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BRICH59
26 juin 2004

Autodocumentation et autoformation

      

Autodocumentation :
autoformation, langage & vérité


 

Bruno Richardot, USTL-CUEEP
Colloque GRAF98
4ème colloque Européen sur l'Autoformation
Dijon 10 au 12 décembre 1998
ENESAD-GRAF

 

 

Documenter peut être transitif ou pronominal. Dans le premier cas, le professionnel de l'information documente son client, un collègue enseignant par exemple : il lui livre des documents, ou plus simplement des renseignements. Dans le second cas, c'est le collègue en question qui recherche documents et renseignements. Se documenter peut alors consister à s'enquérir auprès du professionnel de l'information. Ce peut être aussi se livrer à l'autodocumentation. Et, à observer le prodigieux développement du discours sur l'autoformation depuis plus d'une décennie, on imagine que le thème de l'autodocumentation suit le mouvement et occupe de plus en plus les esprits.
À lire attentivement un récent ouvrage (Carré 1997), on constate pourtant que l'autodocumentation n'y occupe qu'une modeste place : le mot n'y connaît que six occurrences - dont cinq correspondent à des tentatives de (com)prendre l'autodocumentation dans les courants qui structurent l'univers de l'autoformation. La sixième occurrence voit dans l'autodocumentation une « compétence métacognitive » , voire une « métacompétence d'apprentissage » , nécessaire à l'« autogestion de ses propres processus cognitifs » , en limitant son application à l'identification et la localisation des ressources pédagogiques humaines et matérielles disponibles.
Reprenons da capo. Dans l'expression s'autodocumenter, le préfixe auto- semble redondant : la pronominalité suffirait à marquer la réflexivité. Il faut donc qu'il marque une insistance : documenter soi-même (= s'-) par soi-même (= auto-). Cette remarque vaut pour s'autoformer : souvenez- vous de l'« art de s'instruire par soi-même »  de Condorcet. Mais que peut bien signifier auto dans le cas de l'activité documentaire?

Prenons la recherche documentaire. Dans le discours, la philosophie grecque antique distinguait trois niveaux : le pragma (c'est-à-dire ce dont on parle), la lexis (c'est-à-dire la façon dont on parle) et le rhêma (ou encore la thésis, c'est-à-dire ce qui est dit). Le regard documentaire sur le document est d'abord repérage de ce dont ça parle, avant même que de chercher à comprendre ce que ça dit. Et, parce que la documentation est un fait social, les pragmata doivent être répertoriés (thésaurus). Les mots-pragma peuvent alors y être ces mots magiques qui en même temps décrivent (descripteurs) le monde si dense des documents et permettent d'y pénétrer (mots-clés). Je définirais volontiers un thésaurus comme un langage dont le système référentiel est partagé par une communauté définie, comme un langage utile au dialogue documentaire entre les membres d'une communauté. Et des conflits sont possibles entre ce langage et le langage communautaire, plus riche, plus diversifié, plus mobile, plus versatile aussi. Par ailleurs, au sein d'une communauté d'acteurs, la stabilité sémantique (voire lexicale) n'est pas telle que les méprises y soient impossibles : langage communautaire et langage privé se mécomprennent quelquefois...
Car, si la recherche documentaire est un acte social utilisant codes écrits et conventions d'usage, elle est d'abord recherche pour soi, quête d'information préalablement formulée à part soi, dans l'intimité du langage privé, c'est-à-dire de façon inaudible et incompréhensible par autrui. La dimension privative est ici prise en compte pour être dépassée parce qu'improductive pour l'heuristique documentaire. En fait, tout se passe comme s'il y avait trois jeux de langage différents (privatif, communautaire et documentaire) où celui qui entreprend une recherche documentaire pour et par lui-même devra tremper sa question. À chaque étape, la question adapte son habillage langagier pour être productive à cette étape-là. Plus que de traduction, il vaut peut-être mieux parler de transformation : ce qui est en jeu ici n'est pas la relation langage/pensée, ni la relation langueA/langueB : un jeu de langage n'est pas une langue. Ce qui est en jeu, ce n'est pas l'énonciation mais la productivité sémantique de la question dans des mondes différents. S'originant dans le soi à part soi, le questionnement autodocumentaire n'est possible qu'au prix d'une double transformation, d'un double travail.

Mais l'autodocumentation ne se réduit pas à la recherche documentaire. La lecture est une activité essentielle de l'autodocumentation. Elle en constitue même parfois l'activité principale dans certains mouvements d'éducation populaire.
Au moment même où je m'engage dans la lecture d'un document, je me fais nécessairement une idée de ce que dit le document. Cette idée fonctionne comme un préjugé - pas un préjugé au sens négatif du terme (sens attribué par les Lumières), mais au sens d'une attente de vérité du document - une telle attente étant déterminée par ce que l'on pourrait appeler la position « historique » du lecteur (culture, inscription dans la tradition, mais aussi projet, etc.). La lecture va alors fonctionner comme un dialogue entre cette attente de vérité et le texte du document. C'est en explicitant mes préjugés que je recevrai ce que dit le document dans toute son altérité. Pour dialoguer, il faut satisfaire à trois conditions sine qua non : j'attends qu'une vérité sorte du dialogue ; j'ai mon idée sur la question mise en débat ; j'admets, par principe, que l'autre pourra avoir raison contre moi. Lire un document, c'est dialoguer avec le texte. Plus le lecteur avance dans sa lecture, plus le document lui parle, plus le texte s'impose dans une vérité différente de la sienne.
La part de soi mise dans la lecture est capitale. Il n'y a pas de lecture objective. L'expression lecture objective n'a aucun sens. La lecture est mise en avant de soi dans l'attente de la manifestation de l'autre. La lecture est formation de soi par soi dans le dialogue avec l'autre. La lecture comme autoformation expérientielle...


PS. Ce texte faisait partie des propositions de communications retenues par le comité scientifique réuni le 16 juillet 1998 pour préparer le colloque cité plus haut. Il ne figure pas dans les actes dudit colloque, pour la simple raison que je ne suis pas allé à Dijon ce mois d'octobre-là, l'argent disponible pour ce type d'activité étant réservé aux enseignants-chercheurs et aux thésards - et je ne suis qu'ingénieur documentaliste. Ce texte est néanmoins disponible (format PDF) sur le site d'EDUCAGRI. Vous pouvez aussi le récupérer tel quel en cliquant là => richardot.pdf.

 

 


   

 

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