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BRICH59
10 décembre 2008

Action culturelle et Lutte contre l'illettrisme

L’observation d’une série d’expériences, celles où le monde culturel participe à la lutte contre l’illettrisme, fait apparaître que le détour par certaines pratiques artistiques, espaces de l’imaginaire et de la création, peut dans bien des situations s’accompagner d’un retour de l’envie d’apprendre à lire et à écrire. L’action culturelle peut favoriser la maîtrise du français. Aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont les institutions culturelles et les artistes qui accompagnent les parcours de prévention, de formation et de valorisation des acquis.
Tel est le constat que dressait la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) du Ministère de la Culture en 2007, dans une brochure sur l’action culturelle contre l’illettrisme.

Ce document propose, entre autres, une présentation d'un ouvrage, Action culturelle et lutte contre l’illettrisme, résultat d'une étude réalisée en 2003/2004, à la demande de l'ANLCI et de la DGLFLF, par l'Observatoire des politiques culturelles, étude qui analyse l’apport des pratiques culturelles à la lutte contre l’illettrisme selon quatre axes problématiques :

  • Où se situe la responsabilité sociale de l’action culturelle dans la lutte contre l’illettrisme ?
  • Quels sont les enjeux des actions artistiques menées sur les territoires observés ?
  • Quels sont les effets pour les illettrés ?
  • Comment ces actions sont-elles conduites ?

Trois terrains d'investigation avaient été choisis, dont la bonne ville de Roubaix.

Roubaix, deuxième ville de l’agglomération lilloise au fort taux de chômage (près de 32 % de la population), est la plus jeune ville d’Europe. La ville a entrepris depuis plusieurs années des projets culturels d’envergure (les Ballets du Nord, le musée d’Art et d’Industrie, les Archives du monde du travail). La mobilisation des acteurs de la société civile roubaisienne est importante dans la lutte contre les différents facteurs de l’exclusion dont l’illettrisme.
Le Centre université-économie d’éducation permanente (CUEEP), chargé de la coordination du réseau Lire (Lire Réussir Ensemble) sur la région de Roubaix est un organisme de formation rattaché à l’université des sciences et technologies de Lille. Spécialisé dans la recherche relative à la formation pour adultes, le CUEEP a mis en place en 1997 des ateliers de découverte culturelle et d’expression créative s’inscrivant dans une démarche plus globale de formation à la lecture et à l’écriture.

C'est peut-être pour cette raison que j'ai été, avec quelques collègues, sollicité pour participer à l'encadrement du Forum du réseau régional LiRE qui s'est tenu ce 4 Décembre à Bouvines sous l'égide du C2RP. Le thème de l'atelier n°1 était : Incitation au développement d’actions culturelles dans les territoires. J'en fus le "rapporteur".
Et comme je n'aime pas arriver la tête vide à ce genre de manifestation, j'avais mené une petite enquête documentaire rapide pour comprendre l'articulation entre action culturelle et lutte contre l'illettrisme.


J'ai d'abord vu que la culture figure au chapitre des Droits humains. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme dont on fête aujourd'hui les soixante ans est explicite.
Article 22 de la DUDH :
Toute personne, en tant que membre de la société, [...] est fondée à obtenir la satisfaction des droits [...] culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité [...]. Article 27-1 de la même DUDH : Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts [...].

Au niveau européen, on notera, avec satisfaction, que la "sensibilité et l'expression culturelles" font partie des compétences clés pointées par la Commission comme devant appartenir à chaque européen dès le seuil de sa vie d'adulte. C'est très précisément le huitième domaine de compétences. Quand bien même le texte européen prend le soin de préciser que "les compétences clés sont considérées comme étant aussi importantes les unes que les autres", on notera, non sans malice, que la culture est rangée en dernière position, après le fameux "esprit d'entreprise"...
Voici le texte [Recommandation du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour l'éducation et la formation tout au long de la vie (2006/962/CE)] qui présente ce domaine :

