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BRICH59
16 septembre 2009

Capitaliser, il en restera toujours quelque chose !

tirelire_coffret_pirate_gmAinsi la commission Stiglitz devait plancher sur la mesure de la richesse et proposer des alternatives au sacro-saint PIB, qui avait le monopole du comptage... Ça fait des plombes que des gens (Viveret, Gadrey, etc.) réclament qu'on intègre dans la mesure de la richesse d'un pays d'autres facteurs, comme le niveau d'éducation, par exemple. Mais passons ! Le droite française découvre cette idée : laissons-les croire qu'ils avaient l'initiative et qu'ils innovaient. Du coup, ils vont se faire les apôtres internationaux de cette découverte, de ce nouveau monde qui s'ouvre à eux... Il me semblait que l'ONU avait déjà travaillé cette idée que le PIB n'est qu'une vue partielle et partiale de la vie, mais passons ! Ils devaient être occupés à faire fructifier leur comptes en banque...

Quand on regarde de près les propos de la commission Stiglitz, on voit qu'il s'agit, entre autres, de mesurer les activités non marchandes. C'est tout l’environnement dans lequel vivent les ménages qui doit être mesuré lui aussi : la qualité de vie, l'insécurité, le taux de mortalité et de morbidité, les conditions de santé, le niveau d'éducation et de démocratie, mais aussi les activités personnelles, le travail, la gouvernance, les connections sociales et les relations entre personnes. Bref, on devrait aboutir à une évaluation chiffrée de tout ça, de tout ce non chiffrable. Encore un peu et on va nous donner l'équivalent monétaire du niveau de démocratie. Non seulement, on peut discuter très très longtemps sur le caractère plus ou moins démocratique de la vie française et européenne, mais en plus la jauge indiquera des Euros ! Hallucinant !


Ça me rappelle une anecdote de ma vie professionnelle. Ce devait être au tout début des années quatre-vingt. J'étais depuis peu au CUEEP de Sallaumines (bassin minier lensois dans le Pas de Calais) et avais été intégré à une équipe de recherche sociologique (Claude Dubar, Jacques Hédoux...), qui avait déjà produit quelques rapports de recherche sur l'Action collective de formation (1976, 78 et 79) et préparait ce qui allait être le dernier de la série, Des femmes en formation. Stagiaires et formatrices de couture dans les actions collectives de formation publié en décembre 1984 [voyez la bibliographie de 1991].

La grande question était de savoir ce qui justifiait l'"installation en formation" des ouvriers et femmes d'ouvriers, là où l'institution avait prévu une "incitation à la formation", le problème étant que le mot 'formation' ne renvoyait pas à la même réalité dans l'un et dans l'autre de ces deux phénomènes. Concrètement, il s'agissait, dans le même mouvement, d'une part de mettre à jour les motivations des publics à s'installer ainsi en formation là où l'on souhaitait qu'ils ne fassent que passer et, d'autre part, de justifier auprès des financeurs (Région essentiellement déjà à cette époque) la mise en place de tels groupes dits d'incitation. Exercice périlleux, proche du grand écart : non seulement l'idéologie dominante était déjà de faire de la formation une servante de la politique de l'emploi (les groupes d'incitation ne qualifiant pas d'un point de vue professionnel), mais le fonctionnement de ces groupes (concernant les femmes) n'était pas sans rappeler les écoles ménagères avec leurs "monitrices" et leurs pratiques de production. Objectif apparent hors de la visée de l'emploi et fonctionnement passéiste...

Pour moi, tout frais sorti de l'œuf, j'imaginais qu'il convenait de  valoriser un tel dispositif par ses aspects sociaux (les femmes qui sortent de chez elles, etc.) et par ses fondements culturelles (importance de la pratique, voire de la pratique collective, etc.), et de dire que ce que ces femmes venaient chercher là (et trouvaient) ne relevait pas d'un enseignement scolaire "noble" (français, maths, instruction civique, etc.) mais d'une sociabilité choisie et réparatrice... Il y avait certes une motivation qu'on pouvait décrire en termes économiques (faire soi-même ses vêtements, ceux de ses enfants, ceux de son mari, "revient" moins cher que de les acheter tout faits). Mais il me semblait que c'était stratégiquement aberrant (la collectivité publique refusant de financer des activités qui "rapportent" à ceux qui les pratiquent) et que, de toutes façons, ce type de motivation était, malgré les apparences, relativement secondaires. Et de décrire en termes économiques ces formations à prétendre que les gens y viennent pour faire des économies, il n'y avait qu'un pas, trop facile à franchir, et trop réducteur. Je rédigeai donc pour le groupe de recherche, mais sans être mandaté pour le faire, une analyse selon laquelle on ne pouvait compter ainsi, m'appuyant sur les notions de l'économie marxiste classique (notamment la dichotomie entre valeur d'usage et valeur d'échange) : je refusai ni plus ni moins la monétarisation de la valeur de ce qui se passait là, de ce qui se produisait (au sens large !) là. Mes petits copains sociologues ne me suivirent pas. Il faut dire que j'étais le benjamin de l'équipe... et que je n'étais pas sociologue.

Quelques années plus tard, les financements avaient fondu au soleil du socialisme libéral qui focalise tout sur le fonctionnement de l'entreprise et sur l'emploi. La monétarisation de l'activité socio-pédagogique avait fait son œuvre.


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