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BRICH59
3 novembre 2004

Du magasinier à l'herméneute : quelques figures du documentaliste en éducation [2]

L'impact des Nouvelles Technologies de l'Information
et de la Communication sur le travail documentaliste

[suite de ...]


Quel est donc l'impact des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication sur le travail documentaliste ? Je n'aurai pas ici la prétention de pouvoir répondre à cette question, tant débattue par les professionnels de la documentation, notamment par le biais des publications ou des manifestations organisées par leurs associations (fadben, adbs, etc.).

La communication

D'autre part, Madame Bernhard[1] vient de nous expliquer les avantages de l'Internet en termes de communication entre paires notamment. Je n'y reviens pas ; sauf pour (re)dire que l'Internet modifie

  • non pas ce  qui de toute façon pouvait très bien se concevoir et se pratiquer sans lui[2],

  • mais la  façon de le pratiquer, essentiellement du point de vue de la dialectique espace/temps. 

Pourquoi dialectique ? Parce que les deux grandes catégories de structuration du réel (cf. Kant) semblent ici perturbées dans leur relation réciproque traditionnelle : le temps n'est plus un temps de parcours de distance ; le parcours de distance ne monopolise plus le temps ; l'effacement de la distance change la qualité d'usage du temps ; etc. La relation entre l'espace et le temps est de fait quasi annulée, parce que la vitesse (parcours d'espace compté en unités de temps) de la communication est extrême, parce que le rapport distance/vitesse tend vers zéro[3]. À la limite la distance à parcourir n'est même plus une donnée pertinente dans  la gestion du temps de la communication.

L'Internet, ça veut donc dire gain de temps mais aussi (dans le même mouvement) possibilité d'accès au lointain. En fait parler de lointain n'a même plus de sens. L'Internet, c'est une sorte d'abolition spatiale : la localisation devient sans importance du point de vue des conditions de possibilité temporelle de la communication. Du coup on a aujourd'hui accès à l'inaccessible et au « dysaccessible » - au difficilement accessible - d'hier.

Reste que tout ceci n'est pas une révolution (c'est-à-dire  un changement de paradigme[4]) mais une évolution technologique qui a démarré il y a plus d'un siècle et demi, peut-être très exactement quand C. G. Page a inauguré la transmission électrique des sons (1837, États-Unis), puis quand Alexander Graham Bell, professeur dans un institut de sourds-muets à Boston, a inventé le téléphone dans les années 1870[5]. Depuis, les tuyaux se sont transformés jusqu'à pouvoir transporter non plus seulement du phonique (pour l'oreille - registre du temps), mais aussi du graphique (pour l'œil - registre de l'espace)...

La recherche  bibliographique : naviguer dans un océan de références

Mais quel est l'impact des Nouvelles Technologies de  l'Information et de la Communication sur la pratique bibliographique[6] ? Par exemple, quelle différence de pratique y a-t-il en recherche bibliographique selon qu'elle est effectuée avec ou sans le secours des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication ?
Avez-vous déjà navigué dans cet océan informationnel qu'est l'Internet ? C'est formidable d'aller en quelques clics de souris fouiller dans le fonds documentaire américain spécialisé en éducation (ERIC) puis en quelques autres clics de la même souris effectuer une recherche sur le catalogue collectif de l'Université des Sciences et Technologies de Lille, non sans avoir au passage récupérer quelques fichiers. Pas besoin de me déplacer ni jusqu'au États-Unis, ni juste à côté. Je gagne du temps ou bien je peux aller là où je n'allais pas faute d'être branché new tech...
Cela dit, avez-vous déjà effectué une recherche  bibliographique via Internet ? Eh bien, je me suis vite rendu compte que des problèmes de langage émergent très souvent, problèmes de langages documentaires, de langages professionnels, voire problèmes de langages dits naturels... !
En fait, hormis le gain de temps et la possibilité d'aller là où je n'allais pas, l'avantage principal de l'Internet me semble être la fonction Pages jaunes, qui, si vous savez l'utiliser, vous fera connaître les ressources informationnelles, les gisements bibliographiques accessibles. Il s'agit des outils de recherche d'information (catalogues, guides, listes thématiques et index) avec lesquels les documentalistes vont devoir se familiariser[7], jusqu'à atteindre une maîtrise du même ordre que celle qu'ils ont des Pages jaunes.
Je parle des fameuses Pages  jaunes à dessein : pour de très nombreuses personnes en France, les Pages jaunes se manipulent sur Minitel. C'est dire qu'il y a continuité du papier à l'électronique. Je ne dis pas que c'est la même chose, je dis continuité.
Mieux. Comme dit Christine Ollendorff, « Internet n'a rien apporté de fondamentalement nouveau. Il a considérablement rétréci la planète. Plus précisément : rétréci [...] la conscience que nous avons de la taille de la planète »[8].