Sensibilité et expression culturelles
Définition : Appréciation de l'importance de l'expression créatrice d'idées, d'expériences et d'émotions sous diverses formes, dont la musique, les arts du spectacle, la littérature et les arts visuels.
Connaissances, aptitudes et attitudes essentielles correspondant à cette compétence : La connaissance culturelle suppose d'avoir conscience du patrimoine culturel local, national et européen et de sa place dans le monde. Elle inclut une connaissance élémentaire des œuvres culturelles majeures, dont la culture populaire contemporaine. Il est essentiel de comprendre la diversité culturelle et linguistique en Europe et dans d'autres régions du monde, la nécessité de la préserver et l'importance des facteurs esthétiques dans la vie de tous les jours.
Les aptitudes relèvent à la fois de l'appréciation et de l'expression: l'appréciation d'œuvres d'art et de spectacles ainsi que l'expression personnelle au travers de différents medias grâce aux capacités individuelles innées. Il faut également avoir la capacité de comparer ses propres opinions et expressions créatrices à celles des autres et de repérer dans une activité culturelle des possibilités sociales et économiques et de les réaliser. L'expression culturelle est essentielle au développement d'aptitudes créatives, lesquelles peuvent être transférées dans divers contextes professionnels.
Une compréhension approfondie de sa propre culture et un sentiment d'identité peuvent constituer la base d'une attitude respectueuse et ouverte envers la diversité des formes d'expression culturelle. Par une attitude positive, on entend également la créativité, la volonté de développer son sens esthétique par une pratique personnelle de l'expression artistique et par une participation à la vie culturelle.

Quand on s'enferme dans l'hexagone franco-français et qu'on observe comment notre système éducatif a intégré la "recommandation" européenne, on tombe d'assez haut ! Exit "sensibilité et  expression culturelles" ! Le plus approchant semble être le cinquième item du Socle commun, intitulé "culture humaniste". Mais ici c'est l'idée d'acculturation, plus que de culture, qui semble maîtresse. Il s'agit d'ouverture au monde et de curiosité (?). Il s'agit enfin, car il faut bien justifier le qualificatif 'humaniste', de développer "la conscience que les expériences humaines ont quelque chose d'universel".
Côté expression ou création, c'est le vide absolu. La culture, ça se consomme ! Peut-être au chapitre de l'autonomie et de l'initiative (item 7), aurons-nous plus de chance ? Mais là, il n'y a rien qui ressemble à de l'activité culturelle !

Mieux, quand on cherche à savoir comment ces compétences clés sont concrètement interprétées dans le cadre de dispositifs de formation, on a une idée du vide culturel : la circulaire DGEFP n° 2008/01 du 3 janvier 2008 relative à la politique d’intervention du ministère chargé de l’emploi en faveur de l’accès aux compétences clés des personnes en insertion professionnelle a tout simplement évacué toute dimension proprement culturelle. C'est que nous sommes soumis, à partir de ce type de fonctionnement, au syndrome de la soumission absolue à la "politique emploi"... Mais c'est une autre histoire.


Revenons sur le terreau des pratiques territoriales, à Bouvines, où échangeaient jeudi dernier des praticiens de la formation et de la culture. Les expériences présentées lors de l'atelier dont je fus le rapporteur étaient :

  • le Guide d’invitations à la lecture en partenariat avec la DRDJS (Association Dire Lire)
  • l'Atelier de sensibilisation aux Beaux Arts (AAE Profil et École régionale des Beaux Arts)
  • l'Atelier d’expression théâtrale (INSTEP Formation Dunkerque)
  • l'action Sur les chemins de la culture (CAPEP)

Réunissant une vingtaine de professionnels de la formation et/ou de la culture, l'atelier fut riche en échanges.
Il en ressort une certitude partagée : la "participation culturelle" contribue à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ainsi qu'à l'apprentissage de la (prise de) parole ; elle contribue à l'acquisition de compétences qui sont aussi celles de la lecture/écriture. La "participation culturelle" est ici diverse, allant de la rencontre avec un grand chef d'orchestre à la création de mosaïque, en passant par le jeu théâtral et l'écriture poétique.
La "participation culturelle" se réalise dans le cours de projets dont les conditions de réussite ont fait l'objet de discussion : partenariat et brassages (brassage de populations, brassage de projets, brassage de compétences), mais aussi inscription dans la durée et ancrage territorial, principalement.

