Ce matin, j'étais à l'Université de l'innovation, au Nouveau Siècle à Lille.
Formidable
! On sort de là tout ragaillardi ! On se prend vingt cinq ans de moins, au moins ! On se
souvient de l'époque où l'on innovait avec les autres ! On se remémore
le temps où l'on inventait des stratégies pédagogiques pour aider les
jeunes filles et les jeunes garçons du sinistre bassin minier lensois à se dessiner un
avenir !
D'ailleurs,
au Nouveau Siècle, ce matin, j'ai revu pas mal de vieux
copains, perdus de vue aujourd'hui mais avec lesquels j'innovais, des
copains des Gepen - euh pardon des GRETA ! -, des copains des
associations locales avec qui on entrentenait de vieilles relations...
Plein
de gens très bien comme il faut ont parlé de
l'innovation et j'ai
appris plein de choses.
Oh ! Pas des choses nouvelles !
Mais peu importe,
c'est quand même important !
Ils ont tous essayé de dire ce que
c'était que l'innovation.
Ce que c'était comme chose, comme réalité.
Ils ont tous proposé des définitions.
"L'innovation, c'est..."
Mais
là, il y a un problème, un problème majeur. C'est que, n'en déplaise à
toutes ces belles personnes, ce n'est que par artifice que l'innovation
peut se dire en sujet. En fait, au fond de la réalité du langage,
l'innovation ne peut être qu'un prédicat, un attribut. On ne postule la
réalité directe de l'innovation que par abus de langage. L'innovation
n'est pas. C'est telle action de formation qui est innovante, tel
dispositif éducatif qui innove, tel outil pédagogique qui est une
innovation...
'Innovation' est un mot dont la charge
référentielle est toute relative, un mot tout en relations, un mot qui
n'a de sens que lorsqu'il est accompagné... Bref un mot qui ne veut
rien dire à lui seul. C'est peut-être pour ça qu'il est tant employé...
Au magasin du langage quotidien, je le range sur la même étagère que
progrès, évolution, modernisation, etc., sur l'étagère des mots utilisés à tort et à
travers, des mots slogans, des mots mensonges.
Et
encore, quand on a dit ça, on n'a rien dit. Car on n'innove pas comme
ça, en l'air. On innove à partir d'un état qu'on brutalise pour passer
à un autre état qu'on n'imagine pas forcément tel qu'il adviendra. L'innovation est passage hasardeux, mouvement plus ou moins
dirigé, trajectoire plus ou moins tracée, action plus ou moins logique
- et plutôt moins que plus en général.
Et encore faut-il qu'on innove sous
contrôle social ! Sinon ça reste une simple invention, une petite
trouvaille. Combien de gens inventent dans leur coin, comme ça, pour
eux, sans forfanterie ! Sans innover !
Et encore faut-il que le discours
académique et normalisateur s'en empare. Sinon ça ne se voit pas, ça ne
se sait pas, ça ne se dit pas. Mais là encore il y a un gros problème :
l'instabilité du mouvement qui caractérise l'innovation n'est pas
soluble dans le discours académique. Rendre compte d'une
innovation avec les schémas préformatés de la science, des sciences
humaines par exemple, c'est comme prendre en photo le vol du papillon,
prendre un cliché des gestes par lesquels le chef de chœur communique avec ses choristes : on perd la grâce et le
tempo. C'est figer le mouvement, stabiliser l'instable, menotter la
révolte. Le seul mode de compte rendu qui laissera à l'innovation ses
élans et ses ruades, c'est l'écriture praticienne, écriture non bridée a priori, écriture ouverte à la respiration de l'écrivant, qu'il invente ou qu'il innove.
L'écriture qui sait rester rebelle.
Petits conseils de net-lecture, au hasard :
Françoise Cros et Georges Adamczewski (dir.), L'innovation en éducation et en formation (Bruxelles, De Boeck, 1996), avec présentation suisse...
Norbert Alter, L'innovation ordinaire de (éd. Presses Universitaires de France, 2000, coll.Sociologies ; avec une 3ème édition en format poche dès 2003), ouvrage souvent présenté, et qui a fait couler pas mal d'encre, par exemple la fiche de lecture de B. Lebeaupin, le point de vue d'A. Reverchon,
"Mon voisin l'Innovateur", Norbert Alter, in Libération du 6 mars 2001, rubrique Rebonds
Intervention de Norbert Alter et Françoise Cros lors du séminaire "epathie" du 23 mai 2002
Mes collègues du Centre de documentation sur la formation et le travail du CNAM avaient concocté une bibliographie en 1998 intitulée tout simplement L'innovation dans la formation des adultes et l'on mise en ligne
Enfin, je m'autorise à signaler mon étude vieille de dix ans : Les Cahiers d’Études du CUEEP, 1984/1995. Une double introduction, des fiches documentaires et des indices.
La première partie de ce document évoquait la richesse de la région
Nord-Pas de Calais, sous le titre "Recherche, création et production
documentaire en éducation et formation dans le Nord-Pas de Calais". Cette étude peut être lue comme une tentative de montrer le fonctionnement de l'innovation en région, notamment avec un zoom sur un organisme universitaire pas comme les autres et, en tout cas, comme on n'en fait plus.