoignages (entretiens, livres, films), cela m'est effectivement et viscéralement (sans même réfléchir) insupportable. Aussi insupportable que de constater que les enfants battus deviennent des parents violents, etc. En fait, le critique prend l'auteur pour un con : évidemment que Stéphane Hessel sait bien que les Israéliens ne sont pas des anges parce qu'ils ont été des victimes ! Tout le monde le sait ! On a juste le droit de se dire qu'il serait bien pour l'humanité tout entière qu'un peuple qui se dit "élu de Dieu" et qui a connu la souffrance extrême s'érige en défendeur universel de l'humanité de l'homme. En quoi cette pensée est-elle si grossière, si énorme ? Tout juste de l'angélisme.

Dernier exemple : on ne trouve pas dans la publication de l'auteur "d’indignation sur la violation des droits de l’homme en Birmanie, en Chine, en Iran, en Corée du Nord, en Libye, en Tunisie et dans tant d’autres pays car l’indignation de Stéphane Hessel est à géométrie variable". Bel effort du critique ! Mais a-t-il seulement compris la nature du message que l'auteur veut délivrer ? Il donne son indignation du moment comme un exemple hic et nunc et ne prétend pas faire le catalogue des violations des droits de l'homme. Il n'est donc pas question de "géométrie variable" : il lui suffit de parler des ONG qui s'en occupent activement (p.16) et le critique n'aura qu'à lire le rapport annuel d'Amnesty International si le sujet l'intéresse vraiment. Mais je crois que ce n'est pas son problème actuel. Mentionner tous les cas de violations étatiques des droits de l'homme permet de diminuer l'impact de ce qui se passe en Palestine. Technique bien connue des journalistes qui consiste à inonder d'informations multiples pour dissimuler une seule information gênante ou en amoindrir l'impact.

Reste la chute du billet de notre critique. On voit ici à quel niveau de réflexion nous nous trouvons. La blague qui consiste à souhaiter que l'auteur s'indigne que l'Angelus Novus de Paul Klee soit au musée de Jérusalem est d'un goût plus que douteux. Même pas un enfantillage ! À moins que ce genre d'indignation soit courante chez le critique... Pauvre République !

 

Soyons sérieux. Stéphane Hessel ne prétend pas dresser le catalogue des violations des droits de l'homme ni jeter l'anathème a priori et systématique sur un État particulier. Sa publication est de l'ordre du prospectus, du manifeste. Je le mets à côté du Contr'un (Discours de la servitude volontaire) de La Boétie, des Chaînes de l'esclavage de Marat, des Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale de Simone Weil, etc. Vous admirerez l'éclectisme volontaire de mon embryon de bibliothèque de l'indignation... Cette brochure est un manifeste outillé. À partir de sa lecture, de sa manipulation, une authentique réflexion peut s'enclencher. Je pense à l'usage pédagogique qu'on pourrait en construire afin de montrer aux jeunes de nos écoles, collèges et lycées – trop habitués à accepter la pensée unique qu'on nous impose depuis trop longtemps – qu'un esprit critique sain et positif est possible.

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