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BRICH59
26 septembre 2005

Socrate, es-tu là ?

L'autre jour, Hugues Lenoir évoquait la figure de Socrate, celui qui n'avait rien écrit et pourtant grand producteur de savoir (ne disait-il pas le premier des savoirs était de savoir qu'on ne sait pas ?)... C'était à propos de la VAE et du rapport à l'écrit. Et de fait, pour autant qu'on sache, Socrate était un homme de parole.
socrates_louvreIl y a quelque dix ans, j'avais osé une évocation du vieil athénien, fils de Phénarète, accoucheuse de son état. C'était à propos de la figure du "tuteur méthodologue", à l'occasion du deuxième colloque européen sur l'autoformation que le GRAF et le CUEEP avait organisé ensemble, à Lille, les 6 et 7 novembre 1995. Ce texte constituait l'introduction à une bibliographie signalétique d’ouvrages et articles de langue française sur l’autoformation - travail bibliographique distribué en fascicule aux participants au colloque, puis publié en annexe aux actes dudit colloque (Cahier d'études du CUEEP, 32-33, mai 1996, p.263 sqq.), enfin repris par la suite et complété par Pierre Landry sur le site du GRAF.
Voici cette évocation :


Encore Socrate, l’ouvreur
Athènes, il y a près de 2.400 ans.
Socrate et Ménon, un ami des sophistes, discutent paisiblement sur une question à la mode : la vertu peut-elle s’enseigner ? Mais, question préalable, qu’est-ce donc que la vertu ? Voilà donc nos compères partis à la recherche d’une définition de la vertu. Mais, nouvelle question préalable, c’est quoi, une définition ? Socrate semble jouer avec les nerfs de l’ami des sophistes, tant et si bien que ce dernier finit par craquer. Il lâche un sophisme bien entendu que Socrate reformulera calmement, à peu près en ces termes : impossible de chercher ni ce qu’on sait parce qu’on n’a pas besoin de le chercher, ni ce qu’on ignore parce qu’on ne sait pas ce qu’il faut chercher
[1].
Comment savoir alors ce que l’on doit apprendre ? Socrate a une réponse - en biais : on n’apprend pas, on se souvient seulement. C’est la théorie - ou plutôt la « mythique » - de la réminiscence, toile de fond de la maïeutique socratique et dans la perspective actuelle de laquelle on installe souvent l’autoformation[2]. L’âme est immortelle et vit plusieurs « vies », entre lesquelles elle peut, à chaque fois, à chaque mort, contempler la vérité du monde. À chaque entre-vies, elle voit tout, « il n’est rien qu’elle n’ait appris »[3]. Mais, juste avant chaque naissance, elle est conduite dans la plaine d’Oubli[4] où, assoiffée, elle s’abreuve au fleuve Négligent[5] : elle en oublie tout ce qu’elle a vu, tout ce qu’elle a appris[6]. Elle semble cependant en garder quelque nébuleuse mémoire, puisqu’il suffira que, non sans peine, Socrate exerce son art d’accoucheur, la maïeutique, pour que le plus inculte des esclaves de Ménon formule la règle de la duplication du carré. L’esclave la trouve (ou plutôt la re-trouve, la re-connaît, re-naît avec elle) de lui-même, aidé d’un Socrate « tuteur méthodologue »....
S’il est clair qu’on est loin de pouvoir adhérer à la mythique platonicienne de l’immortalité de l’âme, on ne peut assister au dialogue socratique sans être convaincu que la démarche a bel et bien quelque chose à voir avec l’autoformation, ne serait-ce que par opposition à l’hétéroformation à toute épreuve des sophistes. En suivant Socrate et ses interlocuteurs, on peut voir comment il n’existe pas de voie toute tracée vers le savoir, comment le chemin de la connaissance se creuse en marchant. Le pédagogue est un ouvreur d’itinéraire pour qui se laisse guider. À Athènes, il y a près de 2.400 ans, le pédagogue était un serviteur qui accompagnait l’enfant vers l’enseignant. L’image de l’accompagnement n’était finalement pas si mauvaise. Le tuteur « mé- thodologue » n’est-il pas
celui qui aide chemin faisant[7] ?
Mais, à chaque fois, Socrate exerce ses dons d’ouvreur dans une relation individuelle, personnelle, privée avec son interlocuteur. Aujourd’hui, l’autoformation se comprend dans un cadre institutionnel où l’individu en quête d’apprentissage devra pouvoir disposer de guides plus ou moins balisés pour creuser son propre chemin. Paradoxe, mais paradoxe qui se lèvera sans doute le jour où la question de l’autodirection en formation trouvera des réponses en termes de dispositifs ouverts, c’est-à-dire avec un spectre le plus large possible d’usages par les apprenants.
Le défi n’est pas mince : cadrer, mais sans le réduire a priori, le champ du possible ! C’est à le relever qu’œuvrent les bâtisseurs de l’autoformation.
L’autoformation est « en chantiers », affirme la livraison d’Éducation permanente qui rend actes du premier colloque européen sur l’auto- formation (Nantes, novembre 1994)
[8]. Ce premier colloque, écrit Chantal Attané[9], a révélé l’autoformation « dans tous ses états ». À l’occasion de la tenue du deuxième colloque, le présent document veut, tout simplement, présenter l'autoformation dans (presque) tous ses écrits - écrits de chercheurs, écrits de praticiens.