Une vision  instrumentale de la documentation

Insister sur les prétendus bouleversements des pratiques professionnelles - voire les prétendues évolutions des métiers - dus à Internet, cela me paraît dangereux essentiellement quand une telle insistance occulte des questions comme celles des compétences de fond des documentalistes, celle de l'organisation du travail et des relations professionnelles au sein de l'établissement scolaire, celle des représentations qu'ont les enseignants de la fonction documentaire, etc.

Que les autoroutes de l'information monopolisent la réflexion professionnelle, c'est largement disproportionné. Que la pédagogie documentaire, par exemple, ne s'adosse à une didactique de la médiation documentaire où l'outillage new tech  serait surdimensionné, cela paraît une réduction en bonne et due forme de la  documentation.

Après la réduction patrimoniale (comme dirait Gérard Losfeld) qui garantissait, voire garantit encore aujourd'hui, au documentaliste l'obligation de ne porter que l'uniforme de gestionnaire-magasinier, après cette ancienne prime réduction, voici la réduction néo-technico-cognitive qui  veut habiller le documentaliste des vêtements tout neufs du technicien haut de gamme !

Une des façons de lutter contre cette répétition de réduction consisterait à réfléchir sur le sens de l'activité documentaliste. C'est à une réflexion de ce type que je vous convie, au sujet des activités qui utilisent la référence.



[1] Paulette Bernhard, de l'école de bibliothéconomie et des sciences  de l'information de l'Université de Montréal, présidente de la section « Bibliothèques scolaires&nbps;» de l'IFLA, a en effet présenté une communication notamment sur les listes de discussion accessibles sur l'Internet.
[2] Cf. OLLENDORFF  Christine, FROCHOT Didier, « L'évolution des méthodes de travail  documentaire avec Internet », Documentaliste-Sciences  de l'information, n° 6, 1995 - p. 313-318.
[3] Il « tend » vers zéro, mais n'est jamais absolument nulle : question de largeur de tuyau (débit), de capacité de traitement de votre ordinateur de bureau, et question d'heure aussi (les embouteillages existent au pays d'Internet !).
[4] Cf. KUHN  Thomas S., The structure of scientific  revolutions, Chicago (Illinois, U.S.A.) : The University of Chicago  Press, 19702 (trad. Laure Meyer : La structure des révolutions scientifiques, Paris :  Flammarion, 1983).
[5] Je vous invite à lire les « considérations impertinentes » par lesquelles André de Peretti a clos le deuxième colloque européen sur l'autoformation (Lille, novembre 1995), aux pages 233-243 de RICHARDOT  Bruno (ed.), Pratiques d'autoformation et  d'aide à l'autoformation / Deuxième colloque européen sur l'autoformation,  Lille, 6-7 novembre 1995 ; trigone  graf - Lille : cueep-ustl,  1996 - (les cahiers d'études du cueep;  32-33).
[6] Sur la bibliographie, voyez VARET  Gilbert et Marie-Madeleine, Maîtriser  l'information à travers sa terminologie, Besançon : Université de Franche-Comté, 1995 - (annales littéraires de l'Université de Besançon; 559),  p. 475 sqq.
[7] Cf. par exemple LARDY  Jean-Pierre, « Les outils de recherche d'information sur Internet », Documentaliste - Sciences de l'information,  1996, vol. 33, n° 1, p. 33-39.
[8] OLLENDORFF & FROCHOT, art.cit.

[à suivre]


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