Partenariat.
Partenariat entre organismes de formation, bien sûr (le réseau LiRE est là pour assurer cette évidence), mais aussi partenariat entre formateurs et acteurs culturels, entre des professionnels de la formation et des professionnels du secteur culturel. Des partenariats forts allant jusqu'à produire du maillage territorial intense.

Brassages.
Brassage de population d'abord, pouvant parfois se concrétiser en échange réciproque de savoirs et de cultures, déclenchant des questionnements collectifs (sur la religion, par exemple) que le "détour artistique" saura repositionner (distanciation en appui sur l'artistique, mise en relations différente, formalisation, etc.).   
Brassage de projets ensuite : autour d'une action culturelle montée sur un territoire pour des publics en situation d'illettrisme, fonctionnent typiquement deux projets, un projet éducatif (apprentissage de la lecture, de l'écriture, etc.) et un projet culturel (pratique culturelle, valorisation de l'œuvre, etc.). On assiste alors à un authentique brassage, à une sorte de symbiose où chaque élément garde toute sa force et préserve son identité, tout en offrant à l'autre le champ de son déploiement, tout en donnant à l'autre la possibilité de prendre du sens autrement (éventuellement non prévue au départ) - d'où une spirale vertueuse d'enrichissement mutuel des projets.   
Brassage des compétences enfin. On n’insistera jamais suffisamment sur la nécessité de professionnalisme des acteurs. Dans le prolongement du brassage des projets, ce professionnalisme va s'ouvrir en une professionnalisation bien particulière. Dans le fonctionnement  d'une action culturelle montée sur un territoire pour des publics en situation d'illettrisme, il y a concrètement combinaison de compétences spécifiques différentes. Certains parlent de connivence, au sens où ces compétences différentes s'exercent vers un objectif commun. D'autres parleront de mutualisation de compétences, sans qu'il y ait dépossession de quoi que ce soit, mais bien au contraire là aussi enrichissement mutuel – jusqu'à éventuellement motiver des acteurs d'un des deux secteurs à se qualifier dans l'autre secteur...
Inscription dans la durée.   
Le travail dans la durée est l'une des compétences attendues des personnes en apprentissage de la lecture et de l'écriture. Il est aussi l'une des conditions de fonctionnement des actions culturelles dans la lutte contre l'illettrisme - une condition que les systèmes d'entrée-sortie permanente en formation mettent à mal. Cette inscription dans la durée prend plusieurs formes : durée même de l'action, répétition de l'action (pour d'autres groupes en formation)  dans le cadre d'un dispositif reconduit, mais aussi suites de l'action hors l'action (transfert vers les "lieux culturels"), etc. - ce qui pose la question des limites spatio-temporelles de l'action de formation et nous amène à la problématique de l'évaluation de l'action.
Ancrage territorial.   
L'ancrage territorial d'une action culturelle et de la lutte contre l'illettrisme revêt une importance particulière, et pas seulement du point de vue financier ! Un tel ancrage, facilité par exemple par l'implication et l'engagement d'élus en charge de la culture, est présenté à la fois comme une aide précieuse au démarrage de l'action, mais aussi comme un espoir de pérennité...
En dernier lieu, une question unanimement posée, celle de la lisibilité. Nous abordons ici les rivages de l'évaluation de l'action. Du moins aux rivages de sa valorisation formalisée, voire chiffrée. La question est simple à énoncer : comment rendre lisible ce qui n'est pas formel [note], comme la reprise de confiance en soi, la capacité à prendre la parole devant autrui, etc. La "culture du résultat" dans sa version la plus arithmétique est-elle sincèrement possible ici ? Qu'est-ce qu'on chiffre ? Qu'est-ce qu'on peut chiffrer ? Par exemple, comment évaluer une "activité culturelle" dont le principal résultat est enfoui au plus profond de l'intimité de la personne et ne se manifestera que plus tard en termes de volonté d'apprendre, cette volonté engageant un système complexe de compétences ?

[note]    Encore faut-il distinguer entre le formel (activité cognitive dans le cadre d'un dispositif éducatif), le non formel (activité cognitive mais hors cadre éducatif) et l'informel (activité sans visée cognitive, mais tout de même valorisable en terme d'apprentissage). 


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