[NOTES]

  1. Cf. Platon, Ménon 80e2-5.

  2. Cf., par exemple, Henri Desroche, « D'une écriture autobiographique à une procédure d'autoformation. Pour une approche "maïeutique" en éducation permanente », Éducation permanente, n° 72/73, 1984, p. 121-140 ; et, plus ré- cemment, Philippe Carré, « L’autoformation : état des lieux et perspectives », dans Les cahiers d’études du CUEEP, n° 28, février 1995, p.11.

  3. Ménon 82c7.

  4. La plaine Lèthè ; la vérité, c’est alèthéia, c’est-à-dire le non-oubli.

  5. Le fleuve Amélès ; chez Platon, la néglicence (améléia) s’oppose au soin (épiméléia) qu’il faut apporter à l’âme (Cf. Phédon, 107c1) ; ce soin se déclinant en termes d’apprentissage et de connaissance, voire de sagesse...

  6. Cf. Platon, République, livre x, 621a.

  7. L’imagerie de l’itinéraire, du chemin, de la voie, etc. n’est pas sollicitée ici uniquement par référence au lexique contemporain des acteurs de la formation et de l’autoformation, mais bien parce qu’elle est utilisée par Platon pour développer sa mythique de l’âme (cf. par exemple le « mythe d’Er » dans République, livre X, à partir de 614b). En fait, la maïeutique socratique a son corrélat du côté de l’interlocuteur de l’« accoucheur » : la poréïeutique, ou art du voyage (poréïa). Cette poréïa est aussi bien, chez Platon, la « marche dialectique » (cf. République, livre VII, 532b5) que les pérégrinations des âmes dans leur entre-vies (cf. République, livre X, 619e5).

  8. Éducation permanente, n° 122, paru en juin dernier.

  9. Entreprises-formation, n° 81, janvier-février 1995, p. 19.


Je sais, et Bernadette Courtois avait bien raison de me le faire remarquer, Socrate conduit son interlocuteur où il veut bien le mener, le faisant passer par des circonvolutions dialectiques inouïes, alors que le tuteur méthodologue n'est pas censé conduire l'apprenant, juste lui faciliter la tâche d'apprendre. Mais quand même, il y a de la pédagogie constructiviste chez ce Socrate, tout comme chez le tuteur méthodologue - si j'en crois mon ami Gilles Leclercq.
Quel homme ambigü, ce Socrate !
Au fait, qui c'était Socrate ?


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