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BRICH59
2 novembre 2004

Sens et références en documentation. Des pratiques bibliogaphiques à l'herméneutique documentaire [7]

[suite de ...]

Exégèse bibliographique et critique littéraire

Pour Maurice Blanchot [« Qu'en est-il de la critique ? », Arguments, n° 12-13, janvier-mars 1959, p. 34-37.], la critique littéraire est un « compromis » entre deux formes d'institution, la journalistique et l'universitaire. Elle est le lieu où "le savoir au jour le jour, empressé, curieux, passager, le savoir érudit, permanent, certain, vont à la rencontre l'un de l'autre et se mêlent tant bien que mal". Prise entre deux réalités institutionnelles si puissantes, "la critique est en elle-même presque sans réalité". Mais Blanchot s'empresse d'ajouter que tout est "comme si cette manière de n'être rien annonçait [...] sa plus profonde vérité". En fait il prépare ainsi un glissement : subrepticement, il passe de l'humilité institutionnelle à l'effacement existentiel de la critique.

En effet, "la parole critique a ceci de singulier, plus elle se réalise, se développe et s'affirme, plus elle doit s'effacer : à la fin elle se brise. Non seulement elle ne s'impose pas, attentive à ne pas remplacer ce dont elle parle, mais elle ne s'achève et ne s'accomplit que lorsqu'elle disparaît : et ce mouvement de disparition n'est pas la simple discrétion, surajoutée, du serviteur qui, après avoir joué son rôle et mis la maison en ordre, s'éclipse : c'est le sens même de son accomplissement qui fait qu'en se réalisant, elle disparaît".  On ne peut saisir la présence du critique (et de la critique) que comme "toujours prête à s'évanouir".

Mais cet effacement de la parole critique devant la parole créatrice (la parole critique parle la parole créatrice) n'est pas modestie : la parole critique est l'« épiphanie » de la parole créatrice, son « actualisation nécessaire ». "La critique est cette perspective ou cet  espace ouvert dans lequel [l'œuvre] se communique", et cette communication "n'est que la dernière métamorphose de cette ouverture qu'est l'œuvre en sa genèse, ce qu'on pourrait appeler sa non-coïncidence essentielle avec elle-même, tout ce qui ne cesse de la rendre possible-impossible". Du coup, "à force de disparaître devant  l'œuvre, [la critique] se ressaisit  en elle, et comme l'un de ses moments essentiels".


Que retenir de cette réflexion de Maurice Blanchot sur sa propre pratique, la critique littéraire ? Il est clair, à première vue, que le qualificatif « littéraire » n'a pas la même extension que ce que manipule le documentaliste spécialisé dans le domaine de la formation continue et des sciences de l'éducation. Le chercheur, l'ingénieur, le consultant n'entretiennent sûrement pas le même rapport à leur œuvre scripturale que le romancier ou le poète. Reste que je suis persuadé que l'« écriture praticienne » en formation et en éducation est passible d'un traitement critique. Persuadé, pas convaincu : je n'ai pas à ce jour les arguments pour étayer ce qui n'est encore que de l'ordre de l'hypothèse de travail.

En effet, au prix d'une métaphore, c'est-à-dire d'une transposition du champ de l'écriture poétique au champ de l'écriture praticienne (et de recherche en formation et en éducation), il apparaît que l'exégète bibliographe présente de nombreux points communs avec le critique littéraire. Ne serait-ce que la revendication à pouvoir, dans le même mouvement, créer du sens et s'effacer. L'originalité consisterait à se prétendre original mais dans le souffle d'une œuvre déjà-là. Qu'est-ce que l'actualisation dont parlait Blanchot, sinon le travail d'ingénierie qui construit le pont (les ponts) entre l'œuvre déjà-là et les acteurs de la formation - dernier travail de l'œuvre par lequel la prétention de l'œuvre (comme système complexe) à être féconde d'action (la Reichweite de tout à l'heure) touche enfin aux rives du possible ? Inscrite dans l'action, l'œuvre l'est en soi, mais comme possibilité : elle est inscriptible, seulement inscriptible. L'inscription dans l'action, dans telle action, s'opère dans cette « dernière métamorphose » de l'œuvre qu'est l'exégèse.

Nous sommes loin de la Bezugnahme. Ou plutôt celle-ci fonctionne ici, non plus comme prise de lien, mais comme mémoire du lieu d'origine, comme lien maintenu à l'œuvre-texte, comme chemin de possible retour à un état de l'œuvre antérieur à l'actualisation.

à suivre